L’affaire de la contamination de produits alimentaires d’origine chinoise par de la mélamine prend une nouvelle ampleur. Adoptant une démarche inhabituelle, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a, mardi 28 octobre, pressé les autorités gouvernementales chinoises de fournir la totalité des informations dont elles disposent sur l’ampleur de cette contamination. Cette décision fait suite à la récente découverte de ce toxique d’origine chimique dans des oeufs.
A Rome, au siège de la FAO, on ne cache pas une certaine irritation devant le silence des autorités chinoises et le fait que ce sont les médias qui, sur ce sujet, donnent la plupart des informations. « Il est essentiel que nous puissions disposer d’informations validées, souligne Kazuaki Miyagishima (direction de la nutrition et de la protection des consommateurs). Au vu des nouveaux éléments, nous soupçonnons que le recours à la mélamine soit une pratique répandue et que cette substance pourrait être présente dans de nombreux circuits alimentaires ».
Le ministre chinois de l’agriculture a lancé une enquête pour déterminer si de la mélamine avait été ajoutée à la nourriture pour les animaux. « Nous ne connaissons pas les détails de cette enquête et nous voulons que les autorités nous communiquent immédiatement les résultats de leurs découvertes », a déclaré Zhang Zhongjun, un responsable de la FAO en Chine. Selon lui, on ne peut exclure l’hypothèse que des porcs, des bovins, des poulets ou des poissons soient contaminés par de la mélamine.
Sur ce thème, les inquiétudes des autorités sanitaires internationales vis-à-vis des produits alimentaires chinois n’est pas nouvelle. En juillet 2007, après la découverte aux Etats-Unis de mélamine d’origine chinoise dans des aliments pour animaux, on avait procédé au retrait de 60 millions de boîtes d’aliments pour chiens et chats. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait alors « invité instamment tous les pays à renforcer leur système de sécurité sanitaire des aliments et à se montrer beaucoup plus vigilants à l’égard des producteurs de denrées alimentaires et de ceux qui en font le commerce. »
La présence de ce toxique vient, cette fois, d’être identifiée dans des oeufs chinois à Hongkong et dans de la poudre d’oeuf en provenance du même fabricant chinois. A Hongkong, les autorités sanitaires ont détecté une quantité de mélamine supérieure à deux fois le niveau autorisé dans une marque d’oeufs produits par Dalian Hanwei, le premier fabricant d’oeufs chinois, basé à Dalian, dans le nord-est de la Chine. Les quantités retrouvées ne seraient pas a priori nocives pour la santé. La mélamine aurait été ajoutée aux aliments pour volailles, pour en augmenter artificiellement la teneur en protéines. La suspicion sur les produits chinois est telle que Hongkong a ordonné de nouveaux tests sur la viande et les produits de pisciculture.
Mardi, le distributeur américain Wal-Mart a annoncé que les oeufs « Gegeda », l’une des marques de Dalian Hanwei réservée au marché domestique, avaient été retirés de ses rayons en Chine populaire. Surnommé le « roi de l’oeuf », M. Han Wei, le président de Dalian Hanwei, largement soutenu par la province du Liaoning, où se trouve son siège, présentait ses excuses aux consommateurs de Hongkong, tout en expliquant que sa société n’avait aucun besoin d’ajouter de la mélamine à ses oeufs pour en augmenter le niveau de protéines. Aucun rappel de produits n’a été annoncé par Dalian Hanwei en Chine.
50 000 ENFANTS CONTAMINÉS
Mi-octobre, le groupe japonais Mitsui, qui avait importé 20 tonnes de poudre d’oeuf en provenance de Dalian Hanovo, une filiale de Dalian Hanwei, a annoncé que tous les tests à la mélamine réalisés sur des échantillons étaient positifs. Le groupe japonais avait déclaré avoir été prévenu par Dalian Hanovo que de la mélamine avait été détectée dans son alimentation pour volailles. Co-entreprise entre Dalian Hanwei et le Danois Sanovo, Dalian Hanovo produit plus de 5 000 tonnes de poudre d’oeuf par an, en grande partie pour l’exportation vers les Etats-Unis, l’Asie et l’Europe.
