L’affaire Rouillan ne fait pas dévier Olivier Besancenot de sa route. Attaqué de toutes parts pour ne pas avoir condamné les propos de l’ex-terroriste d’Action directe, le héraut du NPA ne veut pas se laisser enfermer dans la polémique. Samedi, à Pessac, s’il a rejeté le concept de lutte armée, il a surtout expliqué que les tourments actuels relèvent d’une tentative de déstabilisation.
Terrain glissant, Olivier Besancenot le sait. Mais il ne peut plus vraiment reculer. Interrogé par le JDD sur les propos de Jean-Marc Rouillan, l’ex-membre d’Action Directe et nouvel adhérent au Nouveau parti anticapitaliste (NPA), laissant entendre qu’il ne regrettait pas l’assassinat du PDG de Renault en 1986, le porte-parole de la LCR persiste, donc, et signe. L’indignation de la veuve de Georges Besse ? « Qu’elle règle par la justice ses comptes avec Action Directe. Moi, je n’ai rien contre elle, mais on n’a pas été impliqué dans cette histoire-là, ni à l’époque, ni maintenant. »
Samedi, en marge de la fête des collectifs NPA de Gironde réunis à Pessac, près de Bordeaux, Besancenot a martelé sans ciller son discours à deux coups : un, la Ligue a toujours combattu les méthodes d’Action Directe. Deux, lui veut surtout appeler à la mobilisation contre la réincarcération de Rouillan, dont la semi-liberté vient d’être suspendue suite à ses déclarations dans L’Express. « Il a purgé sa peine, il a droit à la réinsertion, estime Olivier Besancenot. La loi ne dit pas qu’on doit demander pardon avant de sortir de prison. » Pour le reste, l’affaire Rouillan n’est pas ici le sujet prioritaire. « Tout le monde s’en fout ! », balance un postier de Bordeaux, qui préfère discuter Poste avec le facteur trotskiste.
« Visiblement, on dérange »
D’ailleurs, si le jeune révolutionnaire tape sur Sarkozy, évoque la crise économique « qui touche le cœur de la bête », il ne cite pas une fois le nom de Rouillan dans son discours d’une heure. Tout juste y fait-il allusion en concluant : « On marque des points, visiblement on dérange, et toutes les occasions sont bonnes pour tenter de criminaliser le NPA. » Une tentative de déstabilisation, donc. Lui se félicite : « Il existe encore une gauche anticapitaliste. C’est peut-être cela qui les emmerde ! » Le sujet Rouillan revient sur le tapis lors d’une mini-conférence de presse (dix minutes montre en main, avec une seule et unique question des journalistes). Réponse prudente du leader trotskiste qui sait combien il marche sur des oeufs : l’ancien activiste a sa place au NPA à partir du moment où il renonce à ses actions passées. Or, ajoute-t-il, Jean-Marc Rouillan « a dit qu’il n’appelait pas à la violence, que le cycle des années 1970-1980 était fini ». Fermez le ban.
Cette adhésion risque pourtant de nourrir l’ambiguïté quant au positionnement du NPA sur la violence. Christian Picquet, membre du bureau politique de la LCR (tendance minoritaire), proclame que « Rouillan n’a pas sa place au NPA. » Clémentine Autain, ancienne adjointe de Bertrand Delanoë, renchérit : « Autant je me battrai contre la réincarcération de Jean-Marc Rouillan, autant il est hors de question que je sois dans le même parti que quelqu’un qui ne semble pas contester la lutte armée comme méthode politique ! » Et d’ironiser : « Je me demande parfois si, aux yeux de certains au NPA, il n’est pas plus grave d’avoir participé à un exécutif avec le PS que d’avoir tué des gens... »
« Le NPA n’est pas la vitrine légale d’Action Directe »
L’image du futur NPA est donc menacée d’un sérieux brouillage. « Personne ne propose aujourd’hui de prendre les armes, tente pourtant de désamorcer Besancenot. Le NPA n’est pas la vitrine légale d’Action Directe en voie de reconstitution ! » Pour enfoncer le clou, il en appelle enfin à l’icône du Che : « Guevara a expliqué qu’il fallait épuiser jusqu’à bout toutes les solutions légales et démocratiques. » « Le grand soir, ce n’est pas forcément la lutte armée. » Chaque militant de la Ligue cite des luttes armées jugées légitimes : résistants face au nazisme, guérillas contre les dictatures d’Amérique latine, lutte des Palestiniens. Pour autant, affirment- ils, il ne s’agit que de violence défensive. « Les révolutions ne sont jamais violentes, ce sont les contre-révolutions qui le sont », assure François Sabado, membre de la direction de la LCR. « Moi, je ne suis pas chrétien, je n’ai pas appris à tendre l’autre joue quand je reçois une gifle », ajoute Daniel Bensaïd, autre militant historique.
