PHULARA (RAJASTHAN) ENVOYÉ SPÉCIAL
Les mains d’écolière gardent encore le souvenir d’un mariage douloureux. Manju a pris l’habitude de cacher les Mahandis, des motifs dessinés au henné sur ses bras lors de ses noces, sous la manche de son uniforme d’écolière. « J’ai eu beau supplier mon père de refuser ce mariage, il n’a rien voulu entendre », explique l’adolescente de 13 ans, qui a été mariée à un garçon de son âge il y a seulement deux semaines. « Je devais tenir par la main cet inconnu. Ensemble, nous avons fait sept fois le tour d’un feu avant que l’on nous déclare unis pour la vie. »
Après dix jours de festivités, Manju est retournée à l’école. « Mais pour combien de temps ? », demande-t-elle en se tournant vers son instituteur. Les jeunes filles sont nombreuses à quitter l’école après leur mariage. Les plus chanceuses se rendent en classe jusqu’à l’âge de 17 ou 18 ans avant de partir vivre dans la famille de leur mari.
Le Rajasthan est l’Etat indien où les mariages précoces sont les plus nombreux. D’après une étude publiée en 2006 par le ministère indien de la santé, 57,1 % des femmes âgées de 20 à 24 ans étaient déjà mariées à l’âge de 18 ans dans cet Etat de l’ouest du pays. 16 % des adolescentes âgées de 16 à 19 ans étaient déjà tombées enceintes. Les unions entre enfants sont pourtant interdites par la loi.
INACTION POLICIÈRE
Les parents encourent jusqu’à deux ans de prison et 1 500 euros d’amende. Encore faut-il que les policiers sanctionnent la pratique, largement répandue dans les villages. « Certains n’osent pas se mettre à dos toute la communauté, et d’autres participent même aux festivités. Ils échangent leur silence contre de l’argent », témoigne Pappu, un membre du Syndicat du peuple pour les libertés civiles habitant Phulara, un village proche de Jaipur. Lors de foires au mariage, organisées à grand renfort de publicité, des parents concluent l’union de leurs enfants dans la journée.
Si les adolescents décident de porter plainte, rares sont ceux qui osent aller jusqu’au bout de la procédure. « Mon père m’a menti en me jurant qu’il risquait la peine de mort s’il passait devant le juge. Même si j’avais su qu’il n’encourait qu’une peine de prison, comment un enfant peut-il infliger une telle sanction à son père ? », note Sharda Poonia, le visage caché derrière le voile de son sari. Après avoir été mariée de force à l’âge de 16 ans, elle a fui son domicile deux ans plus tard pour être accueillie dans la famille de son petit ami.
Les communautés les plus touchées sont les plus pauvres, et les moins éduquées. Parmi les femmes déjà mariées à l’âge de 18 ans, 72 % ne sont jamais allées à l’école. « Chez certaines communautés comme les Gujars, on considère qu’un enfant est en âge d’en épouser un autre dès qu’il se met à marcher », ironise Kavita Srivastava, présidente du bureau du Syndicat du peuple pour les libertés civiles de Jaipur.
Le déclin du ratio entre les sexes, qui est tombé à 886 femmes pour 1 000 hommes au dernier recensement de 2001, dans le Rajasthan, aggrave le phénomène des mariages précoces. « Certains parents préfèrent marier leur fils à la première occasion, pour éviter la féroce compétition des années à venir », explique Kavita Srivastava. « La libre sexualité chez une jeune fille est vécue comme un danger menaçant la réputation d’une famille », ajoute Nisha Sidhu, présidente du bureau de la Fédération nationale des femmes indiennes, à Jaipur. Leur mariage permet de se prémunir contre des unions malencontreuses, entre les castes par exemple, et de garder ainsi l’honneur de la famille sain et sauf.
Les mariages précoces mettent en danger la santé physique et mentale des jeunes filles. « Des femmes mariées si jeunes n’ont pas la maturité pour assumer leur rôle de mère et d’épouse et souffrent d’anxiété. Leurs grossesses peuvent conduire à des fausses couches », souligne le docteur Narendra Gupta, responsable de l’ONG Prayas, qui aide les populations marginalisées.
Les adolescentes qui veulent échapper au mariage forcé n’ont pas d’autre choix que d’apprendre à vivre loin de leur famille et de leur communauté. Bhagwati, mariée de force à un homme de 40 ans alors qu’elle avait 16 ans, a finalement trouvé refuge auprès du syndicat du peuple pour les libertés civiles. Tout en travaillant la journée, elle à repris les études là où elle les a laissées, lorsqu’elle avait 16 ans, et souhaite devenir policière : « Je rêve qu’une fille rescapée d’un mariage forcé comme moi porte l’uniforme pour faire respecter la loi ».