La création de la Sécurité sociale, en 1945, a ouvert « la possibilité pour tous d’accéder à tous les soins ». Elle a ainsi permis la transformation de la nature même de l’hôpital public. Jusqu’alors réservé à « l’assistance aux plus démunis », l’hôpital est devenu, au cours des 50 dernières années, un établissement où chacun peut accéder aux meilleurs soins.
Il n’est donc pas surprenant que la contre-réforme libérale, en même temps qu’elle s’attaque à la Sécurité sociale, ait l’hôpital en ligne de mire. Les démarches sont parallèles. D’un côté, le gouvernement veut réduire la part de l’assurance maladie dans le remboursement des soins, au profit des assurances privées et des mutuelles, tout en démantelant « de l’intérieur » la Sécurité sociale. De l’autre, il veut réduire la place centrale de l’hôpital public dans le dispositif de soins, au profit du secteur privé ou associatif, tout en privatisant l’hôpital lui-même.
De 2003 à 2007, le plan dit « Hôpital 2007 » a profondément transformé le paysage hospitalier français. Dans son discours d’installation de la commission Larcher, le 18 octobre, Nicolas Sarkozy livrait sa « vision » de l’hôpital. Pour lui, un hôpital performant est un établissement « qui se crée des marges de manœuvre pour investir dans l’innovation et les nouvelles technologies », et qui « apporte sa contribution au rééquilibrage de l’assurance maladie (sic !) ».
Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, résumait à son tour cette « vision », le 21 mars, dans une formule qui a le mérite de la clarté : « Bien gérer, c’est bien soigner. »
Telle est bien la trame de la future loi « modernisation de l’hôpital ». Nous aborderons successivement trois grands chapitres de ce projet :
• la création des agences régionales de santé (ARS), qui permettent un contrôle encore plus strict des dépenses de santé remboursées par l’assurance maladie et le transfert des moyens de l’hôpital public vers la médecine libérale et le secteur médico-social ;
• la réponse aux soins de premiers recours par la création de maisons médicales ;
• la restructuration-privatisation de l’hôpital public, ouvrant la voie à la disparition du statut des médecins et des personnels hospitaliers.
Les ARH aux ARS
Le plan Juppé avait créé les agences régionale de l’hospitalisation (ARH) avec, à leur tête, un véritable « préfet sanitaire » ayant plein pouvoir sur les établissements hospitaliers publics ou privés.
En douze ans, les ARH ont mené d’une main de fer une restructuration en profondeur du système hospitalier : fermeture d’établissements de proximité, regroupement d’établissements, privatisation des secteurs les plus « rentables » (chirurgie).
La création des ARS va élargir le champ de compétence des ARH. Outre l’hospitalisation, publique et privée, les ARS étendront leur pouvoir à la médecine de ville et au secteur médico-social, et elles géreront les enveloppes budgétaires de ces trois secteurs. Elles pourront ainsi contrôler, de manière encore plus rigoureuse, les dépenses de chacun d’entre eux et surtout transférer les moyens de l’un à l’autre.
Dans le cas précis, Bachelot affirme clairement qu’il s’agira de ponctionner les moyens, déjà très insuffisants, de l’hospitalisation publique. Cela permettra de financer, en amont, la médecine de ville, notamment la création des maisons médicales, et, en aval, le secteur médico-social, qui prendra en charge, à moindre coût, les soins de longue durée. Le secteur hospitalier n’assurera plus que l’urgence et les soins aigus. De plus en plus de « missions de service public » seront confiées au secteur privé lucratif au détriment de l’hôpital public.
Il s’agit en outre d’aller, sur le modèle de l’Éducation nationale, vers une implication de plus en plus grande des régions dans le système de santé, avec un creusement des inégalités.
La création des ARS signifie la fin des actuels services de l’État, des directions régionales et départementales des affaires sociales et sanitaires (DRASS/DDASS), dont les personnels dépendront désormais des ARS. Elle contribue également au démantèlement de la Sécurité sociale comme institution autonome, une partie des personnels de cette dernière étant désormais rattachée aux ARS.
