RFI : Le FMI a décidé d’aider plusieurs pays européens comme l’Islande, l’Ukraine et aujourd’hui la Hongrie, avec des prêts conséquents. Pourquoi ces pays-là selon vous ?
Eric Toussaint : En fait, il faut savoir que le FMI est en pleine crise, il est très affaibli. Jusqu’à l’année passée, il n’y avait plus qu’un seul client important, à savoir la Turquie. Alors qu’il y a encore six ou sept ans, le FMI prêtait pour un montant de plus de 100 milliards de dollars, son portefeuille de prêts a été ramené, avant cette crise-ci, à quelque chose comme 17 milliards. La crise actuelle va être mise à profit par le Fonds monétaire international pour octroyer des crédits importants dans la mesure où le FMI vit des prêts qu’il réalise. C’est par le prélèvement des intérêts versés par les pays qui reçoivent ses prêts que le FMI se maintient en activité.
RFI : Donc, il préfère prêter à des pays qui auront plus de capacité à rembourser.
Eric T. : Mais attention, le FMI va également proposer ses services aux pays du Sud, il n’y a pas de doute là-dessus. Le FMI veut essayer de reprendre l’initiative par rapport à son affaiblissement à l’égard d’une série de pays du Sud. Il faut savoir que plusieurs pays d’Asie et d’Amérique latine ont remboursé de manière anticipée le FMI au cours des années précédentes. Le FMI a perdu, dès lors, un moyen de pression sur ces pays. Il faut s’attendre à ce que le FMI propose un renforcement de ses prêts à l’Afrique, à l’Amérique latine et à l’Asie, notamment en disant qu’on a bien besoin de « son » argent à cause de cette crise. Or il faut savoir que les prêts du FMI sont conditionnés par l’application de politiques qui, ont démontré, au cours des vingt dernières années, leur caractère néfaste. Ces politiques ont été néfastes parce que le Fond monétaire international, en collaboration avec la Banque mondiale, exige une ouverture économique très forte des pays du Sud. Les pays africains, surtout les populations africaines, savent très bien qu’elles ont été touchées de plein fouet par la crise alimentaire.
En Afrique, au niveau de la plupart des habitants, ce n’est pas la crise financière des banques aux Etats-Unis ou en Europe qui est au centre des préoccupations ces derniers mois, c’est plutôt le fait que les prix des aliments ont très fortement augmenté. Les politiques dictées par le FMI et la Banque mondiale sont directement responsables de cette augmentation (voir plus loin).
RFI : Est-ce que vous diriez Eric Toussaint que le FMI est plus souple avec certains pays qu’avec d’autres ? Au niveau des conditions ?
Eric T. : Oui, bien sûr. A l’égard de l’Islande ou de pays européens, il ne va pas poser du tout, les mêmes conditions.
Il faut aussi souligner que le FMI n’a pas exigé des autorités de Washington qu’elles mettent de l’ordre dans les finances du pays. Pourtant quand il agit à l’égard des gouvernements des pays du Sud, le FMI n’hésite pas à tenter d’imposer les mesures économiques qu’il considère comme les plus appropriées.
RFI : Donc selon vous, il y a bien une politique à deux vitesses ?
Eric T. : Absolument, il n’y a pas de doute. D’ailleurs, écoutez, il y a 24 directeurs exécutifs au Fond monétaire international. Sur les 24 directeurs, il y en a seulement 2 pour l’Afrique. Les deux administrateurs africains représentent chacun plus de vingt pays. Lorsqu’ils votent, les deux (pris ensemble) représentent moins de cinq pour cent des voix. Les Etats-Unis, à eux seuls, ont 17% des voix. La France, à elle seule, a un peu moins de 5%. C’est-à-dire que la France quand elle vote, a autant de poids que tous les pays africains réunis. Donc, évidemment il y a deux poids deux mesures, c’est absolument clair. Il faudrait changer ça le plus vite possible. C’est une situation intolérable, elle ne peut pas durer.
RFI : Est-ce qu’il faudrait réformer l’aide aux pays pauvres quand on sait que parfois, le problème c’est qu’un pays aidé par le FMI, s’affiche comme un pays en difficulté et donc il attire la méfiance des éventuels prêteurs. Est-ce qu’il faudrait être plus discret dans l’aide que l’on donne aux pays pauvres ?
Eric T. : Ecoutez, moi je pense qu’il faudrait d’abord rémunérer correctement les produits exportés par les pays considérés comme « pauvres » et arrêter de leur recommander des politiques qui portent préjudice à leurs producteurs locaux. C’est ce que je voulais dire tout à l’heure à propos de crise alimentaire. Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ont convaincu les pays africains de réduire leurs productions vivrières alors qu’elles garantissaient la souveraineté alimentaire, la sécurité alimentaire, notamment dans la production de céréales. Le FMI et la Banque mondiale ont poussé ces pays à augmenter leurs exportations de thé, de bananes, de cacao, etc. et à dépendre, pour nourrir leur population, de leurs importations de riz et de blé à partir de l’Asie et de l’Europe. Et maintenant, quand ces prix explosent littéralement, les pays africains se retrouvent complètement au dépourvu, ils n’ont plus suffisamment de producteurs locaux pour satisfaire la demande.
Donc ma réponse, c’est : plutôt que de parler d’un peu plus de générosité, d’ailleurs je questionne cette soit disant générosité, je pense qu’il faudrait plus de justice à l’égard des pays africains.
RFI : Merci à vous Eric Toussaint, président du Comité pour l’annulation de la dette des pays du Tiers monde, en direct de Bruxelles. Je rappelle votre ouvrage : 60 questions, 60 réponses sur la dette, le FMI et la Banque mondiale aux éditions Syllepse à Paris.