Et pour l’heure ? Les amis de Besancenot parlent de « mobilisation ». « Le grand soir, ce n’est pas forcément la lutte armée, mais un bouleversement radical, un Mai 68 poussé jusqu’au bout », rêve déjà le mentor Alain Krivine. Le facteur, tel un super délégué syndical, continue donc : visite aux salariés de Renault mardi, manif sur le logement samedi prochain. Samedi, devant quelque 200 personnes, il proposait de « décréter l’état d’urgence sociale », de « prendre des mesures d’autorité ». En déclinant quelques mesures : interdiction des licenciements, Smic à 1500 euros, levée du secret bancaire... Le tout pacifiquement ? « Du grabuge et de la bagarre sociale, il y en aura encore », convient-il. Samedi, son meeting s’est achevé, comme d’habitude, avec l’Internationale, poing levé.
Marie Quenet
* Paru dans Le Journal du Dimanche du 5 octobre 2008.
« Besancenot plus discret sur Rouillan »
Eric Hacquemand
Au moment où il met sur pied son Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), le porte-parole de la LCR est gêné par l’affaire Jean-Marc Rouillan. En meeting hier, il n’a pas renouvelé son appel à la mobilisation en faveur de l’ex-terroriste d’Action directe.
« ROME ou Bordeaux ? » « Ah non, pas l’Italie, y a les Brigades rouges… » Hier après-midi, au moment de prendre son vol pour Bordeaux où il doit tenir meeting, l’ironie d’Olivier Besancenot cache mal un certain agacement. En laissant entendre dans une interview à « l’Express » qu’il n’avait aucun remords, Jean-Marc Rouillan, ancien cofondateur du groupe terroriste Action directe et nouvelle recrue du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), a pourri le début d’automne du facteur. Pourtant, la crise du capitalisme conjuguée aux bisbilles d’avant-congrès du PS ouvrait un boulevard au NPA. Mais voilà : l’affaire Rouillan lui colle désormais à la peau. Alors hier, dans la salle de Pessac où le NPA local organise « douze heures de fête », c’est « no comment ». Fanny, une militante, lit un communiqué laconique présentant la révocation de la semi-liberté dont jouissait Rouillan jusqu’à vendredi comme « une décision inique ». A la tribune, Besancenot campe sur ses positions : « Le remettre en taule pour un sous-entendu, c’est maigre. » Mais il n’en rajoute pas. Plus à l’aise sur la crise, le facteur fustige dans son discours « un système qui étouffe dans son sang », dénonce la privatisation de la Poste et oppose à l’unité nationale de Nicolas Sarkozy « l’unité sociale de tous les salariés »… Et il ne réitère pas son appel à la mobilisation de toute la gauche pour la remise en liberté de l’ancien d’AD.
« Moi, je suis plus Gandhi que Malcolm X… »
Dans les rangs du NPA, l’arrivée de Rouillan divise. Les « anciens », expérimentés, ne sont pas gênés. Ainsi Michel, solide ouvrier de la métallurgie, syndiqué chez SUD, lance : « Et Giscard qui a dorloté Maurice Papon, personne ne lui dit rien… » En revanche, l’absence de regrets affichée par Rouillan fait douter les plus jeunes. Pour Florian, 24 ans, chef d’atelier en mécanique, potentiel adhérent du nouveau parti, « Rouillan n’y a pas sa place. Mon programme, ce n’est pas la lutte armée. » A ses côtés, son copain Christian vient d’acheter le livre de Besancenot « Révolution ! » paru en 2003. Page 80, il lit : « Les révolutionnaires n’ont vraiment pas besoin de violence pour défendre leurs idées. » « Moi, je suis plus Gandhi que Malcolm X… La lutte armée en 2008, c’est anachronique, le NPA devrait être plus clair face au cas Rouillan », reprend Christian, futur enseignant. Olivier, professeur, met les points sur les « i » : « Pas question de mener une campagne pour obtenir sa libération, on a d’autres chats à fouetter en ce moment. » A la tribune, Besancenot balaye les critiques : « Il y a une gauche anticapitaliste et c’est ça qui les emmerde ! » lance-t-il, concluant son discours poing serré sur fond d’« Internationale ».
* Article publié dans Le Parisien du dimanche 5 octobre 2008