C’est un vendredi 13 que nous apprenons qu’au pays du trèfle à quatre feuilles, le peuple a exprimé son rejet non pas de l’union des peuples d’Europe, mais d’une Union européenne qui détruit les avancées démocratiques et les acquis sociaux, qui met les Européens en concurrence les uns contre les autres, qui pousse à la mondialisation néolibérale dans les enceintes internationales et dans les relations bilatérales.
Ce qui est en cause, ce qui est au cœur du débat, c’est la réponse à la question : l’Europe pour quoi faire ? Pour renier les valeurs communes ou pour les protéger et les approfondir ?
C’est en Europe qu’est née l’aspiration démocratique. Comment l’Union européenne respecte-t-elle cette aspiration ? C’est en Europe que s’est élaborée une vision alternative au libéralisme économique qui s’est traduite par une succession de réformes instaurant de la régulation et de la redistribution comme étapes soit vers un adoucissement du capitalisme, soit vers un dépassement de celui-ci. L’Union européenne s’inscrit-elle dans cette double progression ou la remet-elle en cause ?
Il est manifeste que c’est uniquement dans sa rhétorique que le projet européen tel qu’il se développe porte la double exigence démocratique et sociale.
Ce projet européen nie la souveraineté populaire. Il confère aux institutions qui détiennent le pouvoir exécutif (Commission européenne ; Conseil des ministres) des pouvoirs considérables, mais prive les peuples du pouvoir élémentaire de juger et de sanctionner les politiques conduites par ces institutions. Il n’y a aucune possibilité de changer la Commission européenne par le suffrage universel. Il n’y a aucune possibilité de changer le Conseil des Ministres par le droit de vote (il faudrait changer 27 gouvernements !). Le Parlement européen, la seule institution issue du suffrage universel, n’a ni le droit de proposer ses propres textes, ni le droit d’adopter les législations européennes en toute indépendance, ni le droit de décider des recettes de l’Union. Son droit de contrôle de la Commission est ténu. L’indépendance des juges de la Cour de Justice européenne n’est pas garantie. La séparation des pouvoirs, un des principes fondamentaux de la démocratie, est bafouée en permanence.
Le citoyen européen, ainsi dépouillé de toute capacité d’influencer les choix du pouvoir exécutif européen, observe avec consternation que ce pouvoir exécutif use des attributions qui lui ont été conférées pour démanteler les acquis obtenus de haute lutte pour que des mécanismes de régulation et de redistribution encadrent le capitalisme. Pour les femmes et les hommes qui considéraient cet adoucissement du capitalisme comme une fin en soi comme pour celles et ceux qui le considéraient comme une étape vers un dépassement du capitalisme, force est de constater que l’Union européenne, décisions après décisions, directives après directives, démantèle ces mécanismes et pousse au plan international à des choix contraignants qui ont l’ambition de rendre ce démantèlement irréversible. Le plus souvent d’ailleurs à l’initiative des partis qui prétendaient adoucir le capitalisme.
En droit international, un traité ne peut entrer en vigueur que s’il a été ratifié par toutes les parties signataires. La décision du peuple irlandais met fin au Traité de Lisbonne. Mais on peut être certain, il suffit d’entendre Barroso, le Président de la Commission européenne, que tout sera tenté pour ignorer la voix du peuple irlandais et les règles du droit qu’on n’applique que lorsqu’elles conviennent. L’Union européenne ? La forme moderne du despotisme. La Commission européenne ? Une Bastille à prendre.