Les affrontements du 18 août qui ont coûté la vie à dix soldats français en Afghanistan constituent le dernier symptôme d’une réactivation de la violence dans ce pays. Les signes ponctuels sur le terrain se multiplient depuis plusieurs mois, ce qu’à récemment traduit l’interpellation de l’Acbar, agence qui coordonne l’activité d’une centaine d’organisations de solidarité internationale.
Au 15 août, 23 employés d’ONG (organisations non gouvernementales) figuraient déjà parmi les victimes de ces violences pour le début de l’année 2008, soit plus que pour l’ensemble de 2007. En juillet, deux volontaires de l’ONG ACF sont kidnappés, et libérés quinze jours plus tard. Le 13 août, trois expatriées et le chauffeur afghan de l’organisation IRC (International Rescue Committee), tombent dans une embuscade dans la province de Logar, à une heure au sud-est de Kaboul. Ils sont froidement exécutés. Enfin, le 20 août, un employé afghan de l’ONG française Acted était abattu.
Sans que cela constitue, loin s’en faut, un critère de sécurité exclusif, la réaffirmation de la place de chacun est aujourd’hui essentielle (principe de la « saine distance »). Les ONG européennes, et en particulier françaises, qui dans les suites de la guerre du Biafra en 1968 ont été les précurseurs de l’humanitaire contemporain, doivent clairement se dissocier du modèle qui prévaut aux Etats-Unis. La guerre en Irak illustre en effet la forme la plus aboutie de la stratégie consistant à utiliser les ONG pour des actions humanitaires voulues et mises en œuvre en complément des opérations militaires, selon la théorie du « bombs and bread » (des bombes et du pain) déjà éprouvée en Afghanistan à partir de 2001.
En janvier 2003, trois mois avant le début du conflit en Irak, cinq grandes ONG américaines, Save the Children, Mercy Corps, International Medical Corps, IRC (pour laquelle travaillaient les personnes récemment assassinées en Afghanistan) et World Vision avaient formé un consortium, le Joint NGO Emergency Preparedness Initiative (Initiative de regroupement des ONG pour la préparation à l’urgence), financé par le gouvernement des Etats-Unis et destiné à organiser, depuis la Jordanie voisine, un plan pour une intervention humanitaire en Irak.
Dès le mois de mai, Andrew Natsios, patron de l’USaid (Agence américaine de coopération internationale), donnait le ton : « Les ONG doivent obtenir de meilleurs résultats et mieux promouvoir les objectifs de la politique étrangère des Etats-Unis, ou nous trouverons de nouveaux partenaires ». Par ailleurs le président Bush s’est fait le chantre d’une politique d’aide internationale qui donne une large place à l’évangélisation au travers d’ONG religieuses dont World Vision et Catholic Relief Services. Cette politique, baptisée « Faith Based Initiative » (initiative basée sur la foi) repose sur la stratégie de « la compassion en acte » que le président des Etats-Unis mentionna dans son discours de Nashville en février 2003. L’Irak a donc constitué un théâtre emblématique de la confusion des genres dans les liens qui unissent certaines ONG et les gouvernements des forces occupantes. Dans ce pays, l’attentat contre le siège des Nations Unies à Bagdad en août 2003, puis contre le CICR en octobre 2003, ainsi que l’assassinat, en novembre 2004, d’une volontaire de l’ONG Care, Margaret Hassan, ont abouti à ce qu’actuellement aucune ONG internationale n’envoie durablement de volontaires sur le terrain. Les actions humanitaires y sont développées à distance depuis les pays voisins, laissant leur mise en œuvre, comme la prise de risques, reposer sur les personnels irakiens.
Il nous faut donc absolument nous démarquer de toute évolution qui nous inscrirait dans une logique similaire à celle que les autorités des Etats-Unis ont instaurée à l’égard de leurs ONG. A cet égard, un positionnement sans ambiguïté des ministres qui traitent des questions internationales devient aussi crucial. Or, depuis plusieurs mois, un certain nombre de prises de position de ministres français ne sont pas de nature à clarifier la place de chacun.
Ainsi est-ce le cas quand Bernard Kouchner, le ministre des Affaires étrangères, sollicite les ONG françaises pour participer à des corridors humanitaires au Darfour à partir du déploiement des troupes de l’Eufor au Tchad, ou quand il encourage ces mêmes ONG à utiliser les services de la Marine nationale via le Mistral pour apporter de l’aide en Birmanie. Si nous donnons suite, nous participons alors à la confusion.
Quand Hervé Morin, ministre de la Défense, qualifie la mort d’un sous-officier français des forces spéciales, à la frontière soudano-tchadienne, de « décès survenu en mission humanitaire », ce qui ne correspond ni aux engagements ni au mandat de l’Eufor, alors est entretenue la confusion.
Quand Alain Joyandet, secrétaire d’Etat à la Coopération, dans un discours du 19 juin, fait état de sa volonté de faire transiter des volumes financiers plus importants par les ONG françaises et annonce dans le même temps le renforcement de la coopération militaire française, il en résulte une confusion accrue.
A l’heure d’une information instantanée, mondialisée, instrumentalisée par tous les protagonistes et tous les extrémismes, le positionnement de Médecins du monde ne traduit ni une attitude partisane dans le débat politique français, ni un procès d’intention. Il s’agit de réaffirmer l’importance primordiale des principes de l’action humanitaire : humanité, indépendance, impartialité, neutralité.
La complexité et la dangerosité qui caractérisent aujourd’hui nos lieux d’action, et la volonté affichée de l’Europe d’intervenir militairement dans un plus grand nombre de crises, imposent cette clarification tant aux acteurs humanitaires qu’aux responsables politiques.
* Tribune parue en « Rebonds » dans le quotidien Libération du lundi 29 septembre 2008.
* JEROME LARCHE est délégué aux missions internationales de Médecins du monde et PIERRE MICHELETTI est président de Médecins du monde.
MSF et Médecins du Monde dénoncent les propos tenus par Kouchner à Jérusalem
Les deux ONG Médecins sans frontières (MSF) et Médecins du Monde ont dénoncé, mardi 7 octobre, les propos tenus dimanche à Jérusalem par Bernard Kouchner. Le ministre des affaires étrangères français avait déclaré devant la presse israélienne : « Officiellement, nous n’avons aucun contact avec le Hamas mais officieusement, il y a des organisations internationales qui entrent dans la bande de Gaza, en particulier des ONG françaises qui nous donnent des informations. »
Médecins sans frontières « s’insurge » dans un communiqué contre ces propos et accuse le ministre, l’un des fondateurs de l’organisation, d’entretenir la « confusion » entre sphère politique et humanitaire. MSF « est l’une des ONG françaises travaillant dans les territoires occupés palestiniens et notamment dans la bande de Gaza », indique-t-elle, et affirme « n’avoir jamais communiqué d’informations politiques – officielles ou officieuses – concernant le Hamas, ou tout autre acteur politique palestinien, au ministère des affaires étrangères français ». « MSF a fait le choix politique de l’indépendance financière en refusant tout financement de la part du gouvernement français », rappelle-t-elle.
Pour Médecins du Monde, dont M. Kouchner fut un des fondateurs après son départ de MSF en 1979, les propos tenus par le ministre sont « non seulement inexacts mais dangereux ». « Ils jettent la suspicion sur les pratiques des ONG françaises » et « exposent surtout les équipes humanitaires dans les territoires mais également au Moyen-Orient à d’éventuelles réactions et risquent de compromettre les activités en cours ».
* LEMONDE.FR avec AFP | 07.10.08 | 17h35 • Mis à jour le 07.10.08 | 18h15.