Entre septembre 2006 et septembre 2007, 312 000 emplois ont été créés dans le secteur concurrentiel, soit une progression de 1,8 %. Or, dans le même temps, le PIB a augmenté d’à peine un peu plus. Cela veut dire que la différence entre les deux, la productivité du travail, a cessé de progresser. Depuis deux ans environ, on observe ainsi un ralentissement progressif de la productivité, qui est une particularité de la France. Les autres pays européens créent à peu près autant d’emplois, mais pour une croissance supérieure d’environ un point.
Tout se passe comme si les patrons avaient anticipé une reprise de l’activité ou réagissaient avec retard à des indicateurs de moins en moins favorables. Une partie de l’explication provient de l’investissement : le taux d’utilisation des capacités atteint un niveau élevé, et il conduit à une reprise de l’investissement et, accessoirement, à l’embauche de cadres. Mais cette première piste est partielle et évidemment peu durable compte tenu du retournement de conjoncture.
L’examen de la structure des emplois confirme le mouvement de fractionnement du salariat. L’emploi augmente par les deux bouts : emplois précaires d’un côté, emplois « high-tech » de l’autre. Sur 100 emplois créés au cours des douze derniers mois, 21 l’ont été dans la construction, qui connaît un véritable boom ; 29 dans les services aux entreprises (conseil et assistance, avec une forte progression de l’intérim) et 31 dans les services aux particuliers. Mais cette dernière catégorie ne se réduit pas aux services à la personne, puisqu’elle inclut aussi le tourisme, les loisirs ainsi que les hôtels, cafés et restaurants. On ne voit pas non plus de mouvement à la hausse du temps partiel. Les données dont on dispose ne permettent donc pas de déceler une accélération de la précarisation, qui suffirait à rendre compte de ces créations massives d’emplois. Cette deuxième piste d’explication doit donc être complétée par une troisième.
Culot
Il faut ici prendre un peu de recul et souligner un autre phénomène troublant, en distinguant trois phases dans l’évolution des dix dernières années. La première est celle de la mise en place des 35 heures : entre 1998 et 2001, ce sont environ 1,6 million d’emplois qui ont été créés dans le secteur privé. Certes, la croissance était alors plus soutenue (3,1 % par an). Mais l’important est de constater que la productivité par tête n’avait pratiquement pas augmenté au cours de cette période (0,4 % par an).
Vient ensuite une phase de rattrapage : après le retour de la droite, les patrons cherchent à « éponger » les créations d’emplois dues aux 35 heures. Ils y sont aidés par diverses « réformes » du marché du travail. Entre 2002 et 2005, les gains de productivité repartent alors au rythme de 1,8 % par an. Comme la croissance a ralenti à 1,9 % par an, il n’y a pratiquement plus de créations d’emplois (0,1 % par an).
Mais la capacité des patrons à intensifier le travail s’est progressivement épuisée. Alors que la croissance se rétablit quelque peu depuis 2005 (2,4 % par an), la productivité ralentit (1,2 % par an) et les créations d’emplois repartent à un rythme plus soutenu (1,1 % par an). Il faut souligner que ces moyennes cachent un ralentissement continu du rythme de progression de la productivité du travail, qui passe, au cours des deux dernières années, de 2 % par an à pratiquement 0. Pour aller vite, le patronat a bloqué l’emploi à partir de 2002, mais il a fini par être obligé d’embaucher, faute de pouvoir intensifier le travail indéfiniment.
Depuis le retour de la droite au pouvoir – entre 2002 et 2007 –, on n’aura créé que 103 000 emplois par an en moyenne, soit 3,5 fois moins que la gauche entre 1997 et 2002 (360 000 emplois chaque année). Même mal appliquée, la réduction du temps de travail n’était peut-être pas, après tout, une si mauvaise idée.
Il faut donc du culot à la droite pour affirmer que le chômage n’a jamais été aussi bas depuis 25 ans. Par symétrie avec l’évolution de l’emploi, le taux de chômage a suivi une courbe en cloche : il a augmenté à l’arrivée de la droite pour redescendre ensuite. Même en utilisant les statistiques officielles de l’Insee, on constate que la situation n’a fait que revenir à celle que la droite avait trouvée à son arrivée en 2002 : le taux de chômage est aujourd’hui de 7,5 % au lieu de 7,7 % (au sens du Bureau international du travail) et le nombre officiel de chômeurs est resté à peu près le même (2,1 millions). Si l’on prend en compte la campagne de radiation, menée notamment en 2006, on est juste revenu à la case départ de 2002.
Sombres perspectives
L’interprétation qui précède conduit à un pronostic très alarmant pour l’évolution de l’emploi en 2008. Plusieurs facteurs vont se combiner. Il y a, bien entendu, le ralentissement de la croissance, qui n’est jamais favorable à l’évolution conjoncturelle de l’emploi. Mais les patrons vont aussi chercher à restaurer les gains de productivité perdus ces deux dernières années, en licenciant ou en cessant d’embaucher. Il se trouve que le gouvernement a pris des mesures qui vont les y aider : la défiscalisation des heures supplémentaires et la possibilité de racheter les journées de RTT ont pour effet de rendre indolore l’allongement de la durée du travail par rapport aux heures « normales ». Faible croissance, retard de productivité à combler et incitations à l’allongement du temps de travail vont avoir un effet désastreux sur l’emploi. C’est pourquoi des prévisions comme celles de l’Unedic – qui table sur 180 000 créations d’emplois en 2008 pour une croissance de 1,6 % – sont absurdes. Pour une croissance de 2,6 % (!), l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) n’en prévoyait que 120 000.
Les gains minimes de pouvoir d’achat ou le déblocage de l’épargne salariale ne suffiront pas à compenser la stagnation de l’emploi et le gel des salaires. Le ralentissement de la consommation des salariés va venir plomber un peu plus l’activité, et le gouvernement va rapidement se trouver devant une contradiction insoluble. S’il relance l’économie par un supplément de dépenses publiques, le déficit budgétaire risque alors de friser les fameux 3 % et ses projets de réduction des frais de fonctionnement de l’État ne peuvent avoir un effet immédiat. Sarkozy arriverait alors en position difficile à la présidence de l’Union européenne. Il devrait aussi renoncer à reporter sur le consommateur une partie du financement de la protection sociale, via une TVA « sociale » ou autre. Mais si le gouvernement ne fait rien, le retour du chômage et le recul du pouvoir d’achat conduiraient ce pays au bord d’une grave crise sociale. Ce gouvernement est décidément dans l’impasse, et il aura bien du mal à reprendre le cours de ses « réformes » après la débâcle des municipales.
Michel Husson (Controverse)
EMPLOI : Sanctions renforcées contre les chômeurs
Le gouvernement a annoncé deux mesures stigmatisant les chômeurs : l’obligation d’accepter une offre d’emploi et la suppression de la dispense de vérification de recherche d’un emploi pour les seniors.
Les différents éléments de l’offensive patronale se mettent en place : d’un côté, la « modernisation du marché du travail » accentuant la précarisation des salariés, de l’autre, la prochaine conférence tripartite du 6 mai pour diminuer les règles d’indemnisation des chômeurs et les contraindre à accepter les emplois non pourvus.
L’« offre valable d’emploi » (OVE) présentée par le gouvernement correspond à cette logique, puisque tout chômeur sera tenu d’accepter, après six mois de chômage, tout poste situé à moins de deux heures de transport et payé au moins 70 % du dernier salaire (et si ce dernier salaire était égal au Smic ?). Les sanctions existaient déjà, mais le gouvernement pense qu’elles n’étaient pas suffisamment appliquées par les agents de l’ANPE (« seulement » 1 500 radiations pour refus d’emploi en 2007).
La fusion Unedic-ANPE prévoit par ailleurs que les agents de l’ANPE pourront choisir un statut de droit privé. Ils seront, dans ce cas, plus exposés aux pressions exercées pour appliquer les sanctions. Déjà, les sous-traitants de l’ANPE auront une part de salaire variable selon les résultats et l’on peut penser que les futurs salariés de droit privé issus de la fusion en arriveront là aussi. L’objectif dans le nouvel organisme, sera de proposer les offres d’emploi « valables » et de sanctionner ceux qui en refusent plus de deux. L’essentiel des embauches sont actuellement des CDD (jusqu’à 90 % dans certains secteurs d’activité) et des transferts de salariés au sein des entreprises ou des branches sans création nette d’emplois. Malgré cela, le gouvernement pointe du doigt les chômeurs comme unique responsables de leur situation. C’est la double peine : après le licenciement, la sanction pour refus d’un boulot précaire et sous-payé.
Les chômeurs âgés (plus de 57,5 ans) sont aussi dans le collimateur avec la suppression de la dispense de recherche d’emploi (qui, comme son nom ne l’indique pas, ne dispensait pas de rechercher un emploi mais d’être convoqué). Depuis plusieurs années, en parallèle à la « réforme » des retraites qui entraînera une baisse des pensions, le gouvernement prétend chercher à relever le taux d’emploi des plus de 50 ans. Malgré toutes les aides accordées, les patrons ne veulent toujours pas les embaucher. Le « CDD senior » a été un bide, avec seulement 20 CDD dans toute la France depuis sa mise en place. Même le secrétaire d’État à l’Emploi, Laurent Wauquiez, est obligé de reconnaître qu’on ne peut pas forcer les patrons à embaucher des seniors. Et pourtant, avec la suppression de la dispense de recherche d’emploi, les plus de 50 ans seront convoqués tous les mois et donc susceptibles d’être radiés et privés de leurs indemnités.
Lucas Maldini
ALLOCATION FAMILIALES : Hold-up sur les alloc’
Sous couvert de « rééquilibrage », le gouvernement annonce une baisse des allocations familiales, applicable dès le 1er mai. Pour les familles bénéficiaires, cette mesure se traduira par une perte d’environ 600 euros sur cinq ans par enfant.
Aujourd’hui, les allocations familiales sont majorées en deux temps : de près de 34 euros lorsque l’enfant a 11 ans, et de 60 euros à 16 ans, soit près de 94 euros. Avec le nouveau décret, la majoration elle se fera en une fois, à 14 ans, et elle sera de 60 euros. Selon Fillon, c’est à « cet âge que les dépenses des familles augmentent, comme l’ont montré de nombreuses études sur les dépenses des familles ». 600 euros seront ainsi repris par enfant sur cinq ans. Une « économie » annuelle de 138 millions d’euros sur le dos des familles les plus modestes qui servira prétendument « à financer d’autres mesures en faveur des familles, et notamment la garde des jeunes enfants », explique le Premier ministre.
« L’allocation pour garde d’enfants versée aux familles qui font garder leurs enfants par une assistante maternelle sera majorée. Le reste à charge de ces familles sera alors de 50 euros, alors qu’il était jusqu’à présent supérieur à celui supporté par les familles dont les enfants sont gardés en crèche, y compris pour les familles modestes. » Cette mesure est une fois de plus une attaque contre les plus modestes. Par un tour de passe-passe, le gouvernement essaye de faire croire que l’« économie » va être basculée vers le mode de garde individuel des enfants en bas âge. D’un côté, on prend 138 millions d’euros sur l’allocation versée à l’adolescence et, de l’autre, on redonne 40 millions d’euros pour aider les parents à faire garder leurs enfants en bas âge par des assistantes maternelles. Cette mesure montre aussi le côté réactionnaire de la politique familiale d’un gouvernement qui fait le choix de se désengager du financement des crèches et des modes de garde collectifs pour la petite enfance. De même, les diverses mesures d’allocations ou de dégrèvement fiscal des frais de garde à domicile sont des plus inégalitaires : elles favorisent ceux qui peuvent se payer de tels services et augmentent les inégalités entre les femmes elles-mêmes.
Mais d’autres « économies » pourraient encore intervenir, comme une possible baisse de l’allocation de rentrée scolaire (ARS). Comme la majoration unique des allocations à 14 ans, le principe d’une modulation du montant de l’ARS en fonction de l’âge de l’élève est aussi inscrit dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2008. Cette allocation, de 272 euros en 2007, pourrait être diminuée de manière importante pour les enfants du primaire. Le nouveau barème doit être précisé par un décret, qui n’a pas encore été publié. Cette mesure est, une fois de plus, une attaque scandaleuse contre les droits sociaux.
Sophie Berjou