• La grève se poursuit à Carsud (transports en commun, une cinquantaine de salariés, Veolia), à Nouméa. Quelle en est l’origine ?
Gérard Jodar – En janvier 2007, la direction de Carsud a signé un protocole d’accord, qui prévoyait des dispositions pour la réintégration de deux salariés licenciés. Le 30 avril 2007, Carsud devait ainsi faire une proposition aux deux salariés et, le 30 octobre, rendre sa décision finale. Mais rien de tout cela n’a été fait. La grève a donc débuté, le 2 novembre dernier. Nous avons installé, comme à chaque fois que l’on fait grève, des cabanes [abris en tôle dotés de l’électricité, NDLR] devant l’entreprise pour tenir le piquet de grève. Depuis six mois, nous sommes sur place 24 heures sur 24 et sept jours sur sept.
• Dès le début de la grève, vous subissez les interventions régulières des forces de l’ordre. Mais, le 17 janvier dernier, les choses prennent une autre tournure…
G. Jodar – Ce jour-là, à 2 heures du matin, près de 200 gardes mobiles lancent un véritable assaut contre notre campement. Ils tirent près d’un millier de grenades lacrymogènes, parfois à tir tendu, usent de flash-balls, blessent plusieurs dizaines de personnes, en interpellent de nombreuses autres. Cela a été la guerre pendant dix heures ! Quatorze syndicalistes feront l’objet d’une mise en détention provisoire, jusqu’au 22 février, date à laquelle le tribunal a estimé que la manifestation syndicale était de caractère politique et ne pouvait être jugée en comparution immédiate. À la suite de la répression du 17 janvier, j’ai fait l’objet d’un mandat de recherche et, aidé par mes camarades, j’ai dû vivre, pendant un mois, claquemuré dans les locaux du syndicat afin de ne pas aller en prison.
• L’intervention des forces de l’ordre, le 17 janvier, précède de quelques heures le début de la grève générale appelée par l’USTKE. S’agissait-il d’une action préventive ?
G. Jodar – Clairement ! La police assure qu’elle est intervenue parce qu’il y avait entrave à la liberté du travail. Mais c’est précisément l’inverse : il y a eu entrave (routes bloquées, voiture du directeur incendiée, etc.) parce qu’il y a eu cette intervention de la police, qui fait d’ailleurs l’objet d’une enquête de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN).
• Dans un pays où les prud’hommes n’existent pas, le Medef local a appelé ses adhérents à sanctionner les salariés qui suivraient la grève générale. Sur quoi s’appuie-t-il ?
G. Jodar – Le Medef juge illégale la grève de solidarité. Il a donc envoyé une lettre à ses adhérents afin qu’ils sanctionnent les grévistes. Mais, redoutant le pire, aucun patron n’a suivi la consigne, à l’exception du président du Medef, Jean-Yves Bouvier, qui, en mal de crédit, a mis à pied sept salariés de son entreprise, CFP (fabrication de tôles et de structures métalliques). Dans la jurisprudence, les grèves de solidarité pure sont illicites, mais nous avons des revendications de portée générale. Dans son préavis de grève générale – pour le 17 janvier, comme pour les autres jours –, l’USTKE a clairement signifié qu’elle appelait à « dénoncer les atteintes aux libertés syndicales et à l’exercice du droit de grève » [la direction de Carsud ayant recours à des intérimaires pour remplacer les grévistes, NDLR]. Dans un rapport, l’inspection du travail juge le mouvement parfaitement légal.
• Le 17 novembre, à l’initiative de l’USTKE, le Parti travailliste (PT) a été fondé. Ne cherche-t-on pas, en frappant l’USTKE, à atteindre le PT ?
