A deux jours des élections législatives et provinciales, au moins 46 personnes ont été tuées, selon la police locale, samedi 16 février, dans un attentat-suicide contre le parti de l’ex-premier ministre assassinée Benazir Bhutto, au nord-ouest du pays.
Un kamikaze au volant d’une voiture a foncé sur un rassemblement devant la maison d’un candidat du Parti du peuple pakistanais (PPP) dans la ville tribale de Parachinar près de la frontière avec l’Afghanistan, puis s’est fait exploser, a expliqué le porte-parole du ministère, Javed Cheema.
Un autre attentat a eu lieu samedi dans la vallée de Swat, dans le nord-ouest du pays. Au moins deux civils ont été tués et huit autres personnes blessées par un kamikaze qui a précipité sa voiture près d’un bureau de presse de l’armée, a annoncé l’armée.
DERNIERS MEETINGS ÉLECTORAUX
Le Pakistan organise lundi des élections législatives et provinciales et les derniers jours de la campagne ont été endeuillés par des attentats qui ont fait une quarantaine de morts. Initialement prévues le 8 janvier, ces élections avaient été reportées en raison de la mort de l’ex-premier ministre Benazir Bhutto le 27 décembre. « La sécurité est maximale pour les 17 et 18 février », a assuré le ministre de l’intérieur Hamid Nawaz. Quelque 81 000 soldats sont déployés pour assurer la sécurité des 64 000 bureaux de vote et du millier d’observateurs et de journalistes, a indiqué le porte-parole de l’armée, le général Athar Abbas.
Depuis le début 2008, 148 personnes au moins ont été tuées dans 18 attentats, la plupart visant des candidats ou des rassemblements dans le cadre de la campagne électorale.
Samedi en fin de journée, le parti qui soutient le président Pervez Musharraf, ainsi que ceux de Benazir Bhutto et de l’opposant Nawaz Sharif, organisaient leurs dernières réunions. Le veuf de Mme Bhutto, Asif Ali Zardari, qui dirige le PPP, s’est entretenu avec M. Sharif d’un hypothétique partage du pouvoir en cas de victoire de l’opposition. Car si elle s’emparait des deux-tiers des sièges du Parlement, M. Musharraf pourrait être éventuellement destitué. De toute façon, M. Zardari avait dénoncé par avance des « élections truquées », sans exclure un « gouvernement de consensus national » avec M. Musharraf. Ce dernier a promis pour la énième fois samedi des « élections équitables ».
LEMONDE.FR avec AFP, Reuters et AP | 16.02.08 | 13h55 • Mis à jour le 17.02.08 | 10h49
Au Pakistan, l’opposition s’alarme des risques de fraude avant les élections législatives
ISLAMABAD CORRESPONDANTE
« Une plaisanterie » : pour cet expert électoral qui observe des scrutins à travers le monde, les élections législatives et provinciales, qui doivent se dérouler au Pakistan lundi 18 février, ne répondent déjà pas aux critères minimaux d’un scrutin « libre et honnête ».
L’environnement du processus électoral est grandement favorable au parti du président Pervez Musharraf, la Pakistan Muslim League (PML-Q, pour Qaid E Azam, titre d’Ali Jinnah, fondateur du Pakistan).
De l’avis de tous les observateurs, la commission électorale, gardienne de l’intégrité du scrutin, est loin d’être neutre. Nommé par le président Musharraf en signe de bonne volonté avant les élections, le gouvernement intérimaire lui est totalement fidèle et ne s’est pas privé, ces dernières semaines, d’annoncer des projets postélectoraux en faveur des plus défavorisés ou pour tenter de régler tel ou tel problème.
La mise à l’écart des juges estimés récalcitrants par le pouvoir, la recomposition de la Cour suprême dans un sens favorable au gouvernement compromettent tout éventuel recours des candidats. En reconnaissant publiquement que « la commission électorale est incapable d’agir contre les responsables de districts et les autres officiels du gouvernement », Kanwar Dilshad, secrétaire général de ladite commission, admet implicitement les abus dénoncés dans toutes les provinces, particulièrement dans celle du Pendjab, grosse pourvoyeuse de députés de la PML-Q.
