NEW YORK (Nations unies), BANGKOK CORRESPONDANTS
La junte birmane faisait voter, samedi 24 mai, les rescapés du typhon Nargis sur la nouvelle Constitution du pays après les avoir laissés pendant trois semaines à l’abandon. Les dernières informations d’ONG humanitaires font état de 3 millions de survivants sans abri. La junte affirme que le travail de première urgence est fini, et que l’heure est déjà à la reconstruction - qu’elle chiffre à plus de 11 milliards de dollars.
La promesse arrachée, vendredi à Naypyidaw, la capitale administrative birmane, par le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, au numéro un du régime, le généralissime Than Shwe, d’un accès sans restriction aux secouristes humanitaires étrangers dans le delta de l’Irrawaddy, a été diversement accueillie. A l’ONU, comme auprès de l’Union européenne, l’annonce a été perçue comme une « agréable surprise » et a rencontré un « optimisme prudent ». « Je crois qu’ils vont honorer leur engagement », a prédit M. Ban.
Selon l’entourage du secrétaire général, Than Shwe s’est montré « vif, précis et en phase avec les réalités du terrain ». Il s’est même donné le beau rôle, déclarant devant des collaborateurs inquiets de le voir faire trop de concessions : « Je ne vois pas où est le problème. » Premier secrétaire général à se rendre en Birmanie depuis quarante-quatre ans, M. Ban a rapporté que le généralissime avait « accepté d’autoriser les travailleurs humanitaires internationaux dans les zones affectées, quelle que soit leur nationalité ». La seule condition posée est que ces personnels soient « de véritables travailleurs humanitaires et que ce qu’ils vont faire soit clair ». Les rares humanitaires à avoir pu entrer dans le pays n’ont pas encore pu quitter Rangoun.
Selon M. Ban, l’aéroport de l’ancienne capitale devrait devenir une base logistique. Des navires civils et des bateaux légers devraient être autorisés à assister par la mer les sinistrés. Mais, d’après un haut responsable de l’ONU, la junte ne semble pas prête à la moindre concession face aux demandes concernant les bâtiments militaires français, américains et britanniques chargés d’équipements d’urgence.
Les ONG et la presse de Bangkok ont tempéré l’optimisme onusien. Le quotidien thaïlandais The Nation a exprimé la crainte que « la junte continue à se moquer du monde » pour soulager la pression internationale, peut-être sur conseil de la Chine. Le journal soulignait que les militaires birmans n’avaient en rien levé leurs restrictions à l’encontre de la presse, interdisant tout accès aux lieux du drame birman.
Philippe Bolopion et Francis Deron
* Article paru dans le Monde, édition du 25.05.08.
LE MONDE | 24.05.08 | 14h54 • Mis à jour le 24.05.08 | 14h54
La conférence pour la Birmanie s’achève sans chiffrage des promesses de dons
Le décallage était patent, dimanche 25 mai, lors de la conférence des donateurs en faveur des rescapés du cyclone Nargis, entre les représentants de l’ONU et la junte militaire au pouvoir en Birmanie : « Nous devons tous garder les yeux rivés sur l’objectif immédiat : sauver des vies », s’est exclamé le secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, tandis que le gouvernement birman demandait de l’argent pour la reconstruction. Or selon les organisations humanitaires l’aide n’a atteint qu’un quart des 2,5 millions de rescapés, trois semaines après le passage du cyclone qui a fait selon la junte 134 000 morts et disparus.
Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a déclaré, lors de la conférence, que les tracasseries administratives imposées par la junte avaient été « un obstacle important pour organiser efficacement l’aide et les opérations d’assistance ». Il a toutefois ajouté que le gouvernement birman « semblait commencer à mettre en œuvre les accords », en faisant référence à la promesse que lui a faite vendredi le général Than Shwe d’ouvrir la Birmanie aux travailleurs humanitaires sans considération de nationalité. Cette promesse suscitait un optimisme prudent des ONG, qui disaient n’avoir que des « bribes d’informations ».
L’ONU a lancé un appel d’urgence pour récolter 201 millions de dollars (127 millions d’euros). M. Ban a précisé que l’organisation avait déjà récolté 30 % de cette somme sous forme de donations et 20 % sous forme de promesses de dons. « Je vous demande d’être encore plus généreux aujourd’hui », a-t-il lancé. Mais, à la clôture des débats, aucun chiffre n’a été fourni sur les promesses de dons.
