De notre correspondante à Pékin,
Les menaces de démission du dalaï-lama, qui s’affirme débordé par sa jeune garde extrémiste, ont visé juste. Pékin s’énerve. Le premier symptôme est le silence. Les médias chinois, archi contrôlés par l’Etat, ne disent pas un mot de la prétendue résignation de l’ennemi numéro 1 de la Chine, pourtant censée réjouir Pékin. Au contraire, la haine officielle se déchaîne contre le chef spirituel des Tibétains, tenu pour seul responsable des violentes manifestations qui continuent d’agiter la zone tibétaine. Morceaux choisis dans le Quotidien du Tibet hier : « Nous menons une lutte intense de sang et de feu, une lutte à mort contre le dalaï-lama et sa clique », lance Zhang Qingli, l’homme fort du Tibet. Le dalaï-lama, « ce loup enveloppé dans une robe de bure, […] ne renoncera pas à ses intentions diaboliques ». Zhang, membre du comité central et secrétaire du parti dans la province, ancien numéro 1 du Xinjiang ouïgour, n’est pas un fonctionnaire lambda. Il parle sous le contrôle de Pékin, qui s’efforce de passer pour une victime dans la crise tibétaine.
Ambiguë. Pendant ce temps à Dharamsala (Inde), le dalaï-lama joue une carte ambiguë. Tout en dénonçant « le génocide culturel » des Tibétains et le « régime de la terreur » chinois, l’apôtre de la non-violence redit son opposition à l’indépendance et son attachement aux Jeux olympiques. Lundi, après neuf jours de violence antichinoise sur le plateau tibétain, il a déclaré qu’il n’avait plus de prise sur la situation, se disant « impuissant » et menaçant de quitter sa charge de chef du gouvernement en exil. « Mais il restera le dalaï-lama », ont aussitôt précisé ses proches. Une façon de donner plus d’aura au chef spirituel, vénéré au Tibet.
A Lhassa, des Tibétains préfèrent la prison à l’adjuration de leur guide. C’est une mauvaise perspective pour Pékin, habitué depuis cinquante ans à un dialogue aux joutes plus médiatiques que militaires avec son ennemi. A Dharamsala, la génération montante du gouvernement en exil, « la clique », est autrement plus remontée et menaçante que le Prix Nobel de la paix de 72 ans. Ils n’ont pas subi les humiliations de « la réunion pacifique » des années 50, mais voient le Parti communiste à l’œuvre dans son entreprise de colonisation du Tibet. Ces jeunes radicaux, membres du Congrès de la jeunesse tibétaine (TYC), prônent l’indépendance et non l’autonomie revendiquée par le dalaï-lama, convaincu que la Chine ne renoncera jamais à sa souveraineté sur le Tibet. Plus politiques, ils réclament la poursuite des manifestations, jugeant que la Chine « ne mérite pas les Jeux olympiques », écoutent Björk et chattent avec la diaspora Internet.
Passivité. Malgré tout le respect qu’ils doivent à « sa Sainteté », ils ne cachent pas leurs critiques à l’égard de la vieille garde, qualifiée « de moines en chaussures Gucci » et accusée de passivité. « Il faut boycotter les JO, a déclaré Tsewang Rigzin, président du TYC formé aux Etats-Unis. Je ne comprends pas pourquoi le dalaï-lama veut que nous les soutenions. » Hier, Rigzin et plusieurs autres exilés radicaux ont rencontré le dalaï-lama à Dharamsala. L’ambiance était « cordiale ». Peu après, le chef spirituel a appelé à une reprise du dialogue avec Pékin. « Les Chinois ne résoudront jamais la question tibétaine en envoyant des troupes. La seule solution est d’entamer un dialogue », a expliqué un de ses proches. Le dalaï-lama a pour sa part appelé les dirigeants du monde entier à l’aider à résoudre le conflit par le « dialogue » avec la Chine et à exhorter Pékin à la « retenue » dans sa gestion des troubles. La question est de savoir si ce nouvel appel à la non-violence sera suivi par les Tibétains en Chine. Engagés dans une révolte d’une violence jamais égalée et aiguillonnés par les nouveaux leaders, croient-ils encore au dialogue ?