Dans un contexte de privatisation généralisée, les ARS joueront le rôle « d’acheteurs de soins » à des structures publiques ou privées, placées sur le même plan en fonction de leur coûts et de leur « efficience », ce que Bachelot résume par la formule : « Un établissement n’a pas besoin d’être public pour assurer un service public de santé. Il doit simplement en respecter les exigences. »
La permanence des soins de premier recours
Le gouvernement est confronté au problème bien réel de la désertification sanitaire de certaines régions, en particulier en zone rurale, et des réponses insuffisantes de la médecine de ville pour assurer la permanence des soins 24 heures sur 24 sur le territoire. La conséquence en est la saturation des services des urgences.
L’ouverture de maisons médicales, assurant cette permanence sur le terrain, est une réponse indispensable, mais elle est doublement dévoyée dans le projet gouvernemental. Il s’agira en effet de cabinets libéraux, juxtaposant le travail « à l’acte » de différents professionnels de santé. Les soins n’y seront pas gratuits (franchises).
De plus, les maisons médicales ou centres de santé doivent, pour nous, s’articuler avec un service public fort. Pour le gouvernement, il s’agit au contraire de remplacer le service public hospitalier de proximité par ces centres de santé.
La création des maison médicales aura, dans ces conditions, pour conséquences négatives la disparition de toute réponse hospitalière de proximité et une plus grande difficulté d’accès aux urgences.
Les propositions du rapport Larcher visent à passer à la vitesse supérieure dans la restructuration des établissements hospitaliers, et, pour ce faire, à engager la privatisation des établissements publics et du statut de leurs personnels. Il cherche, en même temps, à trouver quelques parades aux appétits des fonds d’investissement dans le secteur.
Placés en situation de déficit structurel par des budgets insuffisants, les hôpitaux n’auront d’autre choix que d’adhérer « librement » à une nouvelle structure, la « communauté hospitalière de territoire ». Cette « mutualisation des moyens » doit permettre de passer à une échelle plus vaste dans les suppressions d’emplois (70 % des budgets) : suppression de services, généralisation de la polyvalence, accroissement de la « productivité » des personnels.
Ces communautés seront placées sous la responsabilité d’un véritable « manager », pouvant être recruté hors du corps des directeurs et de la fonction publique, « en se basant sur les méthodes employées pour le choix des cadres dirigeants des entreprises ».
Restructuration et plans sociaux
C’est, en clair, l’annonce de « plans sociaux » supprimant des milliers d’emplois dans les hôpitaux publics, du développement du « salaire au mérite », de la concurrence entre personnels et services hospitaliers.
Même si la précarité s’est beaucoup développée dans les hôpitaux, l’un des principaux obstacles à ces réformes est le statut des médecins (praticiens hospitaliers) et des personnels (fonction publique hospitalière).
Le rapport Larcher ouvre plusieurs brèches vers la privatisation de l’hôpital public. Ce dernier doit, selon lui, converger avec le fonctionnement du privé. Il prévoit un changement de statut juridique des hôpitaux, qui les rapprocherait de celui du privé en matière de gestion et d’achats. Dénonçant, les « rigidités en matière de ressources humaines […] qui rendent plus ardue la mutabilité [sic !] du service public hospitalier », il ouvre la porte à la disparition des garanties statutaires.
Ainsi, pour les médecins hospitaliers, sous couvert d’attractivité, le rapport prévoit le développement du recrutement de médecins en CDD, qui devront alors se conformer aux « objectifs » et seront évalués sur leurs résultats financiers.
Pour les personnels non-médecins, le rapport ne retient pas la formule radicale de mise en extinction de la fonction publique hospitalière, préconisée par les directeurs de CHU. Il renvoie, par prudence, aux mesures en préparation pour l’ensemble de la fonction publique, qui ne sont toutefois guère rassurantes : possibilité de licenciements économiques, développement du « mérite », etc.
