AVIGNON ENVOYÉ SPÉCIAL
Mille milliards de dollars. Telle est la somme faramineuse nécessaire pour démanteler les centaines d’installations radioactives en fin de vie que soixante ans d’activité nucléaire ont disséminée sur la planète. « En 2004, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a estimé qu’il faudrait mille milliards de dollars pour décontaminer tous ces sites, dit Michele Laraia, chargé du dossier à l’Agence. Depuis, le chiffre a augmenté, avec l’inflation. »
Ce montant concerne pour moitié les installations liées au nucléaire militaire. Reste environ 500 milliards qu’il faudra trouver pour nettoyer les laboratoires de recherche et les quelque 440 réacteurs producteurs d’électricité qui fermeront d’ici à environ trente ans. « Si le problème est envisagé dès le démarrage de l’installation, et que de l’argent est régulièrement mis de côté, ce n’est pas une grosse difficulté, poursuit M. Laraia. Mais si rien n’est prêt au moment de l’arrêt, le coût sera très élevé. »
Cet impératif est intégré par la communauté nucléaire, réunie jusqu’au 2 octobre à Avignon, pour un colloque consacré au démantèlement qui a lieu, tous les cinq ans, sous les auspices de la Société française d’énergie nucléaire (SFEN). « Pour maintenir l’option nucléaire ouverte, il faut montrer qu’on sait démanteler », résume Serge Klaeyle, d’EDF.
A Avignon, les spécialistes ont constaté la normalisation de leur activité. « On est sorti de la phase d’apprentissage, observe Catherine Lecomte, directrice de l’assainissement au Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Les premières installations qu’on a démantelées ont été les plus délicates, mais nous sommes maintenant parvenus à une phase industrielle. » Claudio Pescatore, de l’Agence de l’énergie nucléaire de l’OCDE confirme : « Le démantèlement est devenu une activité industrielle, représentant un chiffre d’affaires, en augmentation régulière, de 5 à 6 milliards de dollars par an. »
Mais si les techniques commencent à être bien maîtrisées, que les procédures et les méthodes sont bien établies, l’expérience est encore limitée, notamment sur les réacteurs de production d’électricité. Seuls une dizaine dans le monde ont été totalement démantelés - c’est-à-dire que les sites ont été rendus à un autre usage sans la moindre trace de radioactivité artificielle. Si bien que le coût réel de cette déconstruction n’est pas établi avec certitude. Les estimations varient de 500 à 800 millions de dollars par réacteur. « On n’est jamais assez prudents, remarque Georges Leka, de Areva TA. Les estimations initiales sont toujours revues à la hausse, jamais à la baisse. Car les exigences sont constamment renforcées. »
Les évaluations sont difficiles parce que les règles comptables ne sont pas harmonisées, que les situations varient beaucoup d’un site à l’autre, que les stratégies sont différentes : certains choisissent d’engager le démantèlement dès l’arrêt de l’installation, comme en France ou aux Etats-Unis, d’autres de repousser le problème à vingt-cinq ans, comme l’Espagne ou le Royaume-Uni avec ses réacteurs Magnox.
La question du système de financement est dès lors cruciale. « Il faut s’assurer qu’il y aura des fonds quand le moment sera venu », résume Claudio Pescatore. Plusieurs formules sont possibles : en France, les opérateurs doivent constituer des fonds pour les opérations prévisibles (le CEA a provisionné 7 milliards d’euros, EDF 7,8 milliards, Areva 10 milliards). La Suisse et la Suède privilégient un fonds géré par une autorité indépendante. Au Royaume-Uni, c’est de facto le gouvernement qui abonde une grande partie des dépenses annuelles. Mais ces réserves constitueront toujours une tentation, et d’autant plus que la situation économique se tendra : « Aux Etats-Unis, raconte le consultant Tom LaGuardia, les compagnies ont versé 22 milliards de dollars dans le fonds de gestion des déchets géré par le gouvernement. Mais le fonds ne contient plus que 6 milliards, le reste a disparu ! »
Parallèlement au problème économique, le démantèlement est aussi gêné par le fait que très rares sont les pays où existent des sites prêts à accueillir les rebuts radioactifs issus de la déconstruction. En France, faute de site existant pour les déchets à vie longue ou moyenne, EDF et le CEA en sont réduits à créer des sites temporaires (Iceda et Cedra).
Une solution consiste à allonger la durée de vie des réacteurs, jusqu’à soixante ans, comme aux Etats-Unis. Le problème ne sera plus à la charge de nos enfants, mais de nos petits-enfants...
Hervé Kempf
* Article paru dans le Monde, édition du 02.10.08. LE MONDE | 01.10.08 | 13h52 • Mis à jour le 01.10.08 | 19h41.
A BRENNILIS, UN CHANTIER EN SOUFFRANCE OUVERT EN 1985
Brennilis, dans le Finistère, a vu fonctionner de 1967 à 1985 un réacteur à eau lourde de 70 mégawatts. Le démantèlement a commencé en 1985. Malgré quelques incidents, comme une remontée de nappe phréatique en 2000 et un incendie en 2001, et une opposition locale, le travail a bien avancé. Mais le Conseil d’Etat a annulé en juin 2007 le décret d’autorisation du démantèlement final. Le chantier est donc à l’arrêt. « Peut-être n’a-t-on pas fait assez de communication il y a trois ou quatre ans », dit EDF.
L’essor mondial du nucléaire
A ce jour, 439 réacteurs nucléaires sont en activité dans le monde. Un chiffre qui devrait augmenter dans les années à venir puisque 39 unités sont en chantier et que près d’une centaine de projets sont signés. Si, actuellement, ce sont l’Amérique du Nord et l’Union européenne qui accueillent le plus grand nombre de réacteurs, l’Asie connaît à son tour un boom du nucléaire civil, avec la Chine et l’Inde en chefs de file.
Cette énergie, réservée depuis des décennies aux pays industrialisés, s’étend donc aux puissances émergentes. Pourtant, la part du nucléaire à l’échelle planétaire est en légère baisse, selon un rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) publié le 11 septembre. Si, entre 1986 et 1995, il représentait 17 % de la production mondiale d’électricité, ce chiffre est descendu à 14 % en 2007. Selon l’AIEA, les projets en cours ne devraient pas empêcher ce taux de poursuivre sa baisse.
Ce phénomène s’explique principalement par une augmentation constante de la demande, qui profite davantage à d’autres sources d’énergie. En plus du nucléaire, l’électricité est aujourd’hui principalement produite grâce au charbon (36 %), aux barrages (21 %), au gaz (16 %) et au fioul (10 %).
Morgane Le Dref
* Article paru dans l’édition du 25.09.08