● Peux-tu te présenter, en quelques mots ?
Muriel Quoniam – Mes parents, enseignants issus de milieu populaire, étaient actifs au sein de mouvements d’éducation populaire. J’ai repris le flambeau en devenant enseignante et, depuis un peu plus de 30 ans, je fais classe avec toujours le même plaisir. Côté militantisme, je n’ai jamais pu m’engager dans l’action syndicale ou politique comme j’ai pu le faire en pédagogie. Ma place de militante est au sein de l’école, avec les enfants, les familles et les collègues : j’ai la conviction profonde qu’on peut changer la société par l’éducation. En tout cas, c’est de cette façon que je me sens utile. C’est donc naturellement que j’ai rencontré le mouvement Freinet, qui concilie engagements pédagogique et politique… et, plus récemment, le Réseau éducation sans frontières (RESF).
● Qu’est-ce que l’Icem pédagogie Freinet ?
M. Quoniam – L’Institut coopératif de l’école moderne est un mouvement pédagogique, créé par Célestin Freinet, rassemblant autour de lui un certain nombre de pionniers. C’est une association, qui regroupe aujourd’hui de nombreux enseignants, formateurs et éducateurs, autour de principes pédagogiques communs. La pédagogie Freinet est centrée sur la vie de l’enfant, auteur de ses apprentissages, en lien constant et dynamique avec ses groupes d’appartenance. L’engagement des militants de l’Icem déborde de l’enceinte de l’école. Pour preuve, ces mots de Freinet : « Nous rejetons l’illusion d’une éducation qui se suffirait à elle-même, hors des grands courants sociaux et politiques qui la conditionnent. »
● Tu as vivement réagi aux propos de Xavier Darcos au sujet des petites sections de l’école maternelle. Qu’est-ce qui t’a particulièrement choquée et mise en colère ?
M. Quoniam – Effectuer le raccourci « enfant de deux ans à la maternelle égale couches et sieste », balayant ainsi toute la spécificité des toutes petites et petites sections, et faire le parallèle entre l’enseignant de maternelle et celui de CM2, qui verrait une dévalorisation de son métier en exécutant de telles tâches, m’ont révoltée. Cela démontre une grande ignorance de ce qu’est l’école maternelle, puisque les enfants qui la fréquentent, si jeunes soient-ils, doivent avoir acquis la « maîtrise sphinctérienne ». Par ailleurs, je n’ai jamais trouvé dévalorisant le fait d’apprendre à un jeune enfant à dormir en collectivité. Lui permettre de trouver sereinement le sommeil, en le sécurisant, fait partie du travail de l’enseignant, au même titre que l’aider à se séparer de ses parents, à vivre avec d’autres enfants de son âge, à découvrir les nombres et les mots, et à apprendre à dessiner des ronds ou des traits ! Négliger ces étapes profondément fondatrices conduit à des souffrances qui ont été pointées, et qui peuvent perdurer au-delà de cette classe. Je suis pour une école qui respecte le rythme de l’enfant, même en groupe. Et c’est possible ! On ignore parfois que les enseignants de petite section travaillent en équipes avec d’autres personnels, qui ont un rôle tout aussi important : les Atsem [1]. Leur rôle auprès des enfants est de veiller à leurs soins et à l’hygiène (ils soignent les bobos, nettoient les mains sales, les aident pour le passage aux toilettes, aller à la cantine, à l’habillage, etc.). Ils sont aussi chargés du rangement et du nettoyage des locaux. Payés par les mairies, les Atsem ont un salaire nettement inférieur à celui des instituteurs ; la tentation pourrait être de confier les plus jeunes de la maternelle à des personnels moins « techniques » que les enseignants…
● Derrière ces propos, quel est le projet de Darcos ? Penses-tu que l’école maternelle est menacée ?
M. Quoniam – Il est clair que l’État souhaite se désengager d’un maximum de services publics, renvoyant les responsabilités aux collectivités locales ou favorisant l’accès du privé. Monsieur Darcos, s’adressant à la commission des Finances du Sénat, ne cherche absolument pas à défendre le contenu et le bien-fondé de l’enseignement préscolaire. Il n’en relève que le coût. Réduire alors la mission des enseignants (formés à bac plus cinq) à celle des agents de service territoriaux permet aux élus d’envisager leur rôle à venir dans la gestion de l’éventuelle redistribution des tâches.
● Quel rôle joue l’apprentissage en petite section de maternelle ? En quoi est-ce un plus par rapport à une garderie ?
M. Quoniam – Je ne pense pas qu’il faille hiérarchiser les structures d’accueil de la petite enfance, qui n’ont pas la même vocation. La garderie et la crèche sont des structures payantes, alors que l’école est gratuite. La question est plus d’ordre politique que pédagogique. Accueillir les enfants dès deux ans à la maternelle, pour les parents qui en font la demande, libère les femmes et ne renvoie pas chacun à des solutions de débrouille individuelles, la plupart du temps excluantes. Mais défendre l’accueil des tout-petits à l’école maternelle ne signifie pas que je la cautionne telle qu’elle est. L’école maternelle, avec 30 petits du même âge dans une classe où les parents doivent rester à la porte, où l’accueil des enfants se fait sans adaptation personnalisée, où la pression de l’évaluation fait oublier que l’enfant a besoin de temps et de sécurité pour se lancer dans les apprentissages n’est pas celle que nous défendons. Nous savons de longue date que l’école à deux ans permet aux plus défavorisés une meilleure réussite scolaire et n’handicape pas les autres ! À l’Icem, nous prônons une école où grands et petits se côtoient, apprennent chacun à leur rythme en s’entraidant et en étant partie prenante de leurs apprentissages. Nous ne sommes pas de doux rêveurs, des équipes en font l’expérience quotidiennement, de Bobigny à Montpellier en passant par Aizenay (Vendée), Nantes ou Mons-en-Baroeul (Nord) [2]… Et ça marche !
Notes
1. Agents territoriaux de service des écoles maternelles.
2. Yves Reuter, Une école Freinet : fonctionnements et effets d’une pédagogie alternative en milieu populaire, L’Harmattan, 2007, 23 euros.