C’était son grand oral. Passé devant un auditoire estimé entre deux millions et deux millions et demi de téléspectateurs. Soit beaucoup plus que les 1,5 million d’électeurs qui s’étaient portés sur son nom le 6 mai 2002. Une aubaine qu’Olivier Besancenot n’a pas laissé filer. La LCR, dont il est l’un des porte-parole, incarne l’une des facettes du trotskisme français un courant de pensée avec un véritable poids électoral que d’aucuns jugent comme une exception française. Ouverte aux mouvements de société (la défense des « sans », papiers, logements, droits, etc., des immigrés…), elle se démarque de Lutte ouvrière, l’autre grande branche du trotskisme français, plus ouvriériste (lire page 3).
Plus de trois heures durant, hier, sur France 2, dans l’émission de divertissement Vivement dimanche, animée par Michel Drucker, le porte-parole de la LCR a pu développer la vision de son monde. Celui du travail avec « les masses, les exploités, les opprimés » dont il rêve qu’ils « fassent irruption sur la scène politique ». Le monde de la politique, justement, lui qui « milite pour la révolution ». Mais pas une révolution violente : « Pour moi, affirme-t-il devant Michel Drucker, la révolution, ce n’est pas une flaque de sang à chaque coin de rue. » Il a pu aussi stigmatiser « la grande distribution qui se fait des couilles en or ». Son monde à lui, enfin, avec des images le montrant jouer au football ou boxant. Et une confession quand il « revendique pour [sa] génération, un gros doute ». Mais pas une image de sa compagne, ni de leur fils. Ses goûts pour la chanson tournent autour de Bernard Lavilliers et Jean Ferrat, Zebda et Charles Aznavour.
Décontracté, souriant charismatique (« s’il te plaît, continue à parler ! » l’a exhorté la députée PRG Christiane Taubira), le jeune postier - il a eu 34 ans le 18 avril - a su habilement laisser parler deux femmes syndicalistes, l’une de l’ex-fabricant de stylos Reynolds à Valence, aujourd’hui disparu, l’autre d’une entreprise métallurgique de la région lilloise. Des témoignages bruts sur la condition de salariés précaires.
Personnalisation. Au final, l’ancien candidat aux présidentielles de 2002 et de 2007, aura peut-être réussi à éviter l’écueil de la pipolisation. Cette crainte avait été soulevée par le courant minoritaire de la Ligue communiste révolutionnaire et son porte-parole, Christian Picquet. Un Christian Picquet à qui la direction de la formation trotskiste vient de supprimer le poste de permanent qu’il occupait. Le leader de la minorité tirait la sonnette d’alarme il y a une semaine, quelques jours avant l’enregistrement de Vivement dimanche, sur les risques de personnalisation du débat politique : « Même si Besancenot invite une infirmière et un prolo, cela va concourir à la dépolitisation de la vie publique puisqu’ils ne seront là que pour contribuer à son édification. » Au contraire, le leader historique de la Ligue, Alain Krivine plaidait pour la participation d’Olivier Besancenot à l’émission dominicale : « Boycotter la télévision bourgeoise ? Si on fait ça, notre message ne passe nulle part. » D’emblée hier, le porte-parole de la LCR a précisé : « Je n’ai pas hésité une seconde à venir. C’est l’occasion de présenter un certain nombre d’engagements, de causes et de donner la parole à d’autres, de s’adresser à des millions de personnes, donc de s’adresser au peuple, quand on est une organisation populaire. » Même s’il a pris soin d’ajouter : « La représentation médiatique, je n’y ai toujours pas pris goût. »
Nouveau parti. Mais derrière la polémique (« Un peu une tempête dans un verre d’eau », dixit Besancenot) se cache un débat plus politique : quel visage donner au « nouveau parti anticapitaliste » qui devrait voir le jour à la fin de l’année ou début 2009. Globalement, pour la direction de la LCR, ce NPA doit se construire « à la base », avec des militants déçus, qu’ils viennent du PCF, des Verts ou du PS. Le « parti d’Olivier », comme l’appellent certains détracteurs, aurait vocation à concurrencer le PS sur sa gauche. « Je ne serai pas le seul leader de ce parti », a répété l’ex-candidat tout au long du dernier congrès de la Ligue, en janvier. Une stratégie que ne partagent pas les minoritaires, comme Christian Picquet qui dénoncent un « parti d’extrême gauche relooké », plaidant au contraire pour une formation large, construit avec des composantes venues de l’aile gauche du PS, du PCF, des Verts et des antilibéraux.