Une autre formule de restructuration « territoriale », préconisée par Larcher et Bachelot, est le rassemblement d’établissements publics et privés au sein d’une même structure de droit privé : le groupement de coopération sanitaire, auquel peuvent également appartenir des professionnels libéraux. Les anciens personnels hospitaliers garderaient leur statut, les nouveaux recrutés par le groupement seraient sous contrat de droit privé.
Enfin, inquiet du rachat massif des cliniques privées par des fonds d’investissement ayant pour seul souci la rentabilité immédiate des actions, le rapport Larcher souhaite « éviter des positions de monopoles des groupes de cliniques dans certaines villes ou régions ».
Il envisage même « une participation publique dans le capital de cliniques ou sociétés immobilières dans l’hypothèse où le service public ne serait plus assuré sur un territoire de santé ». Le pompier pyromane tente ainsi de circonscrire l’incendie de la privatisation qu’il a lui même allumé !
Informer et mobiliser
La première urgence est aujourd’hui de faire connaître les projets gouvernementaux. Une attaque d’une telle ampleur, contre le service et l’emploi publics, devrait susciter une réaction unanime et unitaire des fédérations et confédérations syndicales, ainsi que de la gauche politique. C’est malheureusement jusqu’à maintenant le « silence radio ».
Il revient donc à la gauche de lutte de prendre l’initiative, sur le plan syndical et politique, en commençant par informer et alerter, en vue de construire la mobilisation des personnels hospitaliers, qui devra s’élargir sur le plan interprofessionnel et sur le terrain politique.
QUELQUES DONNÉES CONCERNANT L’HÔPITAL (CHIFFRES 2003)
L’hospitalisation représente environ 45 % des dépenses d’assurance maladie.
Le système hospitalier français se répartit en trois types d’établissements.
1) Les hôpitaux publics. Ils emploient du personnel sous statut de la fonction publique hospitalière (près de 800 000 agents). Les médecins (praticiens hospitaliers) sont également régis par un statut. En 2003, ils comptent 303 420 lits (soit 66 % de la totalité des lits).
2) Les établissements privés à but non lucratif dits « participant au service public hospitalier » (PSPH). Ces établissements ne font pas de profits versés à des actionnaires, mais leurs salariés relèvent du droit privé. C’est notamment le statut des centres de lutte contre le cancer (CLCC). 64 917 lits (soit 14 %).
3) Les établissements privés à but lucratif. Ce sont les cliniques privées à but commercial. Une forte concentration a lieu dans ce secteur, les cliniques étant de plus en plus souvent rachetées par des groupes comme la « Générale de santé » ou des fonds d’investissement, avec une exigence de rentabilité immédiate pour les actionnaires. 93 812 lits (soit 20 %).
Jean-Claude Delavigne
* Paru dans Rouge n° 2248, 17/04/2008 (Pleins feux).
HÔPITAL : Contre-réforme en marche
Dans un discour prononcé Neufchâtea (Vosges), le jeud 17 avril, Nicolas Sarkozy a, selon son expression, « fixé le cap de la réforme » inspirée du rapport Larcher (lire le dossier de Rouge n° 2248 [repriodit ci-dessus]). Le président a annoncé la présentation d’un projet de loi au Parlement cet automne.
Sous couvert de « recentrer l’hôpital sur son cœur de métier », le projet constitue une étape décisive dans la privatisation du système de santé. Il s’agit, en effet, à la fois d’en finir avec la place centrale de l’hôpital public dans le système de soins, en transférant une partie de ses missions vers la médecine libérale, les cliniques privées commerciales ou le secteur social associatif, tout en rapprochant l’hôpital lui-même du fonctionnement et de la gestion d’une entreprise privée.
Le projet prévoit la mise en place de « maisons médicales » assurant, avec des professionnels libéraux, la permanence des soins sur le territoire. Si cette mesure est justifiée, elle se fera malheureusement par des redéploiements au détriment de l’hôpital public.