Ces derniers mois, l’ajout de mélamine dans de la poudre de lait, pour faire croire à un apport supérieur en protéines, a contaminé plus de 50 000 enfants et tué quatre nourrissons. Le scandale suscité par cette affaire en Chine et ses répercussions dans le monde avaient poussé le gouvernement chinois à préparer un nouvel arsenal législatif sur la sécurité alimentaire. Les nouvelles mesures ne sont toutefois pas encore entrées en vigueur.
Le site China Media Project, un observatoire des médias chinois à la faculté de journalisme de l’université de Hongkong, note que la panique induite par la découverte de la contamination du lait avait conduit les médias chinois à mener des campagnes de promotion en faveur de la consommation... d’oeufs.
Accueillant les dirigeants européens lors du dernier Forum Asie-Europe, le premier ministre chinois Wen Jiabao avait, le 25 octobre, promis de « mettre en place des mécanismes de régulation puissants et efficaces pour tous les maillons et tous les procédés » de l’industrie alimentaire.
Jean-Yves Nau et Brice Pedroletti (à Shanghaï)
* Article paru dans le Monde, édition du 30.10.08. LE MONDE | 29.10.08 | 14h37 • Mis à jour le 29.10.08 | 14h37.
Des lots d’oeufs frelatés à la mélamine retirés de la vente en Chine
Après le lait, les œufs. Le distributeur américain Wal-Mart a annoncé, mardi 28 octobre, avoir retiré de ses rayons en Chine, par mesure de précaution, des œufs d’une grande marque chinoise après la découverte de traces de mélamine dans certains lots. Le week-end dernier, les autorités de Hongkong avaient déjà annoncé la découverte d’œufs frelatés de la marque Hanwei, un des principaux producteurs chinois. « Nous ne disons pas que ces œufs ne sont pas aux normes, a précisé Mu Mingming, une des porte-parole de Wal-Mart en Chine. Nous adoptons simplement une mesure de précaution pour être pleinement responsables envers les consommateurs. » Carrefour, l’autre grand distributeur étranger présent en Chine, n’a pas pris une telle mesure pour le moment.
Les autorités ont tenté de rassurer la population afin d’éviter une nouvelle psychose après celle engendrée par la crise du lait frelaté. Quatre nourrissons sont morts en Chine, des dizaines de milliers d’autres tombés malades. « Il n’y a pas de risque sanitaire public immédiat, à moins que les gens consomment un nombre faramineux d’œufs frais », a ainsi tempéré Tony Hazzard, responsable régional pour la sécurité alimentaire au sein de l’Organisation mondiale de la santé, ajoutant qu’un enfant devrait par exemple consommer jusqu’à vingt œufs par jour pour dépasser les niveaux recommandés.
Han Wei, le directeur de la société en cause, a reconnu que son entreprise était incontestablement responsable pour les produits frelatés. « Nous le regrettons sincèrement », a-t-il déclaré à la télévision hongkongaise. Mais le patron n’a pas expliqué comment la mélamine s’était retrouvée dans les œufs. Un responsable sanitaire de l’ancienne colonie britannique a suggéré samedi que la substance chimique pouvait provenir de la nourriture donnée aux poules. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a en tout cas appelé la Chine à fournir toute information sur des traces éventuelles de mélamine dans la chaîne alimentaire. Zhang Zhongjun, un responsable de l’organisation internationale en Chine, a expliqué que cette nouvelle découverte fait craindre que la mélamine soit présente dans de nombreux aliments, comme la viande ou le poisson.
* LEMONDE.FR avec AFP et AP | 28.10.08 | 12h05 • Mis à jour le 28.10.08 | 12h41.