LA JUNTE REFUSE « CONDITIONS ET POLITISATION »
M. Ban a estimé que la campagne internationale d’aide pourrait durer jusqu’à six mois. Mais la junte a affirmé que la mobilisation du gouvernement associée à l’aide internationale avait permis de mener à bien les opérations d’assistance aux rescapés, et a demandé 11 milliards de dollars (7 milliards d’euros) pour la reconstruction, à savoir reloger les rescapés, reconstruire les habitations et les infrastructures et réparer les dégâts, notamment pour 200 000 hectares de terres rendues impropres à la culture à cause du sel. A l’appui de sa démonstration, elle a diffusé une vidéo du cyclone et des jours qui ont suivi, suggérant que la situation est sous le contrôle des autorités. Les généraux ont estimé qu’il y avait suffisamment de riz pour subvenir aux besoins de la population mais qu’il faudrait réduire ses exportations.
« Nous accepterons cordialement toute l’assistance et l’aide qui nous seront apportées avec une véritable bienveillance par n’importe quels pays ou organisation, pourvu qu’il n’y ait pas de conditions ni de politisation », a déclaré le premier ministre birman, Thein Sein. S’exprimant au nom de l’Asean, qui organise avec l’ONU cette conférence, le ministre des affaires étrangères de Singapour, George Yeo, a estimé que l’aide de la communauté internationale ne devait pas sortir du cadre humanitaire et a rejeté toute politisation.
LEMONDE.FR avec Reuters et AFP | 25.05.08 | 12h53 • Mis à jour le 25.05.08 | 21h17
PARIS, « CHOQUÉ » PAR LE REFUS DE LA JUNTE, RENONCE À ACHEMINER SON AIDE JUSQU’EN BIRMANIE
La France a renoncé dimanche à décharger en Birmanie un bateau transportant de l’aide, face au refus des autorités, ont annoncé les ministères de la défense et des affaires étrangères, se disant« particulièrement choqués » par l’attitude de la junte. Les 1 000 tonnes d’aide du Mistral, un navire de guerre, vont en conséquence être déchargées à Phuket, en Thaïlande, et confiées au Programme alimentaire mondial (PAM). - (Avec AFP.)
LEMONDE.FR Mis à jour le 25.05.08 | 21h17
Birmanie : « La junte accepte l’aide pour faire retomber la pression internationale »
Pour Laurent Amelot, professeur à l’Institut d’études des relations internationales et spécialiste de la Birmanie, le geste de la junte vis-à-vis de l’aide internationale n’est qu’une manœuvre ponctuelle pour alléger la pression.
Comment interpréter le geste d’ouverture de la junte birmane qui vient d’annoncer qu’elle accueillerait désormais tous les humanitaires étrangers ?
Il s’agit d’une volonté politique d’alléger la pression qui pèse sur elle. Je ne pense pas que cela laisse augurer d’une plus grande ouverture du régime. Il est fort probable que, si les humanitaires sont autorisés à venir en Birmanie, ceux-ci seront fortement encadrés. Il s’agit juste de faire retomber un peu la pression de la communauté internationale. Rien d’autre. C’est exactement le même processus qu’en février, quand la junte a annoncé l’organisation d’un référendum et d’élections législatives pour 2010.
Faut-il également y voir une manœuvre de politique intérieure ?
Sur le plan intérieur, le général Than Shwe, président de la junte et seul décisionnaire, est soumis à de fortes pressions internes dans le cadre de sa succession. Il y a une très forte lutte des clans entre le général Maung Aye, son numéro deux, et le général Thura Shwe Mann, son numéro trois, qui est son successeur pressenti. Il est possible que le président de la junte ait considéré opportun pour sécuriser sa position et les intérêts de sa famille de faire un geste d’apaisement en direction de la communauté internationale.
Quel a été le rôle exact du secrétaire général de l’ONU qui semble avoir obtenu ce geste d’ouverture ? La Chine a-t-elle pu également jouer de son influence ?
