Le vote irlandais risque de replonger l’Union européenne (UE) dans une nouvelle crise institutionnelle. Invités à se prononcer par référendum sur le traité de Lisbonne, jeudi 12 juin, les Irlandais ont rejeté à 53,4 % ce texte, selon les résultats définitifs annoncés vendredi en fin d’après-midi par les autorités de Dublin. Le taux de participation s’est élevé à 53,1 %. Pour entrer en vigueur, le traité doit être ratifié par l’ensemble des Etats membres de l’UE. Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a estimé malgré tout que « les ratifications qui restent à faire devraient continuer à suivre leur cours ». Plusieurs capitales européennes sont allées dans le même sens.
Plus tôt dans l’après-midi, la classe politique irlandaise se préparait déjà à un rejet clair. « Il semble que ce soit le ’non »’ qui l’emporte, avait déclaré, avant même l’annonce des résultats partiels, le ministre de la justice, Dermot Ahern, qui s’exprimait depuis sa circonscription de Dundalk. « C’est évidemment décevant. » Selon le ministre chargé des affaires européennes, Dick Roche, les zones ouvrières urbaines et les circonscriptions rurales ont plutôt voté « non », tandis que le « oui » fait mieux dans les zones urbaines de la classe moyenne.
« LISBONNE EST MORT »
Pour le chef de fil du Parti travailliste, une formation d’opposition qui avait pourtant défendu le « oui », le traité de Lisbonne « est mort ». Même constat dans le camp adverse où Gerry Adams, le président du parti nationaliste Sinn Fein, a estimé qu’il s’agissait de « la fin du traité de Lisbonne », avant d’ajouter que la victoire du « non » était « une base pour une renégociation » du traité. De son côté, l’homme d’affaires Declan Ganley, figure du « non » pendant les débats qui ont précédé le scrutin, a déclaré que c’était « une grande et belle journée pour tout Irlandais et tout Européen ». C’est « la troisième fois que le même message est envoyé par plusieurs millions de citoyens européens à une élite à Bruxelles non élue et qui n’a pas de comptes à rendre », a-t-il ajouté.
Un peu plus de trois millions d’électeurs étaient appelés jeudi à voter lors du seul référendum organisé sur le traité de Lisbonne en Europe. Les vingt-six autres Etats membres de l’UE ont opté pour une ratification par la voie parlementaire, ce que dix-huit capitales ont déjà fait. La situation rappelle le « non » opposé à la Constitution européenne en 2005 par la France et les Pays-Bas, ainsi que par les Irlandais en 2001 au traité de Nice. Il avait alors fallu organiser un deuxième vote en Irlande pour faire adopter le texte ; cette fois, il n’y aura pas de second référendum. C’est ce qu’avait assuré le gouvernement irlandais avant le scrutin. Dublin avait justifié en 2001 un deuxième vote par la faible participation, moins de 35 % des électeurs s’étant déplacés. Avec un taux de participation jeudi de 53,1 %, l’argument serait sans doute moins facilement recevable. Les dirigeants européens devront décider, les 19 et 20 juin lors d’un sommet à Bruxelles, comment sortir de cette impasse.
LEMONDE.FR avec Reuters et AFP | 13.06.08 | 12h16 • Mis à jour le 13.06.08 | 19h53
Le président de la Commission européenne appelle à poursuivre la ratification
Le résultat du référendum irlandais sur le traité de Lisbonne était fortement attendu, vendredi 13 juin en Europe, le traité ne pouvant entrer en vigueur que s’il est ratifié par les Vingt-Sept. Malgré le « non » irlandais, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a appelé à la poursuite des ratifications du traité dans les pays de l’Union européenne (UE). Il a également précisé que le gouvernement irlandais estime que malgré le « non » quasi certain, le traité « n’est pas mort ». Un avis partagé par la plupart des gouvernements européens.
