Jean-Marc Rouillan est connu pour avoir été l’un des fondateurs et principaux militants du groupe Action Directe, responsable notamment de l’assassinat du général Audran en 1985 et de Georges Besse, PDG de Renault l’année suivante. Arrêté avec le reste du groupe en février 1987, condamné deux fois à la prison à perpétuité, il bénéficie depuis décembre 2007 d’une mesure de semi-liberté qui l’autorise à travailler à Marseille aux éditions Agone. Il a récemment manifesté son intention d’adhérer au NPA [1].
Je hais les matins
En prison, Jean-Marc Rouillan s’est mis à écrire. Son premier ouvrage, Je hais les matins, est sorti en 2001 aux éditions Denoël (dans la collection « Impacts », la même qui voit en 2002 paraître le premier livre d’Olivier Besancenot). Le livre fait l’objet de plusieurs comptes-rendus au final plutôt positifs. S’inscrivant dans la tradition des « écrits de prison », l’ouvrage s’attache avant tout à dénoncer la condition carcérale. Dans un style alerte et très vivant, il aligne les anecdotes édifiantes qui signent la volonté de détruire la personnalité des détenus au cœur du « projet » de l’administration pénitentiaire. Enfin il dénonce l’absurdité des longues peines. Le livre est préfacé par Martin Winckler [2]. « Ce livre, écrit-ce dernier, est le livre d’un citoyen » utile dans sa dénonciation de la prison mais c’est aussi « un beau livre d’écrivain ». Néanmoins, le livre fait la part belle à la provocation quand JM Rouillan, bravache et s’adressant à ses juges, prétend être encore capable de « démonter et remonter un colt 45, les yeux bandés et avec la même dextérité qu’il vous faut pour expédier le dossier d’un pauvre malheureux » [3].
De Jean-Marc à Jann-Marc
Ce livre marque le début d’une véritable carrière littéraire puisque plusieurs autres ont depuis été publiés, relevant de plusieurs genres : récits, recueil d’articles, mémoires, romans et même une préface [4] ! JM Rouillan a déclaré [5] qu’il ne s’agissait pas pour lui d’entamer une seconde carrière, restant avant tout un prisonnier. Le livre ne constituerait pour lui qu’ « une poursuite de la lutte par d’autres moyens, d’autres armes ». Néanmoins le changement discret de prénom qui marque la publications de ses livres suivants – il les signe désormais du nom de Jann-Marc Rouillan – induit une distance entre le Jean-Marc Rouillan taulard d’Action Directe et le nouveau Jann-Marc Rouillan écrivain. Dans un interview donné dès sa sortie de prison, il s’en explique ainsi : « si ma littérature est indissociable de mon action politique, elle n’y correspond pas exactement, elle ne s’y épuise pas. Cette lettre absente et inscrivant mes origines figure la « part de l’ange » de ma maturation » [6].
Lettre à Jules
En 2004 paraît chez Agone un court ouvrage intitulé Lettre à Jules. Il est en fait composé de trois textes disctincts. Le premier, qui a donné son nom au livre est le prétexte à quelques récits qui nous renvoient aux temps où JM Rouillan participait aux derniers feux de la résistance antifranquiste qu’il place – là encore non sans provocation – sous la figure tutélaire de Jules Bonnot [7]. Dans un autre texte, il réfute la réduction de la figure de Delgado et Granado [8] à d’innocentes victimes du franquisme. Par leur engagement, ces deux-là « avaient choisi d’être coupables (…) quand tu dis qu’ils étaient innocents, tu utilisent des notions qui n’étaient pas les leurs. En insistant sur cet aléa judiciaire (…) tu nies le sens qu’ils donnèrent à leur vie » [9].
Autres écrits
En 2007 paraissent toujours chez Agone De mémoire (1) – Les jours du début : un automne 1970 à Toulouse, explicitement autobiographique. JM Rouillan y raconte sa jeunesse toulousaine et la genèse de sa révolte où sous l’influence de militants antifranquistes espagnols, anarchistes pour la plupart, il développe une certaine fascination pour la lutte armée et un mépris pour les organisations qui se disent révolutionnaires mais qui se refusent à affronter le pouvoir. Plus que les idéologies marxiste ou anarchiste, c’est le choix de la lutte armée qui délimite les authentiques révolutionnaires des autres. Néanmoins, ce livre reste un récit autobiographique marqué du signe de la nostalgie.
Toujours chez le même éditeur, les Chroniques carcérales sortent en 2008. Il s’agit du recueil des chroniques écrites pour le mensuel CQFD entre janvier 2004 et décembre 2007. Elles poursuivent sur un ton plus ironique la dénonciation des prisons qui était l’objet de son premier livre.
A noter enfin que JM Rouillan a préfacé la réédition du livre d’Eugène Dieudonné sur La vie des forçats [10]. C’est l’occasion pour lui de dénoncer la continuité entre le bagne de Cayenne dénoncé par Dieudonné avant-guerre et la prison d’aujourd’hui.
