ISLAMABAD CORRESPONDANTE
Nouveau chef de l’armée pakistanaise, Ashfaq Parvez Kayani n’a pas mis longtemps à imposer sa marque, balayant en quelques décisions des vestiges importants de la politique de son prédécesseur, le général - devenu président - Pervez Musharraf. Conscient de l’image détestable de l’institution militaire dans la nation, le général Kayani s’est donné comme première tâche de redresser celle-ci et de ramener l’armée à son rôle.
Durant ses neuf ans à la tête de l’armée (1998-2007), le général Musharraf, qui ne cachait pas son mépris pour les civils, avait permis à des centaines d’officiers d’active ou en retraite d’entrer dans les différentes administrations du pays, affirmant que seuls ceux-ci étaient capables de faire bouger les choses.
Le général Kayani vient de mettre fin à cette dérive en ordonnant le retrait de tous les militaires de l’administration civile. Selon le porte-parole de l’armée, le général Athar Abbas, « plus de 300 officiers » sont employés dans des organismes aussi divers que le ministère de l’éducation, l’autorité nationale chargée des autoroutes, le ministère des affaires étrangères, l’aviation civile ou la compagnie d’eau et d’électricité. En janvier, le général Kayani a interdit aux officiers tout contact sans autorisation préalable avec des politiciens pakistanais, y compris le président. Alors que l’armée a été déployée dans certaines zones à risques pour les élections, le général Kayani a clairement laissé entendre que la seule fonction des militaires serait le maintien de la loi et de l’ordre, et que l’armée n’interviendrait pas dans la conduite du scrutin. Certains partis d’opposition se réjouissent discrètement de l’apparent retrait, dans la « préparation » des élections, du service de renseignement militaire, qui avait participé à nombre de basses œuvres sous le général Musharraf.
Faire rentrer l’armée dans ses casernes n’implique toutefois pas un retrait de la vie politique, puisqu’elle demeure un acteur majeur du Conseil national de sécurité, créé en 2004 par le général Musharraf. Le général Kayani a également laissé entendre qu’il pourrait commencer à désengager l’armée des affaires en remettant à l’administration civile trois des grandes compagnies gérées par des militaires : la Frontier Works Organisation, spécialisée dans les travaux routiers, la National Logistic Cell, axée sur le transport, et la Special Communication Organisation, officiant dans les télécommunications.
L’engagement des militaires dans les affaires est souvent cité comme l’une des raisons expliquant les déficiences de l’armée. « Les généraux ont tellement d’intérêts économiques qu’ils n’ont plus vraiment envie de se battre », explique un analyste. Ces affaires vont de la fabrication de corn flakes aux banques, en passant par des coopératives, des fermes, des compagnies d’aviation, des cimenteries, etc. Selon Ayesha Siddiqa, auteur de Military Inc., un ouvrage sur la puissance économique de l’armée pakistanaise, celle-ci représenterait au minimum 6 % du produit national brut (PNB) du pays.
Le général Kayani va cependant en priorité devoir remodeler l’armée pour des tâches auxquelles elle n’est pas préparée. Engagée dans des opérations de contre-insurrection face à des combattants extrémistes islamistes bien armés et hypermotivés, l’armée a subi de très lourdes pertes et son moral est au plus bas. « Armée conventionnelle, blindée et mécanisée, bâtie pour faire face au million de soldats indiens sur sa frontière orientale, l’armée a besoin de moderniser ses capacités, d’acheter des équipements et de développer les capacités opérationnelles de les servir », observe un officier étranger. Disciplinée, l’armée pakistanaise est largement engagée dans les opérations de maintien de la paix de l’ONU (10 000 hommes déployés en 2008).
Les fondations militaires actives dans l’éducation
L’éducation représente une activité majeure des fondations dirigées par les militaires pakistanais.
La Fondation Fauji constitue, par exemple, le plus important réseau d’écoles d’enseignement en anglais, après l’enseignement public, en zone rurale comme urbaine. Elle compte 101 établissements regroupant 41 000 élèves et son budget éducation s’élève à 15 millions de dollars.
En 2006, la fondation a distribué quelque 4 millions de dollars de subventions pour les élèves les plus défavorisés.
La Bahria et la Shaheen Foundation, qui dépendent respectivement de la marine et de l’armée de l’air, possèdent des universités à Islamabad. Construites sur des terrains militaires, celles-ci sont toutefois accessibles aux civils.
Les deux fondations ont aussi des écoles supérieures de management et d’informatique. Dans un pays qui consacre moins de 2 % de son budget à l’éducation, les besoins sont immenses et ce secteur est considéré comme un moyen, comme un autre, de faire des profits.
Les gardes-frontières en première ligne contre l’extrémisme islamiste
ISLAMABAD CORRESPONDANTE
A l’entrée de Peshawar se trouve un imposant fort reconstruit par l’armée britannique de l’Empire des Indes. C’est le siège des Frontier Corps, regroupant 65 000 hommes issus majoritairement des tribus et chargés de la défense des 2 560 km de frontière avec l’Afghanistan. Les gardes-frontières sont divisés en quatorze unités dans la province frontalière du Nord-Ouest, et treize dans celle du Baloutchistan. Avant l’entrée de l’armée pakistanaise dans les zones tribales frontalières de l’Afghanistan, à la suite des attentats du 11 septembre 2001 contre New York et Washington, les gardes-frontières étaient seuls à opérer dans ces régions semi-autonomes, dont la plupart d’entre eux sont originaires.
Commandés par des officiers de l’armée, les gardes-frontières sont aujourd’hui en première ligne dans la lutte contre les combattants extrémistes islamistes. Mais ils sont beaucoup moins bien équipés que l’armée, qui les regarde avec condescendance. Toutefois, les Etats-Unis ont décidé de consacrer 75 millions de dollars en 2008 pour leur entraînement et leur équipement. Car ils ont sur l’armée des avantages énormes : la pratique du pachtoune, langue parlée dans la région frontalière du Nord-Ouest, la connaissance du terrain, des chefs locaux et des liens ou inimitiés qui existent entre les tribus. Cependant, les gardes-frontières, majoritairement pachtounes, donc religieux et conservateurs, rechignent à combattre des activistes qui se luttent au nom de l’islam et qui appartiennent parfois aux mêmes tribus qu’eux.
Washington pourrait fournir des casques, des gilets pare-balles, des lunettes de vision nocturne et des moyens de transport. Avant son retrait de l’armée, le président Pervez Musharraf avait indiqué que son gouvernement donnerait pour sa part des chars et des fusils.
Déployés le long de la frontière avec l’Inde, les Rangers ont joué, ces dernières années, un rôle important de maintien de l’ordre. Ils sont notamment déployés à Karachi, et appelés en renforts en cas d’incidents, courants dans la capitale économique du Pakistan. Depuis la détérioration de la situation sécuritaire, ils sont également visibles dans les rues d’Islamabad, où ils assurent des missions de protection et de surveillance.