Il n’est pas exclu que la Chine ait pu influencer la junte, même s’il faut bien reconnaître qu’elle a de moins en moins de pouvoir sur la Birmanie alors qu’on lui en prête beaucoup. Cette influence combinée à celle de certains pays de l’Association des nations du Sud-Est asiatique comme Singapour, voire la Thaïlande, a pu conduire à ce geste d’apaisement. La présence du secrétaire général des Nations unies, qui est sud-coréen, a sans doute aussi joué un rôle important. La Corée du Sud est en effet très présente en Birmanie, notamment sur les champs gaziers de Swe où elle détient la majorité des parts. Même si le secrétaire général est une autorité indépendante, de médiation, sans véritable parti pris, le fait qu’il soit sud-coréen peut avoir eu une incidence sur les choix politiques annoncés.
La junte semble beaucoup plus réticente à laisser le navire français Mistral et les bâtiments américains qui patrouillent dans les environs décharger leurs vivres. Que redoute-t-elle exactement ?
La psychologie de la junte s’organise autour de quatre éléments : un nationalisme exacerbé, une paranoïa poussée à l’extrême, un ethnocentrisme très fort et surtout, ils considèrent qu’ils sont capables de se gérer et de se rétablir tout seul, en parfaite autarcie. Dans ce contexte, les pressions internationales ont pour effet d’augmenter leur sentiment d’état de siège. La junte ne supporte pas la présence à proximité de ses frontières, qu’elles soient maritimes ou terrestres, de puissances étrangères, et notamment de forces armées.
En 2005, les généraux avaient déjà prétexté d’une invasion américaine pour expliquer le transfert de la capitale de Rangoun à Naypyidaw. Le fait qu’il y ait un navire de guerre à la limite de ses eaux territoriales est donc perçu comme une menace d’invasion. Il semblerait d’ailleurs qu’il y ait eu un conseil de guerre très récemment pour se pencher sur la question, même si ces bâtiments sont à vocation humanitaire. Il en est sorti qu’il fallait suivre avec précaution leurs manœuvres.
Propos recueillis par Soren Seelow
LEMONDE.FR | 23.05.08 | 19h26 • Mis à jour le 25.05.08 | 13h15
« Il ne faudrait pas que les humanitaires étrangers restent cantonnés à Rangoun »
Pierre Micheletti, président de Médecins du monde (MDM), accueille avec prudence les déclarations de Ban Ki-moon qui a affirmé, vendredi 23 mai, que la junte birmane acceptait l’arrivée d’humanitaires étrangers.
Comment réagissez-vous à l’annonce du secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon, selon laquelle la junte va accepter sur son sol tous les travailleurs humanitaires étrangers ?
Sur le principe, on ne peut que se réjouir de cette annonce. Mais elle est immédiatement assortie d’une certaine attente. Nous attendons tout d’abord que cette mesure soit confirmée par les autorités birmanes, ce qui témoignerait de leur réelle implication, mais aussi qu’elle soit effective. Il ne faudrait pas qu’on se retrouve dans un scénario où les humanitaires puissent arriver en Birmanie, mais restent cantonnés dans l’ancienne capitale Rangoun, comme c’est le cas aujourd’hui.
Comment travaillez-vous sur place actuellement ?
Nos équipes sont présentes dans quatre zones : la périphérie immédiate de Rangoun, deux districts au sud de la ville et un district dans le delta de l’Irrawaddy. Mais sur l’ensemble de ces sites, ce sont nos équipes birmanes qui interviennent : les cadres expatriés ne peuvent pas les accompagner dans leurs déplacements hors de Rangoun. Cela pose problème car, sans avoir constaté nous-mêmes les dégâts et les priorités sanitaires, nous en sommes réduits à donner des directives à des personnels birmans qui n’ont pas l’habitude des catastrophes naturelles. A cause de cette situation, nous n’avons à ce jour qu’une idée approximative des besoins.
Nicolas Sarkozy a annoncé qu’il allait engager des discussions avec la junte pour permettre le déchargement de vivres du navire français Mistral. La Birmanie semble encore réticente à accepter l’aide émanant d’armées étrangères. Comprenez-vous cette attitude ?
Je ne vais pas me plaindre qu’on fasse la différence entre un humanitaire dont le vecteur est l’armée et l’humanitaire non gouvernemental tel que Médecins du monde. Je crois que la distinction est absolument fondamentale : si demain, on en venait à faire l’amalgame, ce serait une catastrophe dans des pays comme l’Irak ou l’Afghanistan où l’insécurité deviendrait insupportable.
MDM est présent depuis une douzaine d’années en Birmanie. Quel type de rapports entretient la junte avec les ONG ?
