Chris Harman annonce que son article « La crise de Respect » [1] est une tentative de traiter politiquement cette crise. Il n’en est rien. Il ne fait que suivre la méthode employée depuis le début dans la discussion au sein de Respect par le Parti socialiste ouvrier (SWP). Une méthode qui a enterré toujours plus la politique sous un amoncellement d’allégations et de déformations, concernant surtout, mais pas uniquement, George Galloway et Salma Yaqoob. Dans la mesure où il traite de politique, il s’agit d’une tentative de défendre l’indéfendable : d’une part le modèle d’organisation — « lâche coalition » — que le SWP a voulu imposer à Respect et, d’autre part, la manière dont la direction du SWP a réagi à la lettre de George Galloway fin août dernier.
Harman proclame que la crise a été précipitée par une série d’attaques contre le SWP. Il n’en a rien été. Elle fut précipitée par la surprenante et excessive réaction du SWP à la lettre de Galloway, qui réclamait des changements modestes de la façon d’organiser et de diriger Respect. Mais il était impossible de critiquer quelque aspect que ce soit de Respect sans atteindre le SWP, qui le dirigeait du haut en bas. Respect était en effet, jusque là, une filiale subsidiaire du SWP. C’est le nœud du problème que la lettre tentait de soulever.
Quel tournant à droite ?
Selon Harman cette lettre avait pour but de pousser Respect vers la droite. Pas du tout. Rien dans cette lettre ne suggère un tel but. Pour tenter de l’établir, Harman a choisi la remise en cause (dans le cadre de l’administration des finances) du choix de dépenser 2000 £ pour la location d’un camion-plateau à l’occasion de la Gay Pride 2007 ainsi que 5000 £ pour l’organisation de la Conférence des syndicats combatifs (OFU), à un moment où les caisses de Respect étaient vides. Il peut y avoir des points de vue différents sur de telles dépenses, mais leur mise en question est légitime et ne permet nullement de conclure qu’il s’agit d’un tournant à droite.
La question des droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT), que Harman a choisi pour attaquer la lettre, est un sujet malheureux étant donné le bilan douteux de l’attitude du SWP au sein de Respect à ce propos. Il y a en effet eu des tensions avec Galloway sur cette question. Alors que Galloway défend les droits des LGBT — et il est connu pour cela — il a à plusieurs reprises insisté d’une façon discutable pour que dans le matériel de Respect cette question soit traitée prudemment. Le problème, c’est que le SWP a soutenu Galloway sur cette question à chaque occasion, contre Socialist Resistance (SR), entre autres, qui plaidait pour une attitude plus offensive.
Ce fut le cas lors des deux premières Conférences de Respect, au cours desquelles les dirigeants du SWP ont dénoncé les militants de SR parce que ces derniers soumettaient des résolutions mettant en avant les droits des LGBT. Ce fut également le cas lors de la discussion du projet du manifeste de Respect, que j’avais rédigé. Dans ce débat George Galloway fut soutenu par le SWP lorsqu’il argumentait pour limiter cette question dans le texte.
On peut discuter s’il était juste ou non de dépenser soudainement beaucoup d’argent pour notre intervention dans la Gay Pride 2007, alors qu’auparavant les militants de SR ont été obligés de faire toute une campagne pour obtenir l’impression d’un tract destiné à cette activité. Mais ce n’était pas un tournant à droite. Il s’agissait de mettre en question une dépense particulière à un moment où Respect n’avait pas d’argent pour financer une campagne électorale ou quoi que ce soit d’autre.
La question concernant la manière dont la conférence OFU fut préparée et financée par l’exécutif permanent est toujours légitime. Dès le début je me suis opposé à cette façon d’agir et j’ai en conséquence refusé de faire partie du comité organisateur. J’avais plaidé pour une conférence organisée en commun avec des secteurs de la gauche syndicale et, si possible, avec le Parti communiste de Grande-Bretagne (CPB), dans le but de renforcer les liens entre Respect, la gauche syndicale et les autres partenaires du projet. Cette démarche fut rejetée par l’exécutif permanent, favorable à une conférence organisée par Respect lui-même, dont le principal but était de rassembler beaucoup de monde. Et la conférence, bien que fort nombreuse, n’a nullement permis de renforcer les relations entre Respect et la gauche syndicale. La critique de Galloway, qui concernait les ressources engagées par le bureau de Respect et la perte de 5000 £, était donc parfaitement légitime.
Le déni de la crise
Mais tant la Gay Pride que l’OFU n’étaient que des éléments secondaires de la lettre de Galloway. Harman admet lui-même que l’intention d’un tournant droitier n’aurait été que sous-jacente dans la lettre. Mais il évite de prendre en compte les questions centrales que Galloway a posées sur l’état de Respect. En réalité le nombre des adhérents a décliné, passant de 5 500 deux ans plus tôt à 2 200 en août 2007. Une réalité qui devrait normalement être interprétée comme une crise. Non seulement nombre de sections de Respect étaient moribondes ou inactives, mais Respect lui-même s’était politiquement réduit, car la majeure partie de ceux qui l’ont quitté étaient des militants indépendants. Il a eu des problèmes financiers et n’était plus capable d’affronter une élection législative. Le problème était dans son processus de prise des décisions, dans le fonctionnement de ses instances et dans le contrôle non démocratique qu’exerçait sur lui le SWP, de haut en bas. Tels étaient les véritables problèmes qui ont provoqué la lettre.
Aucun de ces problèmes n’était nouveau. Certains d’entre eux avaient été soulevés depuis des années. La Plate-forme Respect-Parti (RPP) avait tenté de les soulever lors de la conférence d’Octobre 2006 et fut brutalement éconduite par John Rees, le secrétaire national de Respect et dirigeant central du SWP, avec le soutien de George Galloway. Le déclin du nombre d’adhérents avait été dissimulé de manière flagrante. John Rees a falsifié le nombre d’adhésions, afin de donner l’impression que Respect se développait alors qu’il déclinait. Toutes les protestations concernant cette manipulation furent ignorées.
La conférence fut informée que, de toute façon, le nombre d’adhérents n’était pas la meilleure façon de mesurer la force de Respect, car il y avait beaucoup de sympathisants qui n’étaient pas prêts à adhérer, mais qui pouvaient être appelés à prendre part à des campagnes importantes, comme les élections. C’était une référence, indirecte mais révélatrice, aux membres du SWP et à la manière dont le SWP traitait Respect. Une manière de dire qu’il ne faut pas une véritable organisation avec des membres actifs car il y avait abondance de militants du SWP qui pourraient être appelés pour servir de piétaille, si nécessaire. Autrement dit, Respect n’était pas une véritable organisation mais un front du SWP et s’il n’a pas eu de vie politique interne c’est qu’il ne devait pas en avoir. Il ne s’agissait que d’un prolongement du SWP, d’un dispositif électoral. Lors de la Conférence, les militants du SWP sont montés à la tribune un après l’autre pour nous dénoncer et pour clamer que leur section de Respect était active et en expansion, qu’il n’y avait pas de crise et que seule une attitude malveillante pouvait conduire à prétendre le contraire. Citons un extrait du bilan que le RPP a publié à l’issue de la conférence :
« La véritable situation de Respect était à l’image de l’éléphant dont il ne faut pas parler. Comment, nous disait-on, à la suite des succès électoraux majeurs qui ont permis d’obtenir un siège à Westminster [Chambre des députés] puis 16 conseillers dans les élections locales, Respect aurait-il pu être plus réduit et plus étroit politiquement au moment de la conférence, en dépit des succès à Londres-Est.
