Duilio Giammaria (DG) : « La gauche qui fait ce qu’elle dit » est votre slogan. Alors que dit cette gauche ?
Flavia D’Angeli (FA) : […] Nous croyons que l’on peut faire un tournant à 180° dans la politique de ce pays, que l’on peut combattre la précarité en abrogeant la loi qui a introduit le travail sur appel [Loi dite 30 introduite en 2003, NDT] ; que l’on peut relever tous les salaires des travailleurs-euses de 300 euros en touchant les profits et les rentes. Il suffirait d’aller chercher l’argent là où il se trouve […]. Nous pensons en outre que l’on peut relancer les dépenses publiques pour l’école, l’université, la santé, et plus généralement les services sociaux, en réduisant de manière radicale les dépenses militaires. […] Sous le gouvernement Prodi, avec la gauche « arc-en-ciel » en son sein, le budget de la défense a crû énormément. Nous devons choisir des priorités différentes.
Elisa Ansaldo (EA) : Mais parlons un peu de politique politicienne. Si le centre gauche venait à remporter les élections, le vote pour Sinistra critica serait-il un vote utile ? Ou pour le dire autrement, apporterez-vous votre soutien au gouvernement Veltroni ?
FA : Non, il s’agit d’un vote utile pour une opposition conséquente non seulement à Berlusconi mais aussi au Parti démocrate de Veltroni. […] Nous resterons donc, comme nous l’avons fait jusqu’ici, dans l’opposition. Nous ne croyons pas que l’on puisse gouverner avec ce Parti démocrate qui découvre la précarité au cours de sa campagne électorale bien qu’il ait gouverné ce pays pendant deux ans sans rien faire pour résoudre les problèmes des gens.
EA : Mais pourquoi n’êtes-vous pas entré dans le regroupement de la gauche arc-en-ciel ? Expliquez-nous les différences qui existent entre vous.
FA : La première différence est le bilan que l’on tire de l’action du gouvernement Prodi jusqu’à aujourd’hui. Le gouvernement Prodi a aussi été le gouvernement Bertinotti, le « Prodinotti » comme l’appelaient les journalistes. La gauche arc-en-ciel a demandé d’avaler des couleuvres les unes après les autres, trahissant tous les espoirs de celles et ceux qui avaient voté pour elle, au nom de la sauvegarde des équilibres de la majorité, […] vouant aussi sa propre action à l’inutilité. Cette gauche aujourd’hui n’a pas rompu avec le Parti démocrate ; elle est un peu orpheline d’un accord que Veltroni n’a pas voulu […].La gauche arc-en-ciel a dit qu’on pouvait gouverner avec le Parti démocrate et qu’elle était disposée à le faire à nouveau, nous non.
DG : Il paraît évident que vous vous présentez plus comme un parti d’opposition que comme un de gouvernement. L’une des questions fondamentales qui secoue le pays aujourd’hui est celle de la relance du développement économique. Vous proposez un salaire minimum de 1300 euros ; vous allez donc bien au-delà des prévisions les plus optimistes de Veltroni et Berlusconi. Quelle est la recette économique à laquelle vous pensez pour arriver à ce degré d’augmentation ? D’où peut venir cet argent ?
FA : Comme je le disais avant, cet argent vient d’un renversement des priorités. Dans ce pays, au cours des dix dernières années, le rapport entre les parts du travail salarié et du profit dans le revenu national s’est inversé. Aujourd’hui, 60% de la richesse nationale est pour le profit et 40% pour le travail salarié. Il n’existe pas d’autres moyens que de toucher aux gros profits et aux grosses rentes pour donner de l’argent aux travailleurs/euses. Dans une situation où 20% des familles italiennes sont en dessous du seuil de pauvreté, et la majorité de la population dans l’impossibilité de boucler ses fins de mois, la seule chose logique à faire est d’augmenter les salaires. Je suis une précaire du domaine de la formation ; je gagne 800 euros par mois ; si j’avais une hypothèque sur ma maison, et heureusement je n’en ai pas, je ne pourrais simplement pas me permettre de faire mes courses.
EA : Il y a un point très clair dans votre programme qui concerne la laïcité ; un vent de laïcité souffle de plus en plus fort de l’Espagne jusqu’à nous : « Assez des ingérences du Vatican », « autodétermination pleine et entière des femmes », « libre choix des orientations sexuelles » et quoi d’autres ?
FA : Je pense que pour le moment ça suffirait. Le problème c’est que tout cela n’est pas une réalité dans ce pays.
EA : Je pensais en particulier à la loi 194, qui garantit le droit à l’avortement…
FA : Bien sûr, nous défendons sans condition la loi 194. Ceux qui, aujourd’hui - et il s’agit en majorité d’hommes -, se permettent de discuter le droit des femmes à être mère et à choisir quand, pourquoi et comment, poursuivant une attaque sans précédent contre un principe de liberté élémentaire, et de défense de la santé des femmes. […] Nous pensons que dans ce pays, il y a un problème évident d’ingérence de la hiérarchie vaticane dans la politique du gouvernement. Personne ne met en discussion le droit du Pape de parler de foi, de dogme, et de parler aux croyant-e-s ; ce qu’il ne peut pas faire en revanche c’est discuter des lois d’un Etat souverain et laïc qui devrait défendre et protéger tous les citoyens et toutes les citoyennes au-delà de leur foi religieuse.
DG : Vous vous présentez sous le logo de la faucille et du marteau ? Quel est votre modèle ?
FA : Oui, nous avons décidé de garder ce sigle, non par fétichisme, mais parce qu’il symbolise le travail, et pour que la lutte des salarié-e-s ne soit pas à nouveau sacrifiée à un énième tournant à droite.Quant à notre modèle, nous n’en avons pas, à part peut-être celui de la gauche alternative française qui a remporté entre 5 et 10% des voix aux dernières élections municipales. […]