De notre correspondante à Pékin,
La torche olympique au Tibet, sommet de la Chine et du monde. L’événement, s’il a lieu, est prévu dans les premiers jours de mai. Il servira de symbole pour proclamer la puissance - et au passage, l’unité - de la « mère patrie » chère à Pékin. Pour la Chine, le toit du monde est chinois. Sans contestation, historiquement et politiquement. Rattaché à l’empire chinois depuis le XVIIe siècle, le Tibet a intégré la République Populaire en 1950. « La réunification pacifique » par les troupes de Mao a permis de sauver 6 millions de Tibétains de la « féodalité et du servage », répète la propagande. Les communistes se sont aussi octroyés au passage, mais c’est moins souvent évoqué, près d’un quart de territoire supplémentaire. Un immense désert qui fait office de bouclier contre l’Inde, puissance aujourd’hui menaçante. Il est surtout riche par son sous-sol, truffé d’or, de cuivre, et de plomb. S’y ajoutent les fleuves himalayens, prometteurs en barrages hydroélectriques et en eau. La Chine, avec 7 % des ressources de la planète pour un quart de sa population, est obsédée par l’eau. Elle n’est pas près de lâcher le Tibet.
Colons. En quatre mois, les Chinois ont réussi l’exploit de transformer en route la piste qui conduit au camp de base de l’Everest. Un investissement de quelques millions de yuans, une miette dans les 16 milliards (1,45 milliard d’euros) injectés l’an dernier dans l’économie de la « région autonome du Tibet » qui porte mal son nom. Le chemin de fer Qinghai-Tibet, avait coûté à lui seul 26 milliards de yuans (2,35 milliards d’euros). Ces 2 000 kilomètres de rails, entre Xining et Lhassa, ont tout changé. Lhassa, désenclavé, est hérissé de grues et se peuple chaque jour de nouveaux colons han (chinois), attirés par un taux de croissance qui rejoint celui de l’est du pays.
Il y a aujourd’hui 200 000 Chinois pour 100 000 autochtones dans la capitale tibétaine. Les investissements privés, chinois ou internationaux, auraient fait un bond de 30 %. Le coût des transports, humains ou fret, a baissé et le tourisme (60 % du PIB tibétain) a explosé, en grande partie grâce aux Chinois, attirés par ce qu’ils ont perdu chez eux, la beauté sauvage des paysages et la spiritualité. Des spécialités malheureusement en baisse chez les Tibétains, irrésistiblement attirés par la société de consommation. Le revenu annuel moyen aurait grimpé en 2007 à 10 000 yuans (895 euros), l’équivalent des salaires dans les usines de Canton. Les supermarchés de Lhassa sont pleins et les monastères se vident sous l’effet de la répression.
Salles de bains. L’engouement pour l’Himalaya chinois, lui, ne se tarit pas. Bientôt sera inauguré entre Pékin et Lhassa un train cinq étoiles, « le plus luxueux du monde », avec suites et salles de bains. Le voyage coûtera près de 4 000 euros. Un prolongement de la ligne Qinghai-Tibet est programmé vers Shikaze, le deuxième centre urbain et la plaque tournante du commerce du cuivre.
Dans les cinq prochaines années, le gouvernement central envisage d’investir encore 76 milliards de yuans dans les grands travaux : 180 projets, routes, usines et ouvrages d’art. Rien n’est trop beau pour le Tibet. Même s’il faut rééditer Tiananmen 1989, la Chine semble prête à tout pour garder le Tibet. Sa façon de gérer la crise actuelle le prouve. Le nombre des victimes est nié, les journalistes sont empêchés de travailler, les médias étrangers censurés, les troupes déployées en masse autour des zones de conflit. Et la propagande marche à fond. Jusqu’à présent, les Chinois n’ont vu des émeutes que le saccage des magasins et les voitures brûlées par des hordes de voyous. Pas une image de véhicule blindé ou de militaires casqués à Lhassa ou Aba… A l’ère d’Internet, il faut un gros moral.