ISLAMABAD CORRESPONDANTE
A vingt-quatre ou quarante-huit heures de l’arrivée à Islamabad de la « longue marche » des avocats, qui réclament au nouveau gouvernement la réinstallation des juges démis par le président Pervez Musharraf, la capitale pakistanaise ressemble à une ville en état de siège. D’énormes containers barrent la principale route d’accès au Parlement et à la présidence, des forces paramilitaires ont déroulé des barbelés pour protéger certains bâtiments publics, des bunkers de sacs de sables gardent certains carrefours et des milliers de policiers ont été déployés dans la ville.
Malgré les affirmations rassurantes du conseiller du premier ministre pour les affaires intérieures, Rehman Malik, sur la volonté du gouvernement de « faciliter » la marche et de ne pas « empêcher les avocats de venir à Islamabad », elle place les autorités dans une situation délicate. Déjà à l’origine du retrait du cabinet des ministres de la PML-N (Pakistan Muslim League) de l’ancien premier ministre Nawaz Sharif, la question de la réinstallation des juges qui sous-tend celle de l’avenir politique du président Musharraf divise profondément le gouvernement. Théoriquement le Parti du peuple pakistanais (PPP), dirigé par Asif Zardari - chef du gouvernement et veuf de l’ancienne premier ministre assassinée, Benazir Bhutto -, et la PML-N sont d’accord sur le principe de la réinstallation des juges. Mais l’indépendance d’esprit du président de la Cour suprême démis, Iftikhar Chaudhry, fait peur à M. Zardari. Il s’oppose donc à son retour ou, au moins, voudrait rogner son pouvoir par des amendements constitutionnels. D’autre part, le premier ministre multiplie les déclarations contradictoires sur le président Musharraf, affirmant un jour qu’il « est une relique du passé » et le lendemain qu’il « peut travailler avec lui ». Nawaz Sharif exige, quant à lui, l’« impeachment » et le jugement du président.
« EXPLOSION SOCIALE »
La marche des avocats ne fait pas seulement qu’attiser les tensions politiques, elle pose également la question de la sécurité dans un pays régulièrement secoué par les attentats. Partis des principales villes du Pakistan, des milliers d’avocats, rejoints par des militants des droits de l’homme et d’autres membres de la société civile, prévoient de converger, jeudi ou vendredi, à Islamabad. Selon l’un des leaders des avocats et président du barreau de la Cour suprême, Aitzaz Ahsan, les avocats se dirigeront vers le Parlement. « Notre objectif est le Parlement parce que celui-ci est un obstacle sur notre chemin », a affirmé M. Ahsan, en référence critique à la passivité politique du PPP, son propre parti.
Cette marche intervient dans un contexte extrêmement difficile pour le Pakistan où l’immense majorité des habitants est confrontée à une crise économique et sociale sans précédent. Entre janvier et mai, l’inflation s’est élevée à 26,52 % et le gouvernement, qui présentait, mercredi, son budget, a dû emprunter de nouveau massivement pour contenir un déficit budgétaire qui menaçait d’atteindre 9,5 % du PIB. « Il y a un vrai risque d’explosion sociale », affirme un économiste. Le gouvernement semble totalement dépassé par la situation, hésitant sur les priorités, sans stratégie pour faire face aux défis qui s’accumulent.