« Selon le rapport annuel, tel qu’il a été discuté au sein du Conseil national avant la Conférence, Respect avait perdu un tiers de ses membres au cours de l’année précédente, passant d’un peu plus de 3 000 à un peu plus de 2 000 adhérents et beaucoup de ses sections étaient en mauvais état. Pourtant, loin de profiter de la Conférence pour débattre du problème et de comment l’aborder, tout a été dissimulé. La version du rapport annuel présenté aux délégués fut même modifiée et tous les comptes d’adhérents furent supprimés. Une formule bien ciselée a remplacé les chiffres, ce qui donnait l’impression que les adhésions augmentaient. On avait affaire à de la fumée et aux miroirs. En déclin, Respect fut proclamé en pleine croissance. Dans son discours d’ouverture George Galloway a non seulement prétendu que le jardin était attrayant, mais aussi que Respect venait de recruter 10 000 étudiants ! Respect était, à en croire Galloway, « le parti dont la croissance était la plus rapide en Grande-Bretagne ». John Rees a insisté : Respect était “plus grand cette année que l’année précédente”. »
Toutes les propositions que nous avions présentées à cette Conférence, visant à redresser cette situation désastreuse, ont été repoussées par une majorité SWP. On nous racontait qu’il n’y avait pas de crise — sauf dans l’esprit d’une minorité contrariée — et donc qu’il n’y avait aucune raison de tenter de la résoudre. Nous avons été isolés et défaits.
Scission
Le véritable fond de la lettre de George Galloway concernait cette crise. Ce qui était nouveau, c’est que la crise se reflétait maintenant dans le mauvais résultat obtenu lors de l’élection législative partielle à Southall, que les élections nationales étaient en perspective et que George Galloway mettait maintenant le problème à l’ordre du jour. Sa lettre était une tentative d’aborder la situation réelle. Elle contenait des propositions visant à renforcer le recrutement et la collecte d’argent, à réorganiser dans ce but (de manière fort modérée) les structures de direction de Respect en vue d’y introduire une dose de pluralisme. Si le SWP avait été prêt à discuter ces sujets politiquement et à chercher des compromis pour prouver qu’il voulait tenir compte des points de vue des autres, cela aurait pu avoir un résultat positif. John Lister (un autre membre de Socialist Resistance au sein du Comité national) et moi-même avions publié une déclaration qui saluait la lettre de George Galloway tout en l’invitant à aller plus en avant, en particulier en ce qui concerne la démocratisation des procédures internes, les structures et la comptabilité de Respect.
Harman dit de manière assez paternaliste que ceux de la gauche, qui comme moi, John Lister (mais aussi Ken Loach et d’autres) ont soutenu la lettre et par la suite le renouveau de Respect (Respect Renewal) se sont égarés ! Mais il ne pouvait y avoir de doutes sur la manière dont nous réagirions à cette lettre. Elle mettait le doigt sur les problèmes que nous avions soulevés et sur les changements que nous proposions depuis longtemps. Il ne pouvait espérer que nous soutiendrions la direction du SWP, à partir du moment où il fut clair qu’ils opposaient à la lettre un inacceptable statu quo. Si la fiction de l’opposition gauche-droite avait pour but de nous attirer dans le camp du SWP, cela ne pouvait pas marcher.
Telle a été la réaction de presque tous les membres du Comité national (CN) qui ne sont pas membres du SWP. Ce fut une situation remarquable. La direction du SWP a réussi à s’aliéner en quelques semaines pratiquement tous les membres actifs du Comité national non-membres du SWP, avec lesquels ils avaient travaillé durant trois ans et demi. Le CN comptait 50 membres, dont 44 étaient activement engagés. Au moment de la lettre le SWP avait 19 membres au sein du CN. Au moment de la scission, 19 ont soutenu Respect Renewal et 21 ont soutenu le SWP (dont 17 en sont membres), les autres refusant de choisir.
Parmi ceux qui soutiennent Respect Renewal il y a Linda Smith (présidente nationale de Respect et dirigeante du Syndicat des pompiers FBU), Salma Yaqoob (vice-présidente, élue conseillère municipale à Birmingham), Victoria Brittain (écrivaine et dramaturge très connue), Jerry Hicks (militant dirigeant dans l’industrie et membre du SWP lorsque la crise a commencé). Il y a aussi le cinéaste Ken Loach, Abjol Miah (dirigeant de Respect au conseil municipal de Tower Hamlets), Yvonne Ridely (journaliste) et Nick Wrack (premier président national de Respect et membre du SWP lorsque la crise a éclaté).
Après la scission le rapport entre les membres du SWP et les militants indépendants au sein du nouveau CN de Respect-SWP, élu le 9 octobre, est encore plus significatif : 70 % de ses membres sont militants du SWP. Il lui sera difficile d’être une large coalition dans de telles conditions.
