A la mi-juillet dans les centrales nucléaires française, en moins de quinze jours, quatre « incidents » ont été porté à la connaissance publique. Ces « incidents » à répétition ont révélé de nombreux disfonctionnements particulièrement inquiétants. Cent salariés ont été contaminés par une fuite sur le seul site du Tricastin (et au total 126 sur la période considérée). A Romans-sur-Isère, une conduite défectueuse laissant échapper de l’uranium a été découverte par hasard – et nul ne sait quand elle a cédé. Au Tricastin déjà, à l’occasion d’une précédente fuite, la contamination d’une nappe phréatique a été constatée mais reste, pour les autorités, inexpliquée (elle provient peut-être d’une ancien dépôt militaire).
Tout cela révèle une absence de contrôle et de maîtrise inexcusable dans une filière industrielle aussi dangereuse que le nucléaire. Mais il y a plus. Les industriels (Areva), l’Autorité de sûreté (l’ASN) et le gouvernement ne cessent de mentir sur la réalité des risques encourus.
Le premier mensonge concerne la gravité sanitaire des contaminations. Elles sont présentées comme sans danger, puisque bien au-dessous du taux annuel autorisé (encore heureux, pour une mesure ponctuelle !). Surtout, on laisse entendre qu’une dose de radioactivité « faible » ne peut avoir d’incidence sur la santé des personnes touchées. C’est faux.
Chaque exposition à la radioactivité artificielle présente un danger. La très officielle Commission internationale de Radioprotection (CIPR) notait ainsi en 1990 (déjà !) que « toute dose de rayonnement comporte un risque cancérigène et génétique ». [1] C’est particulièrement vrai quand il y a contamination (et non seulement irradiation), c’est-à-dire quand des particules, respirées ou avalées, entrent dans l’organisme : si elles se fixent sur un organe, la probabilité d’apparition d’un cancer croît considérablement. Le lobby nucléaire joue sur le fait que ces conséquences sur la santé mettent souvent plusieurs années à se manifester pour affirmer, en utilisant le temps présent, qu’il il n’y a [aujourd’hui] aucun dommage – en faisant silence sur ce qui peut arriver demain. Cet usage manipulatoire de la grammaire relève de la désinformation grossière !
Les taux règlementaire d’exposition à la radioactivité artificielle ne définissent donc pas un seuil médical en deçà duquel il n’y aurait pas de risque. Il définissent le coût humain jugé légalement acceptable pour le développement d’une activité économique : par exemple (selon un calcul hypothétique de la Criirad), 219 décès annuels par cancers radio-induits. [2] Ce « coût acceptable » est négocié dans la plus grande opacité entre industriels et « autorités » concernées.
Encore un fois, le CIPR a très clairement précisé les choses : la limite maximale de dose admise n’est pas « une ligne de démarcation entre ce qui est sans danger et ce qui est dangereux ». Elle constitue en fait une frontière entre l’inacceptable et le tolérable. Le Code du travail ne se trompe pas sur la nature des réglementations, puisqu’il demande que « les expositions professionnelles » soient maintenues en dessous de ces limites, « au niveau le plus faible qu’il est raisonnablement possible d’atteindre ». On ne sait trop ce qui est « raisonnable », mais on a compris que plus le taux est bas, mieux cela vaut !
Second mensonge : les niveaux. Le lobby nucléaire mesure la gravité des incidents sur une échelle de gravité qui va de 0 à 7. Le tout est assez obscur. Mais il est certain que les niveaux récemment annoncés sont falsifiés. Ainsi, après la contamination « faible » des cent salariés du Tricastin, « l’incident » était classé à… 0 (quoi de plus rassurant !). Or, selon l’échelle officielle, quand il y a contamination, le niveau de gravité devrait être au moins de 2 (et peut-être plus). De même, la fuite d’uranium du 7 juillet dernier a été classée à 1 (une simple « anomalie »). Or, en cas de « rejet », même mineur, avec exposition du public, il s’agit au moins d’un « incident grave » de niveau 3 (et peut-être plus).
Les nucléocrates commencent par mentir sur les risques encourus, puis en profitent pour « dégrader » l’incident (faisant comme s’il n’y avait eu ni contamination ni rejet).
Troisième mensonge : un soucis croissant de sûreté. Depuis 40 ans, on nous promet à chaque incident que les règles de sûreté vont être améliorée. Le recours croissant aux intérimaires et la prolifération nucléaire prouvent le contraire.
Les « nomades du nucléaires ». Le code du travail interdit le recours au travail temporaire pour des activités dangereuses – mais les rayonnements ionisants (la radioactivité) sont exclus de cette liste (sauf à un niveau très élevé de radiation). Voici encore une belle illustration du pouvoir politique du lobby nucléaire…
EDF peut ainsi faire appel à des entreprises extérieures pour la maintenance de ses centrales, dont les salariés (les « nomades du nucléaire ») passent de chantier en chantier. Pour assurer ces travaux, il faut arrêter la production d’un réacteur – ce qui fait perdre de l’argent. Résultat, EDF a considérablement diminué le temps dévolu à la maintenance (dont la sûreté dépend !). En 1990 un arrêt de tranche durait 2 à 3 mois. Aujourd’hui, pour les plus long, un mois et demi. Dans les cas les plus simple, il peut tomber à 18 jours. [3].