Principal parti d’opposition, le Parti du peuple pakistanais (PPP), dont l’ex-dirigeante Benazir Bhutto a été assassinée le 27 décembre 2007, affirme qu’il a envoyé plus de 1 200 plaintes à la commission qui sont demeurées sans réponses. « La commission électorale n’a rien fait de significatif pour répondre aux nombreuses plaintes concernant l’aide des officiels aux candidats du parti gouvernemental ou leur interférence dans les activités de l’opposition, ce qui soulève de sérieuses questions quant à son impartialité », affirme l’organisation de défense des droits de l’homme, Human Rights Watch (HRW). Tout en accueillant « favorablement l’engagement du président Pervez Musharraf » à tenir des « élections libres, régulières, transparentes et en toute sécurité », l’Union européenne (UE), qui a une mission d’observateurs déployée dans le pays, a récemment exprimé ses « inquiétudes et pressé les autorités de faire leur possible dans les jours qui restent pour améliorer les conditions du processus électoral, en particulier en empêchant les responsables locaux du gouvernement d’avoir recours aux biens de l’Etat » pour leur campagne.
L’UE a aussi renouvelé sa « demande de libération immédiate des détenus politiques - y compris les magistrats et les avocats -, qui serait une étape essentielle vers la restauration de la confiance dans une justice indépendante, un Etat de droit et un processus démocratique ».
La campagne du PPP dans son fief du Sind, province méridionale, a été gravement perturbée par les milliers de plaintes déposées contre ses supporteurs après les émeutes consécutives à l’assassinat de l’ancien premier ministre Benazir Bhutto. Illustrant ce qu’il qualifie de « vendetta », le PPP donne l’exemple d’une plainte dans le district de Naushero Feroze qui implique trois personnes mortes depuis longtemps. Au Pendjab, dont sont issus les chefs du parti gouvernemental, les candidats de la PML-N (N comme son dirigeant Nawaz Sharif), parti d’opposition, ont fait l’objet de pressions souvent musclées pour changer de camp.
L’insécurité qui règne à travers le Pakistan, et en particulier dans les zones frontalières de l’Afghanistan où l’influence des islamistes est la plus forte, a empêché nombre de candidats de faire campagne. Elle limitera aussi le déplacement des 300 étrangers venus observer ces élections.
Françoise Chipaux
A Peshawar, le désarroi d’une population lassée des affrontements entre armée et talibans
PESHAWAR (Province frontalière du Nord-Ouest) ENVOYÉE SPÉCIALE
Les élections législatives du lundi 18 février qui devraient mettre fin dans la province frontalière du Nord-Ouest au règne des partis religieux sont, dans le climat de violence actuel, la dernière préoccupation des habitants qui ne veulent plus que la paix. « Tout le monde a peur des bombes, des explosions », affirme dans le village de Badabher, à une dizaine de kilomètres de Peshawar, Mohammad Rafi, un menuisier. « On nous dit : »ce sont des terroristes qui sont responsables« . Mais on ne sait pas. Seul Dieu sait qui ils sont », dit-il, ajoutant : « C’est au gouvernement de trouver. »
« Des deux côtés, les talibans et l’armée, ce sont des musulmans qui se tuent », renchérit Intizar, un marchand de légumes. « Et nous, nous ne pouvons plus bouger de peur des attentats-suicides ou des bombes », se plaint-il. Capitale de la province frontalière du Nord-Ouest, Peshawar et ses alentours sont victimes quasi quotidiennement de tirs de roquettes, de grenades, d’attentats-suicides, d’assassinats ou d’enlèvements. Plus personne n’ose prévoir le futur. En quelques mois, l’influence des talibans pakistanais s’est accrue à tel point qu’ils sont aujourd’hui capables par leurs menaces de faire fermer des gros commerces au cœur même de Peshawar.
« Les gens savent la police incapable de les protéger. Ils n’ont pas le choix devant les menaces de faire sauter leur magasin ou leur maison », raconte Kamran Arif, un avocat membre de la Commission indépendante des droits de l’homme. « Peu de personnes reconnaissent publiquement qu’elles cèdent aux menaces, ce n’est pas dans la culture pachtoune de céder à la peur », dit-il. « Mais les gens sont d’autant plus impuissants qu’ils ont des doutes sur la position du gouvernement » vis-à-vis des activistes islamistes.
La population, comme les principaux partis politiques d’opposition, renvoie dos à dos radicaux et autorités. « Les talibans et Al-Qaida ne sont pas notre problème, c’est celui de Pervez Musharraf (chef de l’Etat). Ce sont ses invités », affirme Ghulam Ahmed Bilour, du Parti national Awami (ANP), mouvement nationaliste pachtoun. « Musharraf a créé ce problème taliban pour détourner l’attention des vrais problèmes », explique Shabir Ahmed Khan, secrétaire provincