Le premier Forum alternatif mondial de l’eau (Fame) s’était tenu à Florence en mars 2003, parallèlement au Forum mondial de l’eau de Kyoto. Cette année, c’est à Genève qu’il a eu lieu, du 17 au 20 mars. L’objectif est de contrebalancer les idées dominantes de la Banque mondiale et des multinationales comme Vivendi et Suez, dans un forum alternatif où les intérêts communs de l’humanité s’opposent point par point aux intérêt privés des grands groupes. Une démarche qui n’est pas différente de celle des Forum sociaux mondiaux en réponse au Forum de Davos
La politique mondiale de l’eau mise en place par Conseil mondial de l’eau, émanation de la Banque mondiale, s’appuie sur trois grands principes. D’abord, l’eau doit être considérée comme un bien économique, une marchandise comme le pétrole ou le blé. Ensuite, l’accès à l’eau est un besoin vital, pas un droit humain ; la satisfaction du besoin est donc du ressort de chaque individu qui va consommer un bien accessible à travers les mécanismes de marché. Enfin, l’eau doit être considérée comme une ressource précieuse (l’or bleu) ; destinée à devenir de plus en plus rare, c’est une ressource stratégique importante ; la sécurité hydrique « nationale » devient donc un problème politique central.
Un bien qui devrait être public
À l’opposé, le Fame de Florence s’est tenu sur des bases très différentes et ses principes fondateurs, définis dans la déclaration de Porto Alegre de février 2002, sont maintenant bien connus. Premièrement, l’eau ne doit pas être une marchandise, elle ne doit pas être source de profit. Deuxièmement, elle fait partie du patrimoine de l’humanité, et doit être placée sous la protection publique. Troisièmement, elle doit être accessible à tous, en quantité suffisante, ne pas menacer la santé des usagers. Quatrièmement, le secteur public est mandaté et désigné par la loi comme le représentant de l’intérêt public. Cinquièmement, les citoyens doivent être au cœur des processus de décision des politiques publiques de l’eau aux niveaux local, national et international.
Les travaux du premier forum se sont fixé des objectifs prioritaires. La campagne « soif zéro », tout d’abord. Tous les habitants de la Terre doivent avoir accès à l’eau potable pour 2020. Cet objectif doit conduire à la signature d’un « contrat mondial de l’eau » entre États et organisations des Nations unies. Il faut déclarer la pauvreté illégale. La proposition « soif zéro » signifie pratiquement « pauvreté zéro ». La pauvreté doit devenir illégale au XXIe siècle, exactement comme l’esclavage l’est devenu au XIXe siècle. Il est nécessaire de soutenir les luttes en cours des populations contre la construction de grands barrages partout dans le monde. Il faut promouvoir des systèmes agricoles diversifiés sauvegardant et protégeant les processus écologiques contre la logique industrialiste et productiviste. La lutte contre la pollution, en établissant et en respectant des normes visant à réduire les niveaux actuels de pollution de la planète, est essentielle. C’est aussi le cas de la lutte contre les diverses formes de privatisation des services d’eau. Enfin, c’est au niveau international qu’il faut promouvoir la démocratie de l’eau au niveau des bassins.
Démocratiser
Deux ans plus tard, les travaux du second forum se sont fixé de nouveaux objectifs. Il faut responsabiliser les citoyens pour défendre le droit universel à l’eau contre sa gestion technocratique, selon laquelle il est impossible de garantir l’accès à l’eau à tout le monde avant 2020. Il est nécessaire de renforcer les luttes contre toutes les appropriations marchandes et privées de l’eau, en réponse aux tendances mondiales aggravées de marchandisation. Il faut promouvoir un système de financement public fondé sur une série de mesures : une fiscalité mondiale nouvelle, une fiscalité générale spécifique transparente et ciblée, une tarification à paliers avec gratuité des 50 premiers litres d’eau potable et saine, la promotion de nouveaux instruments financiers coopératifs, la création d’un fonds coopératif mondial de l’eau. Il faut aussi travailler à un gouvernement public et solidaire de l’eau, au niveau des grands bassins internationaux et à l’échelle mondiale, notamment par la création d’une autorité mondiale de l’eau chargée de prévenir et de résoudre les « guerres de l’eau ». Il est nécessaire de démocratiser la gestion de l’eau pour répondre aux dominants et à leur préférence pour les mécanismes de marché, avec la participation directe des citoyens au gouvernement de l’eau, un renforcement de la coopération entre institutions élues et mouvements de citoyens, l’intensification des programmes de coopération publics-publics.
Les participants au Fame 2005 se sont quittés en condamnant les partenariats publics-privés promus par la Banque mondiale. Ils ont déclaré que l’unique moyen de battre la mercantilisation et les conflits de l’eau consiste à donner le pouvoir aux citoyens à travers les mouvements sociaux. Ils ont enfin condamné, au plan international, les multinationales Suez-Lyonnaise des eaux (France), les institutions Abengoa (Espagne), la coopération allemande GTZ, qui déconstruisent les processus de consultation populaire des peuples.
Claude Drouot
* Paru dans Rouge n° 2105, 31/03/2005.
Le droit à l’eau
* Rouge n° 2104, 24/03/2005.
Précédant la journée mondiale de l’eau du 22 mars, le deuxième Forum alternatif mondial de l’eau (Fame) s’est tenu à Genève du 17 au 20 mars. Y ont participé plus de 150 ONG et diverses composantes et personnalités du mouvement altermondialiste. Alors qu’en 1981, une conférence internationale des États s’était fixé comme objectif l’accès à l’eau potable pour tous les habitants de la planète dans un délai de quinze ans, la situation est aujourd’hui dramatique. On estime en effet que plus d’un milliard d’êtres humains n’ont pas accès à l’eau potable. La consommation d’eau insalubre cause la mort chaque jour de trente mille personnes, les enfants étant les premiers touchés. Les quatre principaux objectifs que s’étaient fixés le premier Fame, à Florence en 2003, restent toujours d’une actualité brûlante :
• la reconnaissance du droit à l’eau en tant que droit humain fondamental, indépendamment des ressources financières ;
• la reconnaissance de statut de l’eau comme bien commun, comme patrimoine de l’humanité ;
• le financement collectif de l’accès à l’eau et de l’assainissement par un impôt mondial qui touche en premier lieu les pays développés ;
• la gestion démocratique de l’eau à tous les niveaux.
Mettre en pratique ces quatre objectif implique de rompre avec la logique de la mondialisation que veulent imposer l’OMC ou la Banque mondiale. Il faut en effet exclure l’eau du marché mondial, mettre un terme à la privatisation galopante et socialiser la gestion de l’eau, y compris des eaux minérales (dans les pays les plus pauvres, l’eau en bouteille est totalement inaccessible) et mettre fin aussi aux gaspillages des industries grande consommatrice d’eau.