Le secteur privé commercial verra son rôle conforté et élargi dans le cadre de « contrats de services publics » présentés comme « un mode de reconnaissance du rôle et de la place des cliniques privées sur le territoire ». Quant aux hôpitaux publics, ils devront avant tout se fixer des objectifs économiques et financiers : « J’attends […] des résultats concrets pour les finances publiques, ces mesures doivent permettre aux hôpitaux d’être à l’équilibre d’exploitation d’ici 2012. »
Sous la houlette de directeurs qui devront tenir leurs objectifs sous peine de révocation, les hôpitaux, placés en situation de déficit faute de crédits suffisants, devront se regrouper, se restructurer, et donc, avant tout, réduire leur personnel déjà insuffisant pour retrouver l’équilibre budgétaire. C’est le but de la création de « communautés hospitalières de territoires ».
Il est pourtant un point sur lequel Sarkozy a raison lorsqu’il affirme : « J’espère que vous avez compris que dans mon esprit cette réforme, c’est une réforme majeure. » C’est bien parce que nous l’avons compris, que nous mettrons toute nos forces à la combattre et à la mettre en échec.
Jean-Claude Delavigne
* Paru dans Rouge n° 2249, 24/04/2008.
SÉCURITÉ SOCIALE : Déremboursements en cascade
Les franchises médicales et les dépassements d’honoraires sont un obstacle à l’accès aux soins pour les plus pauvres. Une journée de mobilisation se déroulera samedi 12 avril.
La prétendue « responsabilisation » des malades par l’argent dissuade nombre de familles, qui ne peuvent s’offrir des assurances complémentaires ou des mutuelles (de plus en plus onéreuses), de recourir précocement aux soins ou à des démarches de prévention. Pour des raisons d’argent, elles renoncent à des appareillages indispensables, comme les prothèses dentaires ou auditives.
Le forfait médical, en vigueur depuis 2004, se monte à un euro par acte médical. À présent, s’y ajoutent les franchises à 50 centimes par boîte de médicaments ou acte paramédical (kinésithérapie, par exemple) et deux euros par transport en ambulance. Le total des franchises est plafonné, chaque année, à 50 euros par patient, tout comme les forfaits, soit 100 euros au total. Les caisses de la Sécu n’ont pas les moyens techniques de comptabiliser les plafonds, et elles ont prélevé jusqu’à présent les franchises sans tenir compte des limitations.
À ces forfaits et franchises, s’ajoute le ticket modérateur, la part non remboursée. Pour un médecin conventionné, qui applique les tarifs de la Sécurité sociale (secteur 1), cela représente un tiers du montant de la consultation, soit 7,6 euros sur 22. Pour certaines spécialités, le malade n’a souvent pas d’autres choix que de recourir à des médecins aux honoraires libres (secteur 2) de plus en plus élevés, et sa contribution atteint souvent plusieurs dizaines d’euros.
Faute de riposte des confédérations syndicales, Sarkozy croit pouvoir pousser l’avantage, et il a annoncé « un grand débat » pour savoir « ce qui doit relever de la responsabilité individuelle » pouvant déboucher sur une loi au premier semestre 2009.
La privatisation partielle de l’assurance maladie est en cours. Avec les déremboursements, c’est l’avenir de la protection maladie fondée sur la solidarité qui se joue et, de réforme en réforme, la Sécurité sociale n’assurera bientôt plus qu’une fraction minoritaire des remboursements.
Le Collectif national contre les franchises médicales et pour l’accès aux soins pour tous appelle à une journée d’action contre les franchises, samedi 12 avril, à Paris, devant le ministère de la Santé, et en province devant les préfectures. Il invite tous les malades à y déposer, symboliquement, leurs boîtes de médicaments vides et tous les citoyens à se mobiliser nombreux.
Stéphane Bernard
* Paru dans Rouge n° 2247, 10/04/2008.