« Être de gauche, c’est une façon agréable d’être de droite », disait la marionnette de Dominique Strauss-Kahn aux Guignols. À l’époque, le nouveau patron du FMI représentait l’aile droite du PS. Aujourd’hui, les manœuvres avant le congrès du PS, en novembre prochain, semblent prouver que, parfois, la réalité dépasse la caricature. La publication de l’ouvrage de Bertrand Delanoë, De l’audace !, dans lequel il s’affirme « socialiste et libéral », semble démontrer que, désormais, un congrès du PS se gagne à droite [1]. Bien entendu, une telle prise de position a un côté factice et marketing. Delanoë a voulu faire un coup d’éclat médiatique, être au centre du débat.
Au-delà des calculs politiciens, ce débat autour du libéralisme correspond à de profonds changements au sein du PS. Ce dernier a subi des échecs, en 2002 et 2007, très douloureux pour un parti de gouvernement. Une partie de ses dirigeants a cédé aux sirènes de l’ouverture sarkozyste. Les autres se posent des questions stratégiques de fond, car ils ne comptent pas rester dans l’opposition toute leur vie. Et, forcément, ils reviennent sur l’expérience de Tony Blair en Grande-Bretagne. Ce dernier a réussi à transformer en profondeur le Parti travailliste, après des années de pouvoir conservateur, en menant un véritable combat idéologique. Il a repris à son compte à la fois l’idéologie et le vocabulaire des néolibéraux pour faire d’un parti créé par les syndicats, en 1906, la pointe avancée de la modernisation capitaliste, avec le New Labour. Depuis 1997, les travaillistes ont su montrer aux élites dirigeantes britanniques qu’ils étaient capables de défendre leurs intérêts de façon plus efficace que les conservateurs, acceptant l’héritage économique de Thatcher et son champ de ruines social.
Un tel exemple donne des idées au PS. La campagne menée en 2007 par Ségolène Royal, sans que ce soit vraiment théorisé, allait déjà dans le sens d’un rejet de la tradition socialiste. Par la suite, le maire d’Evry, Manuel Valls, s’est positionné comme le champion d’une nouvelle « alliance entre le progrès et le business », celui qui voulait « construire une nouvelle force politique, comme Blair l’a fait avec le New Labour » [2]. Affirmant que « Parti socialiste, c’est daté », il entendait démontrer que les socialistes sont « plus compétents et meilleurs gestionnaires que la droite ». Pas de chance, celui qui espérait ainsi afficher un profil original et porteur s’est fait doubler sur sa droite par Delanoë ! Le projet de refondation du PS semble désormais dépasser largement les rêves du général sans troupes et sans courant qu’est Manuel Valls.
Changement de disque dur
Dans son livre, Bertrand Delanoë prend bien soin de distinguer libéralisme politique et économique. Royal elle-même affirmait, en mars dans Le Point, que le libéralisme politique est « depuis l’origine indissociable du socialisme démocratique ». Il y a toute une tradition de débat philosophique sur cette distinction. Mais quand des responsables politiques socialistes majeurs s’affichent libéraux, la fonctionnalité est tout autre qu’un simple débat de spécialistes. Dans le cas de Delanoë, l’affirmation va de pair avec tout un discours libéral, au sens économique du terme : un « bon socialiste » doit être un « bon manager », « l’économie de marché n’est pas un débat, c’est un fait », et elle seule « crée des richesses nécessaires au progrès social ». On croirait entendre Laurence Parisot… Cette acceptation de l’économie de marché n’est pas la lubie d’un leader isolé, mais elle correspond à l’esprit de la nouvelle déclaration de principes du PS. « Les socialistes sont partisans d’une économie sociale et écologique de marché » (article 6), ils veulent « concilier l’économie de marché, la démocratie et la cohésion sociale » (article 8).
Ces orientations théoriques ont des conséquences concrètes. Au-delà des querelles de personnes, Royal, Delanoë ou Valls approuvent la contre-réforme des régimes spéciaux. Delanoë regrette que les socialistes, trop « pusillanimes », ne l’aient pas accomplie eux-mêmes. Il regarde « avec intérêt » le projet d’autonomie des universités, revendique flexibilité et mobilité pour les salariés. Il dresse, à partir de son expérience parisienne, un modèle de partenariat avec le secteur privé pour les services publics, sur l’exemple de Vélib’ ou de la distribution de l’eau. Les accusations d’être « étatiste » ou « protectionniste » sont rejetées sur Sarkozy. Les dirigeants socialistes revendiquent la remise en cause des acquis sociaux, privatisation des services publics, au nom de la modernité. Ils le font non pas une fois au pouvoir, mais alors même qu’ils sont dans l’opposition. Il y a là un changement complet du disque dur socialiste. Ils acceptent aussi le revers sécuritaire de la médaille libérale : expulsion des sans-papiers, lutte contre le terrorisme érigée en « principal défi international », « centres éducatifs fermés » pour les mineurs délinquants.
Gestion du système
Révélateur d’un rapport de force dégradé pour le monde du travail, ce discours rénové n’a plus comme ambition de s’adresser aux classes populaires, même si elles peuvent encore considérer le vote PS comme un outil contre la droite. Dans le livre de Delanoë, le mouvement ouvrier est relégué dans la « conscience du passé », héritage de l’« histoire ». Ce sont désormais les nouvelles élites issues de la mondialisation qu’il s’agit de convaincre du caractère plus moderne, plus libéral, des socialistes, par rapport à la droite, dans l’unique perspective de 2012. Une telle évolution correspond à une modification profonde de la sociologie du PS, devenu un parti de cadres, d’élus et de professions supérieures [3]. À Paris, Delanoë est plus crédible que la vieille droite vis-à-vis de ces catégories de la population.
Le nouveau pari du PS, face à la droite sarkozyste, est de parvenir de faire de même à l’échelle de la France. Dans ce projet, les intérêts populaires ne comptent pas, et l’aile gauche du PS, renonçant une fois de plus au combat, se prépare à soutenir les « reconstructeurs », autour d’Aubry et de Fabius. Le triste sort de la coalition Prodi en Italie, la défaite du SPD allemand ou celle annoncée de Gordon Brown en Grande-Bretagne permettent de douter de l’efficacité à long terme de cette tactique, outre ses dégâts sociaux. À nous de démontrer, avec le NPA, qu’une vraie gauche est capable de s’opposer à la droite, dans les luttes, les urnes et par les propositions, plus efficacement qu’un PS qui a renoncé à changer le monde. Quand les prétendus réformistes ne proposent plus d’autres réformes que celles de la droite, il y a de la place pour ceux et celles qui refusent de se résoudre à être des gestionnaires du système.