Après l’échec d’une première tentative fin juillet, EDF va entrer par la grande porte dans l’industrie nucléaire britannique. Le groupe français a annoncé, mercredi 24 septembre, que les dirigeants du premier exploitant britannique de centrales nucléaires ont accepté, à l’unanimité, sa nouvelle offre de rachat de British Energy (BE). A 774 pences par action, celle-ci valorise BE à 12,5 milliards de livres (15,6 milliards d’euros), une valeur à peine supérieure aux 15,45 milliards d’euros proposés par EDF au cours de l’été. EDF sera ainsi le premier acteur du renouveau du nucléaire outre-Manche décidé en 2007 par le gouvernement de Gordon Brown.
Jusqu’à présent récalcitrants devant une offre jugée insuffisante, deux grands actionnaires de BE, Invesco (15 % du capital) et M & G (7 %), devraient accepter la proposition d’EDF. Le gouvernement britannique, qui cède pour sa part les 35 % que l’Etat détient dans BE, a fortement poussé en ce sens. A ses yeux, le groupe français était le mieux placé, par son expertise et son expérience acquises dans l’exploitation du premier parc mondial (58 réacteurs), pour conduire la relance d’une entreprise dont les centrales sont peu performantes. Alors que le taux de disponibilité des centrales de GDF Suez en Belgique (Electrabel) est de plus de 90% et celui des réacteurs d’EDF de 80%, il est tombé à 61% pour ceux de BE en 2007. Et de nombreux sites nucléaires devront fermer dans les quinze prochaines années.
EDF a déjà prévu de construire en Grande-Bretagne quatre EPR, le réacteur franco-allemand de troisième génération conçu par Areva, tout en « maximisant la durée de vie opérationnelle du parc existant de BE ». Le premier EPR pourrait être raccordé au réseau électrique fin 2017. Si le groupe français a reçu le soutien appuyé des autorités britanniques, c’est qu’il est à leurs yeux le plus à même de l’aider à répondre à une double urgence : compenser rapidement le déclin de la production de pétrole et de gaz de la mer du Nord ; atteindre les objectifs ambitieux de réduction des émissions de CO2 qui passe par le développement du nucléaire et des énergies renouvelables (éolien, solaire…).
Mais le gouvernement Brown, soucieux de faire jouer la concurrence sur un marché de l’énergie fortement dérégulé, ne souhaitait pas que l’électricien français soit le seul opérateur nucléaire. EDF devrait donc revendre à Centrica, fournisseur de gaz et d’électricité outre-Manche et maison-mère de British Gas, 25 % de BE pour 3,1 milliards de livres. La porte n’est pas fermée non plus aux grands électriciens allemands E.ON et RWE, qui se partagent déjà 31 % du marché (gaz et électricité) britannique. Bloqué en Allemagne par le moratoire sur le nucléaire, E. ON veut construire des centrales outre-Manche. Et lui aussi a choisi l’EPR.
SA PLUS GROSSE ACQUISITION
En rachetant BE, EDF conforte sa stratégie nucléaire à l’international et répond à son objectif de construire et d’exploiter au moins dix EPR dans le monde d’ici à 2020. Si la coentreprise créée avec l’américain Constellation Energy – racheté la semaine dernière par le milliardaire Warren Buffett – se développe, il devrait mettre en chantier quatre EPR aux Etats-Unis dans les dix prochaines années. Le groupe a aussi bon espoir de remporter rapidement le marché sud-africain, portant dans un premier temps sur deux EPR, dans le cadre du consortium l’associant à Areva et à Bouygues.
Le PDG d’EDF a été critiqué pour un manque d’audace et les échecs répétés de ses tentatives de croissance externe en Espagne (Iberdrola), en Belgique (Distrigaz) et aux Etats-Unis, où Constellation Energy vient de lui échapper alors qu’EDF était mieux disant (35 dollars par action) que Warren Buffett (26,50 dollars). Pierre Gadonneix achèvera son mandat, dans un an, sur la plus grosse acquisition de l’histoire d’EDF.
Jean-Michel Bezat
L’essor mondial du nucléaire
A ce jour, 439 réacteurs nucléaires sont en activité dans le monde. Un chiffre qui devrait augmenter dans les années à venir puisque 39 unités sont en chantier et que près d’une centaine de projets sont signés. Si, actuellement, ce sont l’Amérique du Nord et l’Union européenne qui accueillent le plus grand nombre de réacteurs, l’Asie connaît à son tour un boom du nucléaire civil, avec la Chine et l’Inde en chefs de file.
Cette énergie, réservée depuis des décennies aux pays industrialisés, s’étend donc aux puissances émergentes. Pourtant, la part du nucléaire à l’échelle planétaire est en légère baisse, selon un rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) publié le 11 septembre. Si, entre 1986 et 1995, il représentait 17 % de la production mondiale d’électricité, ce chiffre est descendu à 14 % en 2007. Selon l’AIEA, les projets en cours ne devraient pas empêcher ce taux de poursuivre sa baisse.
Ce phénomène s’explique principalement par une augmentation constante de la demande, qui profite davantage à d’autres sources d’énergie. En plus du nucléaire, l’électricité est aujourd’hui principalement produite grâce au charbon (36 %), aux barrages (21 %), au gaz (16 %) et au fioul (10 %).
Morgane Le Dref