Les « nomades du nucléaires » sont sous-payés et surexploités. Ils prennent des risques importants puisqu’ils sont envoyé travailler dans les secteurs les plus « chaud », là où « ça crache ». Quand ils ont encaissé la limite annuelle légalement admise de rayonnement, ils sont… « mis au vert », à savoir licenciés. Ils se retrouvent sans emploi, le temps au moins que les indications de dose reçue ne redescendent.
Travaillant dans des conditions particulièrement dangereuses, les salariés de la sous-traitance devraient bénéficier d’une surveillance médicale permanente, assurée dans la durée, toute leur vie. C’est pourtant l’inverse qui se produit. Ce suivi est en effet de la responsabilité de l’employeur direct – un employeur lui-même… temporaire : il se débarrasse dès que nécessaire des cas problématiques. L’opacité règne d’autant plus que les entreprises extérieures peuvent sous-traiter elles-mêmes les chantiers qui leurs sont confiés.
Tout cela est bien commode pour Areva et EDF qui se libèrent de leurs responsabilités. Or, les sous-traitants assuraient dans les années 1990 50% des activités de maintenance des centrales, pour 80 à 90% aujourd’hui : la précarité sociale et sanitaire croît simultanément. [4]
Le nucléaire partout. Plus encore que ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy se fait le VRP international de l’industrie française de l’atome. Il cherche à vendre « nos » centrales partout, de la Lybie à la Chine. C’est dire à quel point les considérations de sûreté n’ont que peu d’importance aux yeux de ceux qui nous gouvernent. En effet, la sûreté n’est pas avant tout (ou seulement) une question technique (ou technologique). C’est aussi et beaucoup une question politique. Le terrible accident de Tchernobyl montre ce qu’il advient quand une puissance nucléaire (l’ex-URSS) entre en crise de régime.
Cette question fondamentale suffit à condamner le recours au nucléaire dans tous les pays. Qui peut en effet garantir un fonctionnement régulier, optimum, des structures industrielles, administratives et politiques de production et de contrôle pendant des siècles, voire des millénaires (pour gérer l’immense stock de scories radioactives légué aux générations futures) ? Combien de crises de régime, de guerres ou de révolutions vont se produire dans l’environnement nucléarisé que nous impose le lobby de l’atome ?
Mais ce qui est frappant, c’est que le complexe militaro-industriel de l’atome est prêt à vendre ses centrales dans des pays qui sont aujourd’hui instables. Il est prêt à implanter l’énergie nucléaire dans toutes les zones densément habitées du monde alors que nous vivons aujourd’hui des temps de guerres et de crises multiples. Difficile d’afficher plus clairement son irresponsabilité criminelle.
Quatrième mensonge : la communication. Au-delà des exemples particuliers mentionnés ci-dessus (présentation des risques et des « niveaux »…), c’et toute la politique de communication du lobby nucléocrate qui est mensongère. Les mots sont choisis pour cacher la réalité : déchets « à faible activité » (en oubliant de préciser qu’ils sont néanmoins dangereux), déchets « à vie courte » (en oubliant de préciser qu’ils peuvent néanmoins rester dangereux pendant des siècles – ou plus encore…). Les images aussi doivent faire passer le nucléaire pour une énergie « propre » alors, que des mines d’uranium à la fabrication de déchets radioactifs, elle est particulièrement « sale ».
Le lobby nucléaire est l’un des premier à avoir massivement utilisé la « publicité idéologique » : la multiplication de spots qui n’ont pas pour fonction d’augmenter les ventes, mais de décrédibiliser les critiques et d’anesthésier l’opinion publique sous un matraquage médiatique. Le recours à de tels mécanismes de « lavage de cerveau » est l’un des symptômes les plus évident du caractère antidémocratique des lobbies concernés.
Le mensonge originel. Le pouvoir nucléocrate s’est construit sur un immense mensonge originel. Il ne pouvait avouer qu’il faisait courir à l’humanité un risque majeur (aussi grand que le changement climatique) pour un avantage dérisoire : un siècle de production marginale d’énergie. Il ne pouvait admettre qu’il n’avait aucun moyen de détruire la radioactivité – ce qui fait que le nucléaire n’est pas une industrie polluante comme les autres et présente un niveau de dangerosité sans équivalent. Il ne pouvait pas plus admettre que d’autres lignes de développement auraient permis de répondre aux besoins en électricité tout en réduisant plus efficacement la dépendance énergétique – sans présenter les mêmes dangers.
L’admettre, c’était avouer qu’il ne servait ni la population ni l’environnement, mais le profit et, surtout, le pouvoir de quelques uns – car le nucléaire est une affaire de pouvoir encore plus que de gros sous. C’est bien pourquoi l’atome civil est indissolublement lié dès l’origine à l’atome militaire – et qu’ils prolifèrent aujourd’hui de concert.
Nous vivons dorénavant sous la double menace du nucléaire civil (accident majeur, hausse perlée de la radioactivité, empoisonnement de l’environnement…) et militaire (guerre et terrorisme…). Pour limiter ces dangers, il est plus urgent que jamais de sortir du nucléaire civil et d’imposer le désarmement nucléaire universel.
Le pouvoir nucléocrate a obtenu, hier, que le « Grenelle de l’Environnement » ait le droit de discuter de tout (ou presque) sauf de l’industrie de l’atome. On voit aujourd’hui à quel point ce fut une erreur de la part de bon nombre d’associations que d’accepter ce chantage.