« Nous espérons que les autres Etats membres poursuivront le processus de ratification », ont déclaré le président français, Nicolas Sarkozy, et la chancelière allemande, Angela Merkel, dans une déclaration commune. De son côté, le secrétaire d’Etat aux affaires européennes français, Jean-Pierre Jouyet, s’est dit « effondré » par le « non » irlandais, avant de retirer ce mot et de juger que « l’Europe n’est ni en panne ni en crise ». Le chef de la diplomatie espagnole, Miguel Angel Moratinos, a estimé pour sa part que le « non » de l’Irlande au traité de Lisbonne n’était « pas une bonne nouvelle », jugeant toutefois que l’Europe n’allait « pas s’arrêter » et qu’une « solution » serait trouvée.
« LE TRAITÉ N’ENTRERA PAS EN VIGUEUR AU 1ER JANVIER 2009 »
« Cette décision n’est pas bonne pour l’Irlande, elle n’est pas bonne pour l’Europe et elle n’est pas bonne pour le Luxembourg », a déclaré le premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, qui estime qu’« il est clair que le traité de Lisbonne n’entrera pas en vigueur au 1er janvier 2009 ». Les pays de l’UE devront trouver ensemble une solution à l’impasse institutionnelle, a estimé le ministre des affaires étrangères portugais, Luis Amado. « Nous devrons évaluer conjointement, et notamment avec le gouvernement irlandais, quelles options nous permettraient de sortir de la crise dans laquelle est plongée l’Europe », a-t-il déclaré, ajoutant être convaincu que « la volonté politique qui a marqué le compromis de Lisbonne existe toujours ».
« Le vote exprimé ne traduit pas un rejet par la population irlandaise de la construction européenne », a pour sa part indiqué le chef de la diplomatie belge, Karel De Gucht, « mais démontre au contraire une nouvelle fois la nécessité d’une réforme des institutions européennes, afin de rendre leur fonctionnement plus transparent et plus compréhensible pour la population de l’Union ». Pour la Lituanie, qui fait partie des dix-huit Etats membres dont les Parlements ont ratifié le traité, c’est désormais à l’Irlande de proposer à l’Union européenne une solution. En Estonie, qui a également ratifié le traité mercredi, le président Toomas Hendrik Ilves a qualifié de « bien regrettable » le vote irlandais, un « pays qui a le plus profité des bienfaits de l’UE ».
« UNE COMPLICATION POLITIQUE »
Le premier ministre néerlandais, Jan Peter Balkenende, a qualifié de « décevantes » les informations faisant état d’un « non » irlandais, assurant que son pays poursuivrait le processus de ratification de ce texte, trois ans après avoir rejeté à plus de 60 % le traité constitutionnel. Pour le ministre des affaires étrangères danois, Per Stig Moeller, le « non » irlandais au référendum sur le traité de Lisbonne ouvre une période d’incertitude dans l’Union européenne. « Le peuple irlandais a voté, et nous devons naturellement respecter [son choix]. Mais je déplore ce résultat car le traité de Lisbonne est un bon traité et l’aboutissement de nombreuses années de négociations entre les pays européens. »
Pour le premier ministre tchèque, Mirek Topolanek, « le refus du traité de Lisbonne au référendum irlandais représente une complication politique, néanmoins l’UE dispose d’une base contractuelle stable » qui lui permet de « fonctionner ». La République tchèque prendra, à la suite de la France, la présidence tournante de l’UE au premier semestre 2009. « Dès le début, a poursuivi M. Topolanek, nous avons travaillé avec les deux variantes possibles du résultat du processus de ratification. »
Le traité de Lisbonne à la poubelle
Déclaration d’Olivier Besancenot.
100 % des peuples consultés ont voté non au référendum sur la ratification du traité de Lisbonne ! Le verdict vient de tomber : les Irlandais shootent Sarkozy et son traité de Lisbonne.
