De notre correspondante à Pékin,
Soumis à une intense pression occidentale, Pékin lâche du lest sur le Tibet. Les pourparlers entre la Chine et le dalaï-lama reprendront dans « les prochains jours ». L’agence officielle Chine nouvelle a tourné sept fois sa langue de bois dans sa bouche avant d’annoncer la nouvelle vendredi : « Au vu des demandes répétées du dalaï-lama, les départements concernés du gouvernement central auront des contacts et des consultations avec un représentant privé du dalaï-lama. » Les termes « clique » et « sécessionniste », dont la propagande chinoise a raffolé depuis les événements de Lhassa, le 14 mars, sont mis au rencart et le chef spirituel reprend figure humaine, même si le message reste intact. Pékin « espère qu’à travers ces discussions, le dalaï-lama prendra des décisions crédibles afin de cesser les activités séparatistes, les complots, la violence […] pour perturber et saboter les Jeux olympiques afin de créer les conditions pour de nouveaux pourparlers ».
« Théâtre ». A Dharamsala, le gouvernement des Tibétains en exil salue la proposition : « C’est ce que nous avons toujours souhaité. Il n’y a pas d’alternative au dialogue pour résoudre la crise au Tibet. » Aucune précision n’est encore donnée sur la nature, le lieu, ni l’identité des participants. « C’est soit une rencontre pour tâter le terrain, soit du théâtre politique pour réduire la pression internationale,explique à l’AFP Brian Bridges, enseignant à l’université Lingnan de Hongkong, mais cela montre en tout cas que le gouvernement est plus sensible qu’on ne le pensait à l’opinion internationale. »
Les Etats-Unis, l’Europe et la France n’ont cessé depuis plus d’un mois de lier la réussite des JO à la reprise d’un dialogue. Engagée dans une propagande interne haineuse qui a déclenché une ferveur nationaliste au-delà de ses espérances, la Chine a fait la sourde oreille. Jusqu’à la visite, hier à Pékin, de José Manuel Barroso et de neuf commissaires européens pour un sommet prévu de longue date. La crise tibétaine figurait « en tête des priorités » de la rencontre, avaient-ils prévenu, réclamant « des améliorations concrètes dans la situation des Tibétains ». Hier, le président de la Commission européenne a signifié au Premier ministre Wen Jiabao qu’il attendait des « développements positifs » sur le dossier, tout en rappelant l’opposition de l’UE à l’indépendance du Tibet et au boycott des Jeux. Le bilan controversé des victimes des émeutes (18 civils chinois et un policier, selon Pékin ; 150 morts côté tibétain, selon Dharamsala) ne semble pas avoir été évoqué. Mais la porte est entrouverte.
Une série de pourparlers entre la Chine et les Tibétains en exil avait débuté en 2002. A quatre reprises, des représentants du dalaï-lama basés à Washington et en Suisse ont rencontré une délégation d’officiels chinois du Front uni, une congrégation « de partis démocratiques » sous contrôle, faux nez du Parti communiste chinois (PCC) pour ne pas apparaître comme seul maître de la Chine. Au sixième round des négociations, en juillet 2007, le ton a monté des deux côtés. Une réunion prévue en février n’a pas eu lieu. Puis les événements de mars ont éclaté : mises à sac de biens han, violences contre les Chinois de Lhassa suivies de la répression ; le Tibet s’est refermé. Et le dalaï-lama s’est affirmé débordé par le Congrès de la jeunesse tibétaine, partisan de l’indépendance et d’actions radicales, loin de la « voie moyenne » prêchée par le leader spirituel, partisan de l’autonomie et des JO.
Que s’est-il passé depuis 2002 ? A l’automne 2005, est arrivé à Lhassa Zhang Qingli, le nouveau secrétaire provincial du PCC. Un proche du président Hu Jintao - qui occupait ce poste lors des précédentes émeutes tibétaines réprimées dans le sang, en 1989. Zhang a intensifié les campagnes « d’éducation patriotique », accentué la chasse aux moines et inauguré le train Pékin-Lhassa, par lequel arrivent des milliers de nouveaux colons han. Juste après le 14 mars, Zhang Qingli déclarait : « Nous sommes engagés dans une lutte à mort avec la clique du dalaï-lama… Ce loup dans une bure de moine. »
« Education patriotique ». En quelques semaines, le ton a changé. Mais pas la situation au Tibet, toujours fermé aux étrangers et sous le coup d’une nouvelle campagne d’« éducation patriotique ». Le but, expliquait la presse d’Etat hier, est « d’apprendre aux moines la loi et l’amour de la mère patrie ».