* Paru dans la quotidien Libération du 12 mai 2008.
TF1 plus fort que Besancenot
2,7 millions de téléspectateurs pour Olivier Besancenot chez Michel Drucker. Soit 21,2% de parts d’audience entre 19 et 20 heures, selon Médiamétrie.
L’après-midi, 1,8 millions de personnes ont regardé le porte-parole de la LCR dans la première partie de Vivement dimanche (19,5% de parts d’audience).
Un bon score pour un week-end entre deux jours fériés, mais l’émission a été battue par la Formule 1 sur TF1 puis par 7 à 8, toujours sur la Une. Au palmarès des invités politiques de Vivement dimanche, Bernadette Chirac continue de détenir le record d’audience, suivie de Ségolène Royal.
Besancenot, un people parle au peuple
Finalement, il est content de lui. Olivier Besancenot, dont la venue à l’émission de Michel Drucker Vivement dimanche avait suscité des critiques au sein de la Ligue communiste révolutionnaire, s’est félicité de la possibilité de parler à un large public. L’émission, enregistrée mercredi, sera diffusée dimanche a été .
Le porte-parole de l’organisation trotskiste avait essuyé des critiques de son opposition interne pour sa participation, notamment de la part de Christian Picquet. Le chef de file de la minorité unitaire y voyait une étape de plus dans la personnalisation du parti autour de l’ex-candidat à la présidentielle : « Même si Besancenot invite une infirmière et un prolo, cela va concourir à la dépolitisation de la vie publique puisqu’ils ne seront là que pour contribuer à son édification. » Réponse de l’intéressé dans Vivement dimanche : « Je n’ai pas hésité une seconde à venir. C’est l’occasion de présenter un certain nombre d’engagements, de causes et de donner la parole à d’autres, de s’adresser à des millions de personnes, donc de s’adresser au peuple, quand on est une organisation populaire. »
Selon le postier de Neuilly (Hauts-de-Seine), sobre et plutôt à l’aise, cette polémique est « un peu une tempête dans un verre d’eau ». Le militant trotskiste a affirmé vouloir « garder la tête sur les épaules » et ne pas céder à la pipolisation de la vie politique. « J’ai passé une belle émission. Vous avez permis de donner la parole à ceux qui ne l’ont pas d’habitude », a-t-il assuré en fin d’émission, après que, parmi d’autres invités, deux femmes syndicalistes, l’une d’une entreprise aujourd’hui fermée à Valence (Drôme), l’autre d’une entreprise métallurgique de la région lilloise, eurent livré leur témoignage. « C’est le sens de mon engagement. Donc pour mieux comprendre « le mystère Besancenot » [couverture du Nouvel Observateur cette semaine, ndlr], il faut simplement comprendre ces causes-là, la nature de cet engagement. »
P. V. (AVEC AFP)
* Paru dans le quotidien Libération du vendredi 9 mai 2008.
Olivier Besancenot, Trotski chez Drucker
PAR ALAIN DUHAMEL
On ne pourra plus dire que le trotskisme est un archaïsme. Pour célébrer les quarante ans de Mai 1968, carrefour baroque de tous les gauchismes de France et de Navarre, Olivier Besancenot a choisi de se rendre chez Michel Drucker.
Le plus télévisuel des professionnels de la révolution sera dimanche prochain l’invité du plus professionnel des éternels de la télévision. C’est plus qu’un symbole, une reddition : pour soulever les foules, Vivement dimanche remplace Rouge. Bien entendu, tout l’argumentaire de la justification est déjà en place. Tante Arlette Laguiller, pas jalouse, approuve l’initiative. Aucun champ de bataille n’est à dédaigner. Alain Krivine, le caïman historique de la nouvelle génération trotskiste donne sa bénédiction.
