• À quelques kilomètres d’ici, on célèbre actuellement les 60 ans de la naissance de l’État d’Israël. Ici, les Palestiniens commémorent le 60e anniversaire de la Nakba. Que signifie ce terme et quelle est son actualité ?
Munther Ameera – En arabe, la Nakba signifie la « Catastrophe ». Car, pour le peuple palestinien, la naissance de ce qu’ils appellent aujourd’hui Israël a été un désastre. Sous la menace des milices armées juives, qui commettaient de véritables massacres, comme à Deir Yassin [1], plus de 800 000 Palestiniens, soit 80 % de ceux qui vivaient dans la zone qui est devenue l’État d’Israël, ont dû tout abandonner et fuir. Ils n’ont jamais pu rentrer chez eux. 60 ans plus tard, l’UNRWA [2] recense 4,5 millions de réfugiés palestiniens. Mais on estime que le total des réfugiés, des déplacés et de leurs descendants, avoisine les 7 millions. La plupart des réfugiés vivent dans des camps, en Cisjordanie et à Gaza, mais aussi en Jordanie, au Liban ou en Syrie. Ils vivent dans des conditions très difficiles et, ici, ils sont les premières victimes de l’occupation. Prenez un camp comme Aïda : sur 4 500 habitants, plus de 350 ont été arrêtés depuis septembre 2000 ; les incursions israéliennes sont incessantes ; nous sommes encerclés par les postes militaires et par le mur… Nous n’acceptons pas cette vie et nous ne l’accepterons jamais.
• Quel type d’initiatives organisez-vous à l’occasion des 60 ans de la Nakba ?
M. Ameera – Il y a beaucoup d’initiatives, en Palestine, mais aussi dans les camps à l’extérieur. Elles sont de deux types : certaines s’adressent aux réfugiés eux-mêmes, d’autres au reste du monde et à la communauté internationale. Pour ce qui est du premier type, il s’agit essentiellement de faire un travail de mémoire auprès des jeunes générations. Ce travail est fait en permanence mais, à l’occasion des 60 ans, nous avons multiplié les initiatives : dans les écoles, dans les centres culturels, des discussions et des expositions sont organisées pour expliquer aux plus jeunes l’histoire des réfugiés. Nous avons édité des documents, des brochures…
Ils apprennent ainsi en détail l’histoire de l’expulsion, de l’exil, mais aussi le fait que la plupart de nos terres et de nos villages sont toujours inhabités, là-bas, en Palestine occupée, dans ce qu’ils appellent aujourd’hui Israël. Il y a aussi beaucoup d’initiatives du second type. Des manifestations ont lieu, ici et dans les pays arabes, mais aussi dans le reste du monde.
Nous organisons également des actions plus symboliques : par exemple, un drapeau palestinien de 27 000 m2 a été fabriqué en Syrie. À Bethléem, le 8 mai, une marche passant par les trois camps de la zone a été organisée. Les jeunes ont construit ici un portail de douze mètres de haut et une clé de dix mètres de long pesant deux tonnes [3]. La marche a accompagné la clé jusqu’au portail, symbolisant le retour dans nos foyers. Nous espérons que cette clé entrera dans le livre Guinness. En voyant tous ces préparatifs pris en charge par les jeunes, un vieil homme du camp a dit : « Je suis sûr que, lorsque je mourrai, il y aura des gardiens de nos droits, qui ne les abandonneront jamais. »
• Quel message voulez-vous faire entendre au reste du monde ?
M. Ameera – Notre message est très clair : le droit au retour des réfugiés sur leurs terres est un droit inaliénable, individuel et collectif, garanti, entre autres, par la résolution 194 de l’ONU. Nous connaissons les textes, nous connaissons nos droits et jamais nous ne les abandonnerons, pas plus que les générations futures ne le feront. Mais, au-delà de la seule référence à la résolution 194, nous voulons faire passer un second message : la question des réfugiés n’est pas une question humanitaire. Elle est politique. Nous ne voulons pas être considérés comme des assistés, à qui l’on donne de la nourriture et à qui l’on propose de construire des maisons, certes plus agréables, mais toujours dans les camps. Non. C’est bien une question politique. Les réfugiés sont la majorité du peuple palestinien, ils exigent que leur voix soit entendue et que leurs droits soient intégrés à tout « plan de paix ». Le droit au retour n’est pas négociable. Sur la clé géante figure le message suivant : « Ceci n’est pas à vendre. »
• Justement, la secrétaire d’État des États-Unis, Condoleezza Rice, était, le 4 mai, à Ramallah, où elle a rencontré le président palestinien, Mahmoud Abbas, dans le cadre d’une série d’entretiens visant à élaborer un « plan de paix ». Quelle place les différents acteurs des négociations accordent-ils à la question des réfugiés ?
M. Ameera – Il n’y aura pas de « plan de paix » avec Condoleezza Rice. Ce que nous proposent les États-Unis et Israël, c’est une paix sans libération des prisonniers, sans droit au retour, sans démantèlement des colonies et sans que le mur soit détruit. Dans ces conditions, il ne peut y avoir de paix.
Les jeunes du camp ont dessiné une fresque, où figurent trois enfants qui représentent les réfugiés aujourd’hui. Le premier tient dans sa main un livre, qui symbolise le fait que nous sommes cultivés, que nous connaissons nos droits et notre histoire, et aussi que nous sommes prêts à prendre en main notre destinée, à gérer nos propres affaires. Le deuxième tient un rameau d’olivier, qui indique que nous sommes prêts à vivre en paix avec nos voisins. Le troisième a une pierre à la main : cela signifie que nous sommes prêts à nous battre jusqu’au bout, si nos droits ne sont pas satisfaits. Abou Mazen [Mahmoud Abbas, NDLR] et Salam Fayyad [le Premier ministre, NDLR] savent qu’ils ne peuvent pas accepter que le droit au retour des réfugiés soit sacrifié. Même Fayyad, que j’appelle le « bad guy » et en qui nous n’avons guère confiance, a été contraint de nous dire, lorsque nous l’avons rencontré, qu’il n’abandonnerait pas les réfugiés. Et si jamais ils osent le faire, personne ici n’acceptera la « paix » qu’ils nous proposeront.
Croyez-moi, si une telle chose arrive, s’ils vendent le droit au retour ou s’ils nous « oublient » dans les négociations, alors il y aura une troisième Intifada. Ce sera l’Intifada des réfugiés.