Une fois de plus, la construction européenne se fait recaler quand les peuples sont consultés. Cela devrait faire réfléchir la jet-society politique européenne et le patronat international. Le breuvage libéral est imbuvable pour les peuples car il signifie destruction de tous les droits sociaux et alignement par le bas de la législation européenne. Un exemple récent vient le démontrer : la directive qui déréglemente totalement le temps de travail, rendant possible des semaines à 60 heures, voire 65 heures !
Comme il fallait respecter le non français et néerlandais, il faut respecter le non irlandais.
Après le TCE, le traité de Lisbonne devient caduc.
Personne ne fera l’économie d’un grand débat à mener avec les populations sur quelle Europe construire. Ce débat doit mener à l’élection d’une assemblée constituante, élue sur la base d’une proportionnelle intégrale.
Pour la LCR et les organisations de la gauche radicale en Europe, il est clair que cette Europe doit être sociale, démocratique, féministe, écologique.
Ceci implique un nouveau partage des richesses redonnant aux salariés ce qui leur a été volé pendant des décennies, et dans l’immédiat un SMIC européen à hauteur de 1500 euros net.
Le 13 juin 2008.
TRAITÉ DE LISBONNE : 27 États, un seul référendum
La ratification du traité de Lisbonne par les électeurs irlandais – les seuls en Europe autorisés à se pro noncer par référendum ! – devait être une simple formalité. C’est loin d’être le cas… Extraits d’un article publié par « Irish Socialist Network » (ISN) [1], un réseau militant radical.
Le 12 juin, on vous demande d’avaliser un traité que vous n’avez probablement pas lu ou que vous avez eu du mal à déchiffrer si vous l’avez lu. On dirait un charabia juridique. Mais, en fait, le traité de Lisbonne est une réécriture très soigneuse de la Constitution européenne rejetée, en 2005, par les électeurs français et néerlandais. Selon le Premier ministre d’Irlande, Bertie Ahern, 90 % de la Constitution ont été conservés. C’est ainsi que fonctionne la démocratie dans l’Union européenne : secoué par les défaites dans les urnes de 2005, un groupe d’eurocrates s’est constitué pour trouver une issue au scepticisme populaire et à l’opposition grandissante à la construction d’un super-État européen. Comment déjouer le suffrage universel ? Comment contourner la volonté des peuples ? Notre acquiescement est tout ce dont les eurocrates ont besoin. Ils ont miné la démocratie et mis dans leur poche les partis irlandais institutionnels. Le seul rôle qui reste aux électeurs et de faire ce qu’on leur dit de faire, comme de « bons Européens »…
Comme beaucoup dans la gauche radicale, ISN fait campagne pour le « non », dans le cadre de la Campagne contre la Constitution de l’Union européenne. Nous demandons aux électeurs de rejeter les manœuvres cyniques et antidémocratiques des eurocrates et de leurs alliés irlandais. Mais il existe au moins deux autres raisons de s’opposer à ce traité : il va désagréger les droits des travailleurs et amplifier les privatisations ; il va accroître la militarisation de l’Europe. Selon l’IBEC [le Medef irlandais, NDLR], « le traité de Lisbonne crée la base pour la libéralisation des services d’intérêt général (article 160). Un vote “oui” ouvrirait de nouvelles opportunités pour les entreprises irlandaises, notamment en matière de libéralisation de la santé, de l’éducation, des transports, de l’énergie et de l’environnement ». Les services publics sont menacés partout en Europe, et en Irlande aussi. Voulez-vous réellement que ce soit Ryanair qui gère votre hôpital de proximité ?
Enfin, le traité de Lisbonne inclut un appel explicite à ce que les États membres augmentent leurs dépenses militaires (article 27). Le protocole 4 du traité le souligne : « Un rôle plus affirmé de l’Union européenne en matière de défense et de sécurité contribuera à la vitalité et au renouveau de l’Alliance atlantique. » Un rôle plus affirmé en matière de défense et de sécurité ? Cela ne vous rappelle rien ? On croirait entendre le Pentagone ! S’il passe, le traité de Lisbonne encouragera le militarisme en Europe. Quiconque a en mémoire les horreurs des guerres et des génocides du xxe siècle doit refuser une telle perspective et voter « non » à ce traité régressif.