Diffamations
Selon Harman, le SWP a fait « l’impossible » pour trouver un compromis et empêcher la scission. C’est inexact. En fait ce fut le refus de tout compromis de la part du SWP qui a mis en marche la scission. Loin de faire des concessions le SWP est allé dans la direction opposée. Considérant que la lettre était une attaque frontale contre le SWP, ce dernier a organisé une tournée nationale des zones tenues par lui, diffamant George Galloway et le traitant, ainsi que Salma Yaqoob (et d’autres encore), de communalistes, avec des connotations dignes des pires traditions des pogroms coloniaux.
La caractérisation de communaliste était particulièrement indigne dans le cas de Salma Yaqoob, qui est loin de l’être et dont l’engagement dans le combat contre le communalisme à Birmingham est bien connu — ce qu’elle décrit de façon convaincante dans sa réponse au défi du SWP. On peut trouver de nombreux exemples où Respect s’est focalisé dans sa construction sur une seule communauté ou encore qu’il a agi en s’appuyant sur des réseaux communautaires dans certaines zones. Mais le SWP a tort en présentant cela comme relevant du communalisme et Harman poursuit cette voie dangereuse. Bien sûr, la tâche doit consister à résister à l’utilisation de tels réseaux en particulier là, ce qui est souvent le cas, où ils sont dominés par les mâles. Au contraire du Parti travailliste cependant, nous devons lutter pour la transparence, comme ce fut le cas concernant le vote par procuration. Et s’il y a eu des concessions faites à de telles pratiques, le SWP devrait pouvoir indiquer ce qu’il a fait pour s’y opposer et non affirmer, sans aucune preuve, que tout cela avait l’aval de George Galloway. Salma Yaqoob présente nombre de ces cas de manière beaucoup plus adéquate dans son excellente réponse à Harman, intitulée « Un spectre hante-t-il Respect ? ».
Les attaques contre Galloway furent de plus en plus frénétiques à chaque réunion interne du SWP. Apparue en son sein, une minorité opposée à une telle pratique et qui a plaidé pour que le SWP cherche des compromis avant qu’il ne soit trop tard, a été balayée et certains de ses membres furent expulsés du parti. Rétrospectivement il semble qu’à partir du moment où la direction du SWP s’est engagée sur cette voie en mobilisant ses membre contre Galloway, il était déjà impossible d’empêcher la scission. Il était difficile de remettre en cause les allégations et de faire oublier l’amertume qu’elles ont engendrée. Les dirigeants du SWP se trouvant ainsi dans un trou ont continué à le creuser. Et Harman poursuit dans son texte le genre de langage employé alors. Il prétend non seulement qu’il y avait une chasse aux sorcières contre le SWP mais ajoute que cela reflétait la tonalité de la guerre froide des années 1950 et des purges des trotskistes au sein du Parti travailliste dans les années 1980 ! Ailleurs, il nous compare avec la direction de Rifondazione rejoignant la coalition autour de Prodi.
Il vaut la peine de noter que George Galloway, diffamé maintenant par le SWP, est le même George Galloway que le SWP avait protégé à plusieurs reprises face aux critiques que nous et d’autres dans Respect formulions à son encontre, pas seulement en ce qui concerne la manière de traiter les droits des LGBT. Maintenant ils dénoncent sa bizarrerie alors qu’à l’heure de sa débâcle dans l’émission de « télé-réalité » Celebrity Big Brother ils s’étaient battus pour le protéger contre toute responsabilité dans cette affaire. Ils avaient bloqué avec succès toute critique publique de la décision de Respect de participer à cette émission. Harman répète les arguments les plus grossiers employés alors par le SWP. Par exemple que l’apparition de Galloway dans Big Brother n’était pas aussi grave qu’envahir l’Irak, ce que Blair et le Nouveau Parti travailliste ont fait ! Alors tout est pour le mieux ! Avec de tels critères il avait les mains totalement libres !
