La fâcheuse impression de tiédeur à l’égard de Pékin devait impérativement être redressée. Alors que certains partenaires européens de la France s’étaient ouvertement élevés contre la répression chinoise au Tibet - le premier ministre britannique Gordon Brown allant jusqu’à annoncer son intention de recevoir prochainement à Londres le dalaï-lama -, le silence de Nicolas Sarkozy alimentait des commentaires peu amènes sur le manque de courage de la diplomatie française. Lundi 24 mars, l’Elysée a retrouvé sa voix sur le Tibet.
M. Sarkozy a ainsi appelé à « la retenue et à la fin des violences par le dialogue au Tibet », selon un communiqué diffusé par la présidence de la République. Le chef de l’Etat, apprend-on, a adressé un « message » à son homologue chinois, Hu Jintao, lui faisant part de « sa profonde émotion à la suite des événements tragiques récents ». Il « émet le voeu que le dialogue engagé depuis plusieurs années entre les autorités chinoises et des représentants du dalaï-lama reprenne rapidement et s’approfondisse ».
Le souhait de la France, précise le texte de l’Elysée, est que « tous les Tibétains se sentent en mesure de vivre pleinement leur identité culturelle et spirituelle au sein de la République populaire de Chine ». Et M. Sarkozy d’offrir la « disponibilité de la France » pour « faciliter cette reprise du dialogue » dans le cadre du « partenariat stratégique franco-chinois ».
La ligne est donc claire : pas de condamnation de la politique chinoise au Tibet ; réaffirmation que la question tibétaine relève de la seule « identité culturelle et spirituelle » ; souci d’inscrire la démarche française dans le « partenariat stratégique » entre Paris et Pékin.
A l’Elysée, on précise que le refus de céder à la « facilité » d’une protestation contre la politique de Pékin vise à rendre plus efficace l’offre de médiation française. « Il faut calmer le jeu, aider les Tibétains à se faire entendre, trouver un chemin », décode un conseiller de l’Elysée. Et pour Paris, ce « chemin », c’est l’appel au dialogue avec le dalaï-lama, présenté comme une personnalité de « paix ». La France, rappelle le conseiller, a toujours encouragé le régime chinois à discuter avec les émissaires du dalaï-lama, en particulier son envoyé spécial Lodi Gyari qui a effectué entre 2002 et 2007
six - vaines - missions à Pékin.
Le président français avait lui-même réitéré ces encouragements au dialogue lors de sa récente visite à Pékin, en novembre 2007. « Le message avait été écouté, à défaut d’avoir été entendu », se souvient-on à l’Elysée. La nuance a toute son importance. Car, pour l’heure, les Chinois refusent obstinément tout contact avec le dalaï-lama que la presse officielle de Pékin ne cesse d’accabler de véhémentes diatribes.
Le premier ministre chinois, Wen Jiabao, a lui-même récemment accusé le chef spirituel des Tibétains d’avoir « fomenté » les troubles du Tibet, afin de « saboter les Jeux olympiques de Pékin » en août. Aux yeux des experts du dossier tibétain, il est clair que l’attitude de Pékin consiste à temporiser, embourber le dialogue, et attendre ainsi la disparition du dalaï-lama, aujourd’hui âgé de 72 ans, dans le but de contrôler sa succession par le biais d’une manipulation des procédures rituelles de réincarnation.
LA RÉPRESSION « PAS SUPPORTABLE »
C’est dire si la tâche française, qui consiste à parier sur le bon sens de Pékin dans une affaire où la ligne dure l’a emporté, est délicate. Les chances d’aboutir sont infimes, mais Paris veut y croire. Un bilan de ses appels au dialogue sera dressé dans plusieurs mois. En cas de refus persistant de Pékin, les conséquences en seraient tirées et Paris se réserve la possibilité de hausser le ton. Il ne serait alors pas exclu de faire un geste à l’égard du dalaï-lama et d’exprimer plus ouvertement sa mauvaise humeur vis-à-vis de Pékin.
La secrétaire d’Etat aux droits de l’homme Rama Yade ne cesse depuis une semaine de diffuser cette petite musique. « Les portes de notre pays seront toujours ouvertes (au dalaï-lama), déclare-t-elle au Figaro du mardi 25 mars. S’il fait une visite pastorale, je le recevrai volontiers et sans aucune réserve. Le président de la République prendra une décision le moment venu. » Quant à l’éventualité d’un boycottage de la cérémonie d’ouverture des JO de Pékin, le 8 août, elle ne l’exclut pas. « Si la situation empire, précise-t-elle, je me vois mal, à titre personnel, assister à cette manifestation sportive sans réagir. »
Son ministre de tutelle, le chef de la diplomatie française Bernard Kouchner, est lui aussi en train de durcir le ton. La répression chinoise au Tibet « n’est pas supportable », s’est-il emporté, mardi, sur Europe 1.