De Dublin, Fintan Lane
Notes
* Traduit par François Duval.
Le non l’emporte en Irlande
UNION SYNDICALE SOLIDAIRES
Le non l’emporte en Irlande : retour au réel pour les dirigeants de l’Union européenne
Le non au traité de Lisbonne, frère jumeau du Traité constitutionnel européen (TCE), vient de l’emporter en Irlande. C’est une bonne nouvelle pour la démocratie. Les gouvernements européens avaient tout fait pour que, suite au double non français et néerlandais au TCE, les peuples européens soient totalement écartés du processus d’élaboration et de décision du nouveau traité. Non débattu, entériné à la va-vite, les gouvernements européens s’étaient mis d’accord pour en refuser toute ratification par référendum.
La constitution irlandaise le rendant obligatoire, le peuple irlandais a voté pour tous les peuples d’Europe. Ce que viennent de refuser les Irlandais, ce qu’avaient refusé en 2005 les Français et les Néerlandais et ce qu’aurait probablement refusé la grande majorité des peuples d’Europe si l’occasion leur en avait été donnée, c’est une Europe anti-sociale et anti-démocratique.
Anti-sociale car des derniers arrêts de la Cour européenne de justice qui autorisent le dumping social, au projet récent de directive sur le temps de travail qui officialise, de fait, les 65 heures par semaine, en passant par les directives de déréglementation des services publics, l’Union européenne se construit autour de l’extension sans fin de la concurrence de tous contre tous. Anti-démocratique car, la plupart du temps, les citoyens européens n’ont pas leur mot à dire sur l’avenir de l’Union, sont exclus des décisions ou pire encore quand leur vote est nié.
C’est cette Europe qui est refusée et c’est à sa refondation qu’il faut s’atteler pour qu’enfin l’Europe puisse devenir une Europe garantissant des droits de haut niveau pour ses habitants et solidaire avec les peuples du monde. Le non irlandais est un rappel à la réalité pour les gouvernements et les institutions européennes. Il offre une nouvelle occasion pour qu’un nouveau cours soit donné à la construction européenne. Il est peu probable que les classes dirigeantes européennes la saisissent. Il appartient aux citoyens de l’Europe de se mobiliser pour leur faire entendre raison.
Le 13 juin 2008
Quand le peuple est consulté, il répond. Écoutons-le !
Attac France
Le 12 juin, le peuple irlandais a rejeté par référendum le traité de Lisbonne. Attac demande aux différents gouvernements européens de respecter sa décision souveraine. Il serait catastrophique que les gouvernements européens tournent encore une fois le dos à l’expression populaire. Ce résultat, tout comme ceux du 29 mai 2005 en France et du 1er juin 2005 aux Pays-Bas, apporte la preuve que la construction européenne actuelle manque totalement de légitimité populaire.
Au sein de l’Union européenne, les Irlandais sont les seuls à avoir eu le droit de se prononcer par référendum. Les Français en ont été privés par la décision du président de la République de faire ratifier le traité par voie parlementaire. Pourtant, de l’avis même de ses rédacteurs, ce texte est la copie conforme de celui qui avait été rejeté en 2005. Il renforce encore un peu plus l’orientation néolibérale de l’Union européenne.
Le résultat du référendum en Irlande doit être l’occasion d’un grand débat public sur la construction européenne. Le réseau des Attac d’Europe demande qu’un nouveau traité européen soit élaboré par une assemblée élue directement par les citoyens et adopté par référendum dans chaque État membre. Nous voulons une Europe démocratique, répondant aux exigences sociales, écologiques et de solidarité avec les pays du Sud. L’avenir de l’Europe ne peut pas se construire dans le dos des peuples mais dans le respect de leurs aspirations et de leur volonté.
Attac France,
Montreuil, le 13/06/2008