Le prix du « front unique d’un genre particulier »
En réponse à l’accusation que le SWP avait dominé Respect de manière non démocratique — quelque chose qui était évident pour les non membres du SWP — Harman prétend que cela ne peut être vrai, car le SWP a une bonne réputation dans les campagnes telles que la Ligue antinazie ou la Coalition Stop the War ! Que l’on soit d’accord ou non avec ce jugement, il reflète le nœud du problème. Le SWP a toujours traité Respect comme s’il s’agissait d’une campagne sur une thématique donnée et a essayé de le construire en tant que front unique d’un genre particulier — alors qu’il devrait s’apparenter beaucoup plus à un parti politique s’il veut réussir. Les niveaux de démocratie, de la participation des membres, de l’expérience et du développement politique communs sont fort différents au sein d’une organisation (qu’on la nomme parti ou pas) qui combat pour la représentation politique qu’ils ne le sont au sein d’une campagne de masse unithématique se limitant à un seul objectif. Une fois encore, c’est là qu’est le nœud du problème.
Selon Harman, George Galloway et d’autres s’en sont pris au centralisme démocratique et à l’organisation léniniste démocratique. Cependant, ce qui a été mis en cause ce ne fut pas le centralisme démocratique en général mais bien la manière de l’employer au sein du Respect par le SWP et les effets que cela a eu sur la démocratie intérieure de l’organisation. En d’autres termes il s’agissait de la conception bureaucratique que le SWP a du centralisme « démocratique » et de la manière dont il l’a appliquée dans Respect.
L’objection ne concernait pas que le droit du SWP d’avoir ses propres réunions, elle concernait le rapport entre sa façon de prendre les décisions et la manière dont Respect devait les prendre. Beaucoup de militants de Respect, non membres du SWP, se rendaient compte, avec peine, à quoi cela a conduit. Les délégations massives du SWP agissaient de manière disciplinée au sein des organes de direction de Respect, sans tenter de limiter l’impact sur le véritable processus de discussion. Pour tous les autres, c’était une perte de temps d’attendre des décisions déterminées à l’avance. En ce qui me concerne, j’ai refusé de faire partie de l’exécutif après la Conférence de 2006 justement pour cette raison. Je considérais que mon assistance ne pouvait être justifiée, car les instances élues n’étaient pas le lieu véritable de la prise des décisions. Il s’agissait de réunions symboliques, commandées par les structures parallèles du SWP. Et les décisions prises n’étaient appliquées qu’à la condition de correspondre aux choix du SWP.
C’est ce mode douteux de fonctionnement qui impliquait une structure de haut en bas avec un « dirigeant important » au sommet, faisant marcher à la fois Respect et le SWP. C’est ce mode de fonctionnement que George Galloway a défié en proposant de nommer un organisateur national à côté du secrétaire national, avec une autorité équivalente. Et c’est pour cette raison que le SWP a résisté si durement. Car il l’a vu comme un défi direct à John Rees et à sa capacité de faire marcher les choses.
C’est cette question, beaucoup plus que les événements de Tower Hamlets à l’Est de Londres, qui fut la force motrice de la scission au sein du Comité national. Après des heures de discussion lors de deux réunions du CN — au cours desquelles les délégués su SWP faillirent pousser Galloway hors de Respect — un accord a été conclu sur la nomination d’un organisateur national avec un statut égal à celui de John Rees. Cela fut interprété comme une percée par les membres du CN non-militants du SWP. Une réunion de l’exécutif a alors suspendu cette décision, décidant de la soumettre à la prochaine Conférence. La crise a ainsi atteint un niveau supérieur. Ce fut un signal fort et clair que le SWP était décidé à défendre sa conception du mode de fonctionnement à tout prix et qu’il était probablement trop tard pour tenter de sauver Respect dans sa forme initiale. C’est aussi cela qui a aggravé la crise à Tower Hamlets et a déclenché la bataille autour de l’élection des délégués pour la Conférence. Si tout devait être décidé par une voix, la manière de choisir les délégués à la Conférence devenait cruciale.
