Trois ans après les « non » français et hollandais, le vote irlandais force les éditorialistes à s’interroger. Ainsi, dans Le Point, Claude Imbert délivre ce morceau d’anthologie : « Exemplaire, le pied de nez irlandais ? Oui, si vous pensez que victime, au temps jadis, d’une atroce misère, confite dans un catholicisme bigot, accablée par un peuplement prolifique, la verte Irlande n’a dû qu’à l’Europe d’échapper à la séculaire infortune de ses tourbes et de ses embruns. » Du « second degré », cette succession de clichés folkloriques et méprisants ? Rien n’est moins sûr, si l’on se souvient des commentaires arrogants après le 29 mai 2005 français. Alors, les éditorialistes alternent recherche effrénée d’un moyen pour passer outre et regrets, comme Jean Daniel dans Le Nouvel Observateur : « J’enrage lorsqu’on considère comme anachronique de rappeler, et surtout aux jeunes gens, que la fondation de l’Europe a été l’une des plus belles ambitions de l’humanité. Des grandes nations habituées à se faire la guerre tissaient entre elles des liens qu’aucun empire ni aucun despote n’imposait. »
Comme si l’un des ressorts du vote irlandais n’était pas, précisément, le refus du militarisme de l’Union européenne ! Mais il s’avère difficile d’échapper à un doute majeur : qu’auraient fait les peuples européens si, comme les Irlandais, ils avaient été consultés ? Pour Christophe Barbier (l’Express) : « Si la France avait voté, le “non” aurait sans doute gagné. » Ce que confirme d’ailleurs un sondage commandité par Ouest France. Et Claude Imbert ne dit pas autre chose : « N’en doutons pas : plusieurs peuples européens eussent voté comme les Irlandais dans un semblable référendum. » Même s’il ajoute aussitôt : « Et, loin de la question posée, déversé, dans les urnes, leurs malaises du jour. » Avant de s’interroger : « Un tel projet peut-il se passer du tamis réflexif de la représentation parlementaire ? Peut-il éviter ainsi la démagogie médiatisée qui, sur des affaires de cette nature, en exploitant l’ignorance, infecte les scrutins ? » Tamis réflexif ? Expression élégante pour dire le viol de la démocratie ! C’est là la vraie leçon tirée par nos élites : assumer sans complexe leur aristocratique mépris du peuple, de la démocratie et du suffrage universel…