Nous sommes très encadrés. Nos déplacements, notamment dans le nord, se font en compagnie d’un officier de liaison censé faciliter les relations avec les autorités locales mais qui permet en pratique une forme de contrôle de la part des autorités birmanes. La Birmanie est un des pays les plus hermétiques au monde, une dictature vieille de 40 ans qui vit dans l’obscurantisme et une grande peur de l’extérieur : les humanitaires ne peuvent que générer de l’inquiétude, à la fois parce qu’ils ont un regard extérieur, mais également parce qu’ils peuvent être les vecteurs d’informations susceptibles d’importer une autre vision des choses.
Propos recueillis par Soren Seelow
LEMONDE.FR | 23.05.08 | 15h57 • Mis à jour le 23.05.08 | 16h00
La solidarité internationale s’exprime moins fortement que lors du tsunami de 2004
Trois semaines après le passage du typhon Nargis en Birmanie, les ONG ne font guère recette auprès des donateurs. On est loin de l’élan de solidarité sans précédent suscité par le tsunami dans l’océan Indien et le golfe du Bengale il y a trois ans. Plus de 10 milliards de dollars d’aide avaient afflué, des associations comme Médecins sans frontières (MSF) avaient même demandé l’arrêt des dons.
« Lors du tsunami, on a constaté un afflux des dons spontanés. Pour la Birmanie, on ne sent pas une très forte mobilisation », déplore Valérie Daher, directrice de la communication d’Action contre la faim (ACF). « Si cela continue, il sera impossible d’assurer des plans de grande ampleur », ajoute Daniel Verger, directeur de l’action internationale du Secours catholique.
Comment expliquer cette frilosité des donateurs ? D’abord par la différence de traitement médiatique des deux événements. « Le tsunami est quasiment l’une des seules catastrophes que l’on a regardée en direct. Les gens, devant leur télévision, ont vu des personnes emportées par la vague. C’est cette émotion qui a créé cet élan. Pour la Birmanie, les images arrivent très difficilement jusqu’à nous », avance un porte-parole de la Croix-Rouge.
Lors du tsunami, télévisions et journaux avaient vite diffusé des photos et des films pris par les nombreux touristes présents dans la région. Ces documents, souvent flous et mal cadrés, ont amplifié l’émotion, d’autant qu’il était facile de s’identifier à ces touristes occidentaux. « Avec le déferlement immédiat et massif d’images, le public a été sonné. De plus, le tsunami s’est produit durant les fêtes de Noël, période où l’on est plus sensible à autrui », analyse le sociologue Michel Wieviorka.
Rien de tel en Birmanie, où les reporters se sont heurtés au mur dressé par la junte. Ainsi, Olivier Corsan, photographe du Parisien, arrivé à Rangoun près d’une semaine après le typhon, a par trois fois tenté d’aller dans le delta de l’Irrawaddy, la région la plus touchée. Sans succès. Les check-points installés sur les routes d’accès étaient infranchissables.
FAIBLES DONS SPONTANÉS
Parmi les rares sources d’images : l’AFP, qui a travaillé avec ses correspondants birmans, mais aussi des ONG qui tentent, discrètement, de témoigner. « La junte a réussi à donner le sentiment que la Birmanie est un univers à part où les logiques de la compassion internationale ne s’appliquent pas. Ce pays reste à la marge d’un espace mondialisé », ajoute M. Wieviorka.
La réaction de la junte, qui a longtemps refusé les propositions d’aide extérieure, n’a guère contribué à instaurer un climat de confiance. « Les gens ont entendu dans les médias que le gouvernement ne laissait pas atterrir les avions qui apportent l’aide ou que la junte détournait les vivres, explique Mme Daher. Certains se sont dit que cela ne servait à rien de donner, car l’aide n’arriverait pas. » ACF a débloqué 150 000 euros, dont les dons spontanés représentent une faible part. Jacques Hintzy, président d’Unicef-France, a recensé 750 dons sur le site Internet de son organisation : « Lors du tsunami, nous avions 230 000 dons au bout de quinze jours », rappelle-t-il.
En visite en Birmanie, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a annoncé, vendredi 23 mai, que la junte acceptait désormais l’aide étrangère. Certaines associations avaient déjà des équipes sur place, en dépit des difficultés, parmi lesquelles ACF, présente depuis quinze ans en Birmanie.
Pierre Rabotin, avec Laurence Girard
* Article paru dans le Monde, édition du 24.05.08.
LE MONDE | 23.05.08 | 15h11