La rançon du succès
Il est vrai qu’il y a eu des problèmes et des conflits plus importants à Tower Hamlets. Bon nombre d’entre eux reflétaient les véritables problèmes produits par le succès électoral de Respect, dont personne ne devrait pourtant se plaindre. Respect a réalisé une importante percée de la gauche, sans précédent, dans les minorités appauvries à l’Est de Londres et à Birmingham, au sein d’un électorat outragé par la guerre. Il a recruté beaucoup de nouveaux membres dont la plupart avaient une faible expérience du mouvement ouvrier ou de la gauche traditionnelle et des traditions différentes de celles des organisations politiques. Comment pouvait-on consolider ces succès et comment traiter les nouveaux problèmes qui surgiraient inévitablement (quelle que soit la nouvelle communauté impliquée) ? Telles étaient les nouvelles questions.
Il est vrai que l’appel de Respect, en tant que parti contre la guerre, a eu un fort impact au sein des communautés musulmanes. Cet impact était très différent de ce qui aurait pu arriver dans les zones de la classe ouvrière blanche. Il y avait et il y a des propriétaires de restaurants qui soutiennent à fond Respect, encore une fois d’une manière non reproductible dans les zones de la classe ouvrière blanche. C’est à la fois le produit de la place qu’ils ont en tant qu’immigrés dans la société britannique, de leur expérience politique précédente et de la nature de la soi-disant guerre contre la terreur qui n’est rien d’autre qu’une mise sur la sellette de la population musulmane.
Mais ce serait une grave erreur que d’en conclure que les quelques propriétaires de restaurants qui soutiennent Respect Renewal déterminent sa nature de classe. Tel n’est pas le cas. La grande majorité des Musulmans qui s’identifient à Respect viennent des secteurs les plus appauvris de la classe ouvrière en Grande-Bretagne. Il est honteux que le SWP ressorte aujourd’hui les arguments que nous avions habitude d’entendre dans la bouche de la droite ou de l’ultra-gauche.
Les problèmes résultant de tout cela n’ont jamais été discutés au sein de Respect, tant au niveau du CN que dans l’exécutif. Contre Respect à Tower Hamlets, Harman lance des accusation à propos d’intrus qui ne seraient pas de gauche. Mais pourquoi rien de ceci n’a été en son temps dit aux instances élues ? En fait la direction du SWP a consciemment décidé de garder cela pour soi et de ne pas l’ébruiter en dehors de Tower Hamlets et du SWP, car les organes élus n’étaient pas considérés comme une véritable direction. Au lieu d’être soumis à une discussion collective, les problèmes, lorsqu’ils existaient, étaient cachés. C’était une grave erreur. Il était impossible aux directions élues de prendre la responsabilité de tels problèmes quand elles n’étaient pas au courant de leur existence. Et la réponse du SWP fut la politique du plus petit dénominateur commun. Elle évitait les conflits mais ne permettait pas de résoudre les problèmes.
La conception de « lâche coalition » —sur laquelle le SWP a insisté pour l’imposer à Respect au lieu de le construire comme un véritable parti politique — fut le cadre politique qui déterminait tout cela. Les priorités d’une telle coalition n’étaient pas son développement politique ni l’établissement d’une expérience politique collective. Ceci était réservé au SWP lui-même, en concordance avec sa conception d’une campagne de front unique. Pour une telle campagne comme pour une coalition lâche, la priorité c’était de pouvoir fournir les votes quand c’était nécessaire. Comment l’organisation elle-même se développait n’avait qu’une importance secondaire.
Cela avait également des implications en ce qui concerne la démocratie interne. Une coalition lâche n’implique pas le même niveau de démocratie et de responsabilité qu’un parti. Elle n’implique pas non plus des modalités détaillées de la prise de décisions politiques par l’exécutif, ni un clair statut de membre, ni des procédés de sélection. Harman parle d’irrégularités à Tower Hamlets, en particulier d’un grand nombre de membres payant la cotisation de chômeurs, alors que, selon lui, certains d’entre eux doivent avoir un emploi. Il est difficile de savoir si cette allégation est fondée ou pas. Mais ce qui est certain, c’est que le SWP a un bilan effroyable en ce qui concerne de telles irrégularités et que, si elles sont réelles, il porte la responsabilité première de les avoir laissé se développer. Tant lors de la Conférence de Respect de 2006 que lors de celle que le SWP a organisée lui-même en 2007, il y avait un grand nombre de délégués étudiants qui n’avaient aucun statut légitime. Ils étaient « élus » sur la base des listes d’étudiants qui avaient simplement exprimé un intérêt pour Respect en entrant en première année, mais ne sont jamais devenus membres et, dans la plupart des cas, n’ont jamais été recontactés. Il s’agissait là d’un des facteurs faisant de la Conférence un événement non démocratique et inacceptable, qui ne pouvait plus être viable en tant que conférence unie. Il devenait ainsi peu probable d’obtenir à la Conférence un accord sur la vérification des mandats des délégués, ce qui aurait conduit à une rupture qui n’aurait été profitable à personne.
