Le 13 juillet 2001, sous l’autorité et la présidence de Juan Antonio Samaranch – franquiste notoire et membre de l’Opus Dei –, le Comité international olympique (CIO) a accordé à la ville de Pékin (Beijing) le droit d’organiser les jeux de la 39e Olympiade, du 8 au 24 août 2008. Près de douze ans après la répression étudiante de la place Tiananmen, en 1989, le CIO fait le choix politique de la Chine, malgré les innombrables violations des droits de l’Homme et l’absence de droits politiques et syndicaux. Ce n’est pas la première fois, dans l’histoire des Jeux, que l’olympisme se retrouve soluble dans la répression des peuples.
Il y a 40 ans, le mouvement étudiant mexicain était réprimé dans le sang pour permettre la tenue des Jeux. C’était en 1968. Le président du CIO de l’époque, Avery Brundage – sympathisant nazi notoire – s’en félicita, au nom des valeurs de l’olympisme. L’ouverture du marché intérieur chinois à la concurrence libérale mondialisée, ainsi que les juteux profits qui en découlent, méritent bien quelques cacophonies géopolitiques complexes.
L’hypermédiatisation cathodique dont va profiter la Chine ne peut tolérer aucune manifestation, ni aucune contestation publique et politique. La réussite des JO ne pourra donc se faire qu’au prix d’une sérieuse « normalisation interne », et les dirigeants chinois entendent bien mettre le paquet pour que tout se déroule sans problème, afin de laisser les télévisions retransmettre les épreuves olympiques.
Droits humains
Le parcours chaotique de la flamme olympique a réveillé l’actualité sur les relations entre le CIO et les autorités chinoises, rappelant ainsi à l’opinion publique les « engagements de la Chine » lors de l’attribution des Jeux. Pris dans la tourmente internationale, le CIO a été contraint de rappeler à Pékin ses engagements « pour faire avancer la question sociale, notamment celle en faveur des droits de l’Homme ». La réponse en forme de boomerang a placé le CIO au centre de ses propres contradictions et de ses mensonges. Aux déclarations de « neutralité » du CIO, souvent transformées en complaisance vis-à-vis des régimes dictatoriaux, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois, M. Jiang Yu, a vertement rétorqué : « J’espère que les responsables du CIO continuent d’adhérer aux principes de la charte olympique. »
Le message est clair, les droits de l’Homme, la répression politique et syndicale, la cyber-délinquance, l’absence de droit du travail sont des thèmes politiques, donc cela ne regarde ni les Jeux olympiques, ni le mouvement olympique. Ce sont des affaires intérieures, qui ne concernent que les autorités chinoises. D’ailleurs, les responsables du CIO, qui conservent la mémoire d’un poing levé à Mexico en 1968, rassurent les organisateurs chinois : « Nous disons aux athlètes que les démonstrations politiques aux cérémonies d’ouverture et de podium sont interdites. »
Les autorités chinoises s’étant assurée de la bienveillance du CIO, il leur reste à gérer les supporters. 100 000 policiers et 600 000 « volontaires » sont chargés d’assurer la sécurité des étrangers, mais aussi et surtout leur surveillance. Visas accordés après un examen attentif, apolitisme imposé aux sportifs, surveillance renforcée des lieux de supporters : tout est fait pour empêcher les comportements déviants des étrangers. Ce dispositif est le résultat de 57 règles définissant le comportement des supporters. Il leur est ainsi interdit de dormir en plein air ou dans les lieux publics, ainsi que de participer à toute démonstration de nature politique, ethnique ou religieuse. Toute conduite ne satisfaisant pas à la charte olympique, au « règlement du spectateur » et à la loi chinoise, sera « réprimée avec fermeté ».
Enfin, pour garantir un contrôle politique total, il ne sera pas possible de « manifester, d’organiser des défilés ou de se rassembler sans une autorisation préalable ». Le profil type du supporter est donc tracé. Il ne dira rien, ne fera rien d’autre que participer aux manifestations… olympiques. Silence, on joue. La vie nocturne pékinoise devra aussi s’arrêter de bonne heure. Les bars, les terrasses, les bouis-bouis, les lieux de détente et de convivialité seront fermés ou sous contrôle. Le trajet entre l’hôtel et le stade risque de devenir bien vite monotone et ennuyeux… Les 40 milliards d’investissement destinés à relooker la ville à et à réaliser les infrastructures olympiques ne suffiront pas à faire oublier que la Chine est un État policier.
Les sponsors, maîtres du jeu
Depuis 1980, les sponsors font la loi sur le marché olympique et au CIO. La Chine voit sa productivité exploser et son marché intérieur offre un potentiel de 1,4 milliard de consommateurs. Tous les acteurs de fabrication d’articles sportifs se bousculent au portillon pour sponsoriser les Jeux, tout comme les entrepreneurs comptant s’implanter sur le marché chinois. La Chine a été choisie pour cela, et c’est une formidable opportunité que les « investisseurs » ne souhaitent pas laisser passer. La vraie compétition est ici.
À leur tour, les athlètes sont sponsorisés par les mêmes marques. Les places sur le podium et la performance réalisée détermineront la hauteur de l’enveloppe à recevoir. Ce qui les plonge dans le système du dopage : le philosophe Peter Sloterdijk affirme ainsi que « Pékin sera le plus grand rassemblement de dopés de l’histoire de l’humanité ». C’est le business qui fait ou défait un champion. Pour les athlètes, la question des droits de l’Homme passe au second plan.
Les compétitions sportives internationales sont bien entrées dans une géopolitique du lobbying, qui détermine si un président du la République ira ou non à la cérémonie d’ouverture, si le Parlement européen mange son chapeau ou non. La menace d’un boycott marche dans l’autre sens, et la pression exercée par la Chine sur les relations économiques avec la France vaut toutes les capitulations. À de rares larmes de crocodile près, la classe politique française se retrouve à l’unisson pour que Sarkozy soit présent à la cérémonie d’ouverture, aux côtés de son grand ami Bush. Deux experts en politique de droits de l’Homme…
Tous ceux qui avaient la main sur le cœur au moment de Tiananmen l’ont dans la poche aujourd’hui, avec le mouchoir par-dessus. Le tapis rouge olympique est déroulé. Les autorités chinoises et leurs alliés du CIO ont réussi leur coup : ne montrer que des jeux, rien que des jeux. À moins que, dans un dernier réflexe politique, dans un dernier soubresaut de conscience, nous n’allumions pas la télé !