Spitou Mendy est l’un des trois responsables syndicaux du SOC dont la zone de travail s’étend sur 40 000 hectares de serres agricoles sous lesquelles sont employés plus de 80 000 ouvriers-ères agricoles ; pour la plupart des migrant-e-s, avec des statuts très précaires. C’est dire si la tâche est colossale ! Le SOC est donc amené à jouer le rôle de médiateur dans les conflits de travail, à s’occuper de l’obtention de permis de séjour et de travail, à déposer d’éventuelles plaintes pour dénoncer les abus et à défendre l’application de la convention collective de travail. En effet, il en existe bien une qui fixe un salaire de 43 euros par jour, mais elle n’est jamais appliquée.
Le salaire le plus élevé que Spitou Mendy ait enregistré se montait à 32 euros par jour. Les salaires ne sont d’ailleurs pas versés systématiquement. Majoritairement sans-papiers, les travailleurs-euses n’osent pas se plaindre. Les journées sont de 8 à 10 heures de travail, effectuées par des températures caniculaires.
Précarité et répression policière
Leurs conditions de logement sont encore plus catastrophiques que celles de l’emploi : ils-elles vivent en effet dans des taudis de plastique et de carton, ou dans d’anciennes bergeries. Elles-Ils s’entassent dans des espaces exigus, sur des lits superposés ou celui-celle qui dort en haut frôle le plafond avec son nez. Il n’est pas rare que les ouvriers-ères qui se plaignent soient ensuite « cueillis » par la police espagnole. Elle n’hésite pas, d’ailleurs, à les embarquer de force et à les expulser vers leurs pays d’origine.
Nombre d’entre eux-elles arrivent d’Afrique sub-saharienne. Elles-Ils ont quitté des pays qui ne leur offraient que peu de perspectives d’avenir. Ils-elles sont cependant nombreux à avoir un niveau élevé de formation. N’ayant pas réussi à décrocher un emploi, ils tentent l’aventure de la traversée. Lorsqu’ils-elles arrivent sur les côtes des Canaries, ils-elles sont détenus pendant 40 jours, sont jugés et reçoivent la plupart du temps un ordre d’expulsion. Mais comme cela n’est pas si évident à concrétiser, que les Canaries sont exiguës, et que l’agriculture espagnole a besoin de main d’œuvre bon marché, ils-elles sont transférés en avion vers la Péninsule puis répartis dans les régions agricoles.
Depuis quelque temps, il est plus fréquent de rencontrer des ouvriers-ères qui arrivent avec des contrats de travail déjà établis dans leur pays d’origine. C’est un contrat temporaire de 9 mois, qui les oblige à chaque fois à retourner chez eux-elles et à refaire la même démarche.
A leur arrivée en Espagne, leur passeport est pour la plupart du temps retenu par les patrons. Originaires tout d’abord du Maroc, puis de la Pologne, ces migrant-e-s « légaux » arrivent maintenant surtout d’Afrique noire, notamment du Sénégal. C’est après la période d’essai de 15 jours que la situation s’envenime. Surpris par les conditions dans lesquelles ils doivent vivre et travailler, certain-e-s d’entre eux-elles, humiliés, se rebellent et demandent à récupérer leur passeport. Ils-elles sont alors souvent licenciés, la police est avertie et tente de les embarquer et de les expulser avec les premiers avions en partance pour leur région d’origine. Intimidations et agressions physiques de la part des patrons et de la police ne sont donc pas rares.
Les limites du système
Une agriculture industrielle d’une telle ampleur n’a pas que des conséquences sociales désastreuses. L’environnement est également fortement touché : pollution, épuisement des nappes phréatiques et du sol. A terme, la région ne pourra plus demeurer le grenier à légumes de l’Europe. Cette réalité, ainsi que celle de salaires plus bas au sud de la Méditerranée, est en train de provoquer la migration de ce système de production vers le Maroc.
Ces légumes produits dans des conditions sociales et environnementales inadmissibles se retrouvent sur les étalages de nos grands distributeurs. Ceux-ci affirment qu’ils font leur possible pour mettre en place des standards sociaux et pour qu’ils soient appliqués. Mais c’est rarement le cas, car les programmes tels que le BSCI (Business Social Compliance Initative), auquel Coop et Migros participent en Suisse, ne répondent pas aux attentes. Les réunions qui sont sensées rassembler tous les acteurs autour d’une table sont bien souvent interrompues par le départ des patrons, lorsque le SOC exprime ses revendications. De l’avis des syndicalistes suisses qui se rendent dans cette région depuis 2000, la situation ne s’est de loin pas améliorée.
Boycotter ces produits ?
Ne serait-il pas souhaitable de décréter un boycott de ces produits ou d’en interdire purement et simplement l’importation en raison du dumping social et environnemental qu’ils représentent ? C’est d’ailleurs ce que proposent sept initiatives et motions cantonales récemment adressées au Conseil fédéral.
Spitou Mendy n’y est pas particulièrement favorable, car cela revient à arracher l’emploi des mains des migrant-e-s qui en ont cruellement besoin. Il admet que sa position revient à cautionner ce système d’exploitation humaine… solution peu satisfaisante s’il en est. Alors que faire ? Spitou Mendy et plusieurs syndicalistes suisses présents à la conférence ont plaidé pour un soutien accru au SOC afin qu’il puisse assurer un travail de qualité sur place et former une relève. Parallèlement, c’est toute l’ambitieuse question de la politique de migration européenne qu’il faudrait saisir à bras le corps et lutter pour que l’exploitation des migrant-e-s prenne fin.
Enfin, l’un des paramètres à ne pas négliger, c’est l’encouragement de la production agricole locale, destinée aux consommateurs-trices de la région. La concurrence effrénée pratiquée sur les marchés agricoles mondiaux a détruit les agricultures locales africaines, poussé les jeunes ruraux à migrer vers les villes, puis vers l’Europe, encouragé enfin les agriculteurs espagnols à sous-payer leurs employé-e-s pour réduire leurs coûts de production et mis en
péril - par effet domino - la production maraîchère suisse, qui subit de plein fouet ce dumping.