L’Inde est une fédération comprenant une trentaine d’Etats ou unités administratives similaires. La scène politique varie considérablement d’une région à l’autre et rares sont les partis qui bénéficient d’une implantation fédérale. Dans ces conditions, la Chambre basse (Parlement) et la Chambre haute (Sénat) sont composés de nombreux groupes parlementaires, souvent formés par des partis régionaux. Dans le passé, le parti du Congrès, identifié au combat d’indépendance, bénéficiait d’une hégémonie suffisante pour fonder un gouvernement ; cette époque est révolue. Une majorité gouvernementale exige aujourd’hui de vastes coalitions, hétéroclites.
Avant les élections, le BJP (Parti du peuple indien) dirigeait une telle coalition. Il est l’émanation politique d’un mouvement fondamentaliste hindouiste, d’extrême droite (la gauche indienne considère qu’il s’agit d’un courant fascisant). Ce mouvement anime des milices et de nombreuses organisations de masse. Il a pris pour cible l’importante minorité musulmane du pays, provoquant de véritables massacres ; et s’attaque aussi parfois aux communautés converties au christianisme. Il remet en cause le caractère laïc (neutralité face aux religions) de l’Etat indien. Il a poursuivi et amplifié la politique de libéralisation et d’ouverture au marché mondial initiée par le parti du Congrès et fait campagne sur le thème de « l’Inde qui brille », s’adressant en priorité à l’élite urbaine.
Protestation sociale
Les élections se sont conclu le 13 mai. Elles semblent s’être joué sur cette dernière question. Les laissés pour compte du modèle de développement libéral forment la grande majorité de la population (qui reste à 70% rurale). Les pauvres ont voté plus massivement que les couches aisées. Ils ont saisi l’occasion de sanctionner une politique dont ils font les frais, mettant en minorité le BJP et des partis régionaux membres de sa coalition.
Lors des partielles de l’automne dernier, le Congrès n’avait pas su bénéficier de ce phénomène de rejet, étant assimilé aux notables. C’est peut-être l’entrée en lice des survivants de la famille Gandhi qui a fait cette fois la différence : Sonia, d’origine italienne, et ses enfants. Descendante directe de Nehru, premier chef de l’Etat après l’indépendance (et non pas du mahatma Gandhi), cette famille bénéficierait encore d’une aura particulière. Mais le vote sanction a aussi frappé le parti du Congrès dans des Etats qu’il dirigeait : Kerala, Karnataka, Punjab. Sanction du BJP ne vaut pas adhésion au Congrès.
La défaite du BJP est un événement très important : un coup d’arrêt porté contre un mouvement particulièrement dangereux.La gauche a enregistré d’importants succès dans ses bastions régionaux : au Bengale occidental et au Kerala pour Parti communiste indien-Marxiste (PCI-M) et en Uttar Pradesh pour les socialistes du Samajwadi Party.
Le Congrès ne peut gouverner sans l’appui d’une large coalition et le soutien de la gauche. Les milieux d’affaires ont mené un véritable tir de barrage contre les PC, promettant le chaos si leurs exigences sociales étaient intégrées au programme de gouvernement ; ils chantent les méritent du BJP, pas gênés par son meurtrier fondamentalisme religieux.
Le PCI-M et le PCI étaient invités à entrer dans le gouvernement. Mais ils sont placés devant un dilemme. Pour battre le BJP et en défense du caractère laïc de l’Etat, ils sont prêts soutenir le Congrès. Mais ils ont combattu ce parti sur le terrain social (le nouveau Premier Ministre, Manmohan Sing, est précisément celui qui avait engagé le processus de libéralisation économique). Ils ont pour l’heure décidé de soutenir le gouvernement de l’extérieur, sans y participer.
La première session du nouveau Parlement va se tenir dans quelques jours. Elle devrait permettre de faire plus précisément le point sur la situation politique issue des élections.