Bien qu’arrivé tardivement sur la scène de l’évolution, Homo sapiens - vieux de seulement deux cent mille ans - domine maintenant la Terre entière. Mais ce « foutu troisième chimpanzé », comme l’appelle l’écologue américain Jared Diamond, a tellement bien réussi qu’il a fait disparaître de nombreuses espèces marines et terrestres, et qu’il menace maintenant sa propre survie. Inquiets, les scientifiques tirent la sonnette d’alarme depuis des années.
« Tous les indicateurs de la biodiversité montrent que le train vers la sixième extinction est lancé à fond », estime Philippe Bouchet, professeur au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) à Paris, et spécialiste de la biodiversité marine. Cette sixième extinction est souvent citée par les chercheurs, en référence aux cinq précédentes, qui ont scandé le monde vivant depuis cinq cent mille ans.
La nouveauté inquiétante est que la partie qui se joue actuellement est due exclusivement à l’homme, qui scie allégrement la branche sur laquelle il est assis. « Peut-être sommes-nous une anomalie de l’environnement ? Peut-être était-il écrit que l’intelligence viendrait par erreur à cette espèce et serait fatale à la biosphère », n’hésite pas à déclarer Edward Wilson, professeur à Harvard, qui a introduit le terme de biodiversité dans la littérature scientifique en 1986.
Il reste un problème de fond. Les spécialistes ne s’accordent pas sur le chiffre des disparitions. « Cela reste pour l’instant de la spéculation, estime M. Bouchet. Les extinctions dont on parle concernent les vertébrés supérieurs (oiseaux, mammifères) qui représentent environ 1 % du total des espèces, alors que l’immense majorité de celles qui disparaissent nous est inconnue. » On a décrit à ce jour environ 1,8 million d’espèces, et on en découvre plus de 16 000 nouvelles par an, principalement des insectes. Combien restent à découvrir ? 5 millions, 50 millions peut-être ? On l’ignore. Certains estiment qu’il faudrait mille ans pour tout recenser.
« En revanche, ce qu’on sait aujourd’hui de la disparition des mammifères et des oiseaux permet de dire que cela représente plusieurs centaines de fois le bruit de fond de l’extinction naturelle », ajoute M. Bouchet. La liste rouge de l’Union mondiale pour la nature (UICN), qui recense 41 415 espèces animales et végétales, reste un bon indicateur des dégâts causés par l’homme à la vie sur Terre. L’organisme estime aujourd’hui que 12 % des oiseaux, 23 % des mammifères, 32 % des amphibiens, 42 % des tortues et 25 % des espèces de conifères sont en danger d’extinction.
Le principal facteur est la fragmentation et la perte des habitats, plus particulièrement dans les zones tropicales, véritable « ceinture de biodiversité » de la planète. A cela s’ajoutent le commerce international des espèces menacées d’extinction et l’introduction d’espèces invasives favorisées par la mondialisation.
Bien que pessimistes devant l’érosion inéluctable de la biodiversité, notamment en raison de l’augmentation démographique, qui verra la Terre peuplée de plus 9,5 milliards de personnes en 2050, les biologistes estiment qu’il faut agir pour éviter le pire. Aussi ont-ils commencé à s’organiser en s’inspirant des climatologues, désormais entendus, sinon écoutés, par les décideurs et les politiques. « Il nous faut obtenir le rayonnement et les outils que s’est donné le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) », assure Anne Larigauderie, biologiste et directrice exécutive du réseau Diversitas. Pour cela, « nous allons synthétiser et vulgariser l’information, alors qu’actuellement, nous nous perdons dans la complexité », précise-t-elle.
Aujourd’hui, cette action se structure en quatre domaines. l’aspect politique est traité au niveau de la Convention sur la biodiversité créée en 1992 et signée par 190 pays. elle s’est fixé pour objectif de diminuer la perte de biodiversité d’ici à 2010. le deuxième domaine d’action est la recherche, organisée par le réseau Diversitas. Cette structure, hébergée au MNHN et mise en place par l’Unesco et l’International Council for Science (ICSU), a pour but de créer une communauté de chercheurs spécialistes de la biodiversité.
Troisième élément, l’évaluation des connaissances sur les données existantes. Elle sera faite par le Millenium Ecosystem Assessment et l’Intergovernmental Platform on Biodiversity and Ecosystem Services (IPBES). Une réunion doit se tenir en novembre à Kuala Lumpur (Malaisie), pour décider des modalités de cette structure, créée en juin, qui se veut l’équivalent du GIEC en matière de biodiversité.
Coût économique énorme
Enfin, le quatrième domaine d’action, et non le moindre, consiste à mesurer les changements que subit la biodiversité « en mettant en place un cadre d’observation périodique et global », ajoute Mme Larigauderie. C’est le rôle dévolu au réseau GEO BON (Group on Earth Observations Biodiversity Observation Network), décidé en avril à Potsdam (Allemagne) et présenté dans la revue Science du 22 août. Il doit mettre en place des stations d’observations permanentes ou non sur tous les continents. Les données recueillies, jointes à celles fournies par les satellites, permettront de faire des modélisations et des prévisions sur l’avenir de la biodiversité.
Le projet, étudié par la Nasa et Diversitas, sera finalisé en Roumanie à la fin de l’année, et sa mise en œuvre effective devrait avoir lieu fin 2009. Le coût de fonctionnement annuel de GEO BON est aujourd’hui estimé entre 200 et 500 millions d’euros.
Les initiatives sont donc nombreuses, et la tardive prise de conscience internationale est de plus en plus importante. D’autant qu’on commence à réaliser que l’appauvrissement biologique aurait un coût économique énorme, en raison des services nombreux et gratuits que rend la nature (nourriture, eau, médicaments, carburants, fibres textiles, pollinisation, etc.).
Chargé par l’Union européenne de faire une évaluation de cette perte, l’économiste indien Pavan Sukhdev, qui doit remettre son rapport en 2010, a déjà fourni une première estimation. Selon lui, la perte de biodiversité dans les seules zones forestières coûterait entre 1 350 et 3 100 milliards de dollars par an d’ici à 2050 si la déforestation continue au rythme actuel. « Une estimation prudente », dit-il.