A l’époque mérovingienne, lorsque lui-même avait été l’invité de l’émission politique phare d’alors - elle s’appelait A armes égales et c’était un duel de deux heures - le très paranoïaque ministre de l’Intérieur, Raymond Marcellin, avait apostrophé les jeunes présentateurs et les avait mis face à leurs responsabilités : s’ils confirmaient leur invitation, ils porteraient l’entière responsabilité des violences qui pourraient survenir. Nous n’en sommes plus là. Aujourd’hui, tout le monde se réjouit à l’avance de voir Besancenot, le damoiseau du trotskisme, en invité vedette de France 2 tout un dimanche après-midi, entouré d’amis, de chanteurs, d’acteurs, d’imitateurs. Le plus empathique des animateurs recevra le plus avenant des révolutionnaires. Effet de curiosité garanti. Voilà un joli coup.
Mais pour qui ? Pour Drucker, cela va de soi. Le très populaire animateur sera un hôte parfait, souriant, détendu, complice, arasant. Il a reçu et a dompté des fauves plus redoutables que le militant le plus célèbre de l’Hexagone. Il sera assez malin pour ne pas chercher à escamoter la vraie fausse transgression idéologique du dimanche 11 mai, Pentecôte du trotskisme revisité. Bien au contraire, il saura faire flotter comme un air d’idéalisme dans l’espace télévisuel le plus méthodiquement intégrateur. Il apparaîtra lui-même plus dégagé et joueur que jamais, affable et discrètement distancié. Professionnel, connaissant mieux la politique qu’il ne le montre et donc très déterminé à demeurer sans étiquette, sinon celle du succès qui ressemble rarement aux fervents de la révolution permanente ou la révolution trahie, deux des opus de Trotski.
Pour Besancenot, c’est une tout autre affaire. En théorie, Vivement dimanche offre sans doute l’espace le plus vaste pour une prédication réussie. Le Jour du Seigneur compte beaucoup moins de fidèles. Comme Georges Marchais l’avait si bien compris, une belle et bonne émission télévisée rassemble plus de monde qu’une année de meetings. D’ailleurs, Marie-George Buffet sera dans trois jours la téléspectatrice la plus frustrée de France. A la gauche du PS, il n’y en a décidément que pour Besancenot, ce diplômé facteur qui caracole dans les sondages, se fait interviewer dans Paris Match par un académicien amusé et installe désormais à la télévision une hégémonie juvénile sur la gauche de non-gouvernement.
La secrétaire nationale du Parti communiste a-t-elle si raison que cela d’envier l’ordalie de Besancenot chez Drucker ? Qui va dévorer l’autre, la télévision ou le trotskiste ? S’il s’agit de critères de popularité, aucun doute : le porte-parole de la Ligue communiste révolutionnaire ne peut que se réjouir à l’avance de son invitation à Vivement dimanche. Il est déjà bien classé dans les baromètres les plus bourgeois. Il le sera encore mieux au lendemain de son intronisation.
A Hollywood, dans les années 1950, on présentait les débuts des aspirants au statut de star sous le bandeau « introducing ». C’est la posture actuelle de Besancenot, révolutionnaire malheureux et people politique émergeant. En 2012, il pourrait réaliser un score roboratif, peut-être 7 % à 8 %, pourquoi pas un peu plus si les circonstances s’y prêtent et si la télévision est bonne fille. Le candidat socialiste devra trouver une solution. La gauche l’emportait quand la droite ne parvenait pas à gérer le Front national. La droite espère bien que le chef de file du futur parti « anticapitaliste » parviendra à détacher 2 millions à 3 millions de voix de la gauche de gouvernement. En Allemagne, Die Linke fait ainsi le bonheur d’Angela Merkel.
Dimanche prochain, Besancenot s’évertuera naturellement à faire passer un message politique chez Drucker, lequel ne l’en dissuadera pas. Il est douteux qu’il y trouve l’occasion d’approfondir le programme et la méthode de la révolution du XXe siècle.
Les triomphes ludiques de la télévision préparent rarement les changements de société. Le Minotaure Drucker dévorera paisiblement Besancenot, ce Thésée téméraire.
* Paru dans le quotidien Libération du jeudi 8 mai 2008.