G. Jodar – Oui. Peu de monde a apprécié la création du PT : ni l’État, ni la droite, ni le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), qui pense que cela divise le mouvement indépendantiste. Bouvier est soutenu dans sa démarche par les hommes politiques de droite qui gèrent la province Sud [1]. Carsud est une délégation de service public de la province Sud. À ce titre, elle est tenue à certains engagements, et elle doit payer des indemnités en cas de retards ou de dysfonctionnements. Ainsi, pour l’année 2007, Veolia doit payer 300 millions de francs CFP (2,5 millions d’euros). Le président de la province Sud accepte le non-versement des indemnités, à condition que Carsud ne cède pas face aux grévistes, afin d’affaiblir l’USTKE et, par là, le Parti travailliste.
• D’autant que, l’année prochaine, auront lieu les élections provinciales…
G. Jodar – Les élections provinciales, début 2009, constituent une échéance très importante. Personne ne veut que nous ayons des élus, dans les provinces ou au Congrès [équivalent, au niveau législatif, de l’Assemblée nationale en France, NDLR]. Le Parti travailliste compte bien se présenter et faire des propositions, notamment concernant la protection de l’emploi local et le rééquilibrage, dans les entreprises, en faveur de la population kanake. Il faut également respecter intégralement les accords de Nouméa (1998), qui prévoient le transfert de certaines compétences [hormis la défense, la sécurité, la justice et la monnaie, NDLR]. Pour l’instant, on a récupéré l’enseignement primaire dans le public. D’autres compétences sont en cours de discussion – enseignement primaire dans le privé, enseignement secondaire… Bien sûr, nous devons entièrement contrôler l’exploitation des richesses minières, dont la Kanaky regorge. La droite locale souhaite que le transfert de compétences échoue, afin de montrer qu’on ne peut pas se passer de la France et de gagner le référendum sur l’autodétermination, que prévoient les accords de Nouméa à partir de 2014.
• Le Parti travailliste peut-il avoir des élus au Congrès ?
G. Jodar – Aux municipales, il s’est présenté dans quatorze communes sur 33, et il a obtenu 33 élus municipaux. C’est correct, pour une première présentation !
• Quels sont vos objectifs dans l’immédiat ?
G. Jodar – Tant que le conflit n’est pas réglé, on reste sur les piquets de grève, à Carsud comme à CFP. On organise des collectes et des actions de solidarité pour faire tenir les grévistes. Concernant la condamnation du 21 avril, nous faisons appel et nous demandons le dépaysement du jugement.
* Paru dans Rouge n° 2250, 01/05/2008. Propos recueillis par Thomas Mitch.
KANAKY : Condamnation des syndicalistes de l’USTKE
Le verdict rendu le 21 avril dans le procès des syndicalistes de l’USTKE est inique : 23 condamnations allant d’un mois à un an de prison ferme pour avoir participé, ou inciter à participer, à une manifestation à Nouméa, le 17 janvier 2008, qui a été violemment réprimée. Le président du syndicat USTKE, Gérard Jodar, a été condamné à un an de prison, dont six mois ferme, pour « incitation à participer à attroupement armé ». Des peines qui n’ont jamais été prononcées en métropole pour des faits similaires, mais la justice coloniale, répondant aux desiderata de la droite revancharde, veut casser l’USTKE, la première organisation syndicale du territoire, car elle dérange le patronat local et les multinationales qui font des profits énormes en Kanaky.
Le 21 avril, à Paris, la mobilisation de soutien aux syndicalistes de l’USTKE a pris de l’ampleur avec un grand meeting au cours duquel ont pris la parole Corinne Perron (USTKE), Jacky Foureau (CGT), Annick Coupé (Solidaires), Yves Salesse (CNCU), Jérémy Bertuin (CNT), Olivier Besancenot (LCR), Raphaël Mapou (Collectif Rheebu Nu-Kanaky), Patrick Farbiaz (Les Verts), Tarek Kawtari (MIB), le collectif Bellaciao, Alain Mosconi (STC) et José Bové (Via campesina). Tous les orateurs se sont engagés à poursuivre la mobilisation pour la relaxe des camarades et à faire connaître la lutte des syndicalistes de Kanaky d’ici le procès en appel. Pour les rendez-vous, consulter www.solidaritekanaky.org.
* Paru dans Rouge n° 2249, 24/04/2008.