Au final les écrits de Jean-Marc Rouillan répondent à deux idées-forces : la dénonciation de la condition carcérale et le rattachement de son propre parcours à une tradition révolutionnaire plus vaste.
La dénonciation de la condition carcérale
JM Rouillan a fait 20 ans de prison dont un certain nombre à l’isolement. Cela lui donne de réelles compétences pour dénoncer les effets pervers et inhumains d’un système qu’il connaît de l’intérieur. Comme d’autres avant lui [11], il conçoit des ouvrages militants où il ne se contente pas de raconter sa seule expérience de prisonnier mais une succession d’anecdotes présentées comme révélatrices d’une condition carcérale qu’il dénonce en bloc.
L’héritage révolutionnaire
Les écrits de Jean-Marc Rouillan laisse une grande place à l’autobiographie, en dehors même du seul livre qui se présente explicitement comme tel, De mémoire. Tous ses livres sont émaillés de récits anecdotiques de divers moments de sa vie qu’il relie au présent indéfini de la réalité carcérale. Ces récits sont aussi le prétexte à la mise en scène de la mémoire du mouvement révolutionnaire dont il se sent porteur. Cette mémoire est sélective et volontiers provocatrice. La guérilla antifranquiste en est le premier jalon. C’est par elle que s’est faite l’entrée en clandestinité, le choix des armes. Tout le reste en découle comme si le choix de la lutte armée par Action Directe relevait de la même évidente et éternelle légitimité que celui de la guérilla antifranquiste. Celle-ci est par ailleurs présentée indifféremment en 1945 et 1970, comme si le contexte politique ne pouvait en aucune façon donner lieu à une interrogation sur la stratégie. Peu importe puisqu’au fond c’est toujours la même chose qui se joue de la même manière. « La vieille guerre se poursuit à travers nous », fait-il dire à Puig Antich [12]. De même Bonnot est présenté comme un « combattant » anarchiste révolutionnaire [13]. Ce choix radical permet d’esquiver toute question éthique puisque dès lors il ne peut plus être question de coupables ou d’innocents. « Le droit, la loi n’ont rien à voir là-dedans. C’est une affaire de guerre » [14].
Conclusion : Jean-Marc Rouillan et le NPA
Le combat de Jean-Marc Rouillan contre la condition carcérale est parfaitement juste et légitime. Il mérite d’être soutenu sans restriction. Autrement problématiques sont ses remarques sur la lutte armée. On peut sans doute considérer à bon droit que le refus revendiqué de revenir sur ses actes, de la « repentance » [15]]] comme il dit relève tout simplement de la nécessité de conserver un sens à la douloureuse absurdité d’une très longue peine de prison. Par ailleurs la volonté de surrajouter à la peine effectuée par le condamné l’expression de son repentir est une survivance de l’Inquisition qui n’a rien de progressiste.
La légitimation de la lutte armée sui generis au travers de figures aussi unanimement contestées que celle de Bonnot relève sans doute aussi, même s’il s’en défend, de la posture littéraire [16]. Ainsi quand il avoue « n’avoir jamais eu de sympathie particulière pour Eugène Dieudonné » et qu’il ajoute : « nous préférions être du côté des coupables » [17] est-il difficile d’y voir quelque chose de plus fondé politiquement que la fascination qu’avait Jean Genet pour les « mauvais garçons ».
Jean-Marc Rouillan vient de déclarer à L’Express que « le processus de lutte armée tel qu’il est né dans l’après-68 (…) n’existe plus. Mais, en tant que communiste, je reste convaincu que la lutte armée est nécessaire à un moment du processus révolutionnaire » [18], il est nécessaire de préciser que si pour nous la lutte armée peut effectivement à un moment donné s’avérer nécessaire, nous ne la concevons que dans une perspective d’ « autodéfense d’un processus révolutionnaire » [19] et que « les révolutionnaires d’aujourd’hui et de demain n’ont vraiment pas besoin de violences pour défendre leurs idées » [20].
Bien évidemment, l’important est que Jean-Marc Rouillan estime aujourd’hui que la lutte armée n’est pas d’actualité.
Bibliographie :
Jean-Marc Rouillan, Je hais les matins, Denoël (collection « Impacts), 2001.
Jann-Marc Rouillan, Lettre à Jules, Agone (collection « Mémoires Sociales »), 2004.
Jann-Marc Rouillan, De mémoire (1) Les jours du début : un automne 1970 à Toulouse, Agone (collection « Mémoires Sociales »), 2007.
Jann-Marc Rouillan, Chroniques carcérales (2004-2007), Agone (collection « Eléments »), 2007.
Jann-Marc Rouillan, Préface à Eugène Dieudonné, La vie des forçats, Libertalia, 2007.