Harman ne fait aucune tentative sérieuse visant à expliquer ce revirement du SWP : comment George Galloway, qui aux yeux du SWP était le leader incontestable, est devenu du jour au lendemain l’ennemi numéro un de la gauche. Il est vrai que Galloway est un franc-tireur et qu’il est un politicien controversé. Mais il l’était déjà le jour de la constitution de Respect et il n’a pas changé le jour de la scission. Lors de la fondation de Respect, le SWP considérait qu’il était de première importance d’y inclure quelqu’un comme Galloway, si ce projet devait avoir un large écho. Et ils avaient raison, du moins en principe, même s’ils ont eu tort en pratique. Il est impossible d’avoir un parti large, qui regroupe ensemble des socialistes révolutionnaires et des réformistes de gauche, sans aucun réformiste de gauche puissant et influent. Galloway est toujours le seul député de la gauche travailliste qui ait rompu avec le Parti travailliste et en ait été exclu pour son désaccord sur la guerre. Le seul qui ait mis son poids dans la balance pour construire une alternative. Il est le meilleur orateur de gauche, ce qui n’est pas un attribut sans importance. Il a été et reste un leader central du mouvement anti-guerre. C’est largement du fait de ces deux facteurs qu’il dispose d’une base électorale plus grande que n’importe qui à gauche du travaillisme. Il reste un travailliste de gauche dans sa politique, comme il l’a très clairement exprimé lors de la conférence de Respect Renewal. Mais c’est cela qu’il a apporté à Respect dès le début : une véritable composante de la politique de la gauche travailliste.
Harman n’a pas non plus le droit d’établir un parallèle entre l’épisode Big Brother et les autres apparitions médiatiques de Galloway, en particulier son Talk Sport show bihebdomadaire. Il s’agit là d’une émission de gauche qui rend service à la gauche. Elle est utilisée par Galloway pour promouvoir les causes et les idées de gauche devant une audience qui atteint un demi-million. Il est difficile de faire des objections à cela.
Respect Renewal
Les succès réalisés par Respect Renewal depuis la scission sont une indication que les conditions politiques pour un tel parti demeurent toujours. Respect Renewal reste fragile et il ne pourra se développer avec succès que dans la mesure où il sera capable de se tourner vers l’extérieur, vers le reste de la gauche. La force de Respect Renewal, ce qui n’a jamais été le cas de Respect original, dominé par le SWP, c’est qu’il est sérieux lorsqu’il parle d’approcher les autres secteurs de la gauche, telle la gauche syndicale et le CPB en vue d’un large regroupement des forces pour répondre à la crise de représentation de la classe ouvrière. Il est sérieux quand il dit qu’il ne constitue pas la réponse mais seulement une composante de la réponse. Il le montre quand il dit qu’il est possible d’aller vers un regroupement plus large et qu’il ne mettra pas de conditions organisationnelles préalables. Son unique préalable, c’est que cela doit représenter un pas en avant dans la construction d’une sorte de nouveau parti dont la classe ouvrière a besoin afin de répondre aux trahisons de la social-démocratie.
Tout cela aurait pu être discuté dans le cadre de l’ancien Respect, si la direction du SWP avait agit différemment. Malheureusement ce ne fut pas le cas. En réalité elle résistait à ce genre d’approche. La tâche maintenant c’est de faire de Respect Renewal la réussite qu’il peut être. Il a fait un début encourageant ; la tâche maintenant est de le construire sur la base du ce succès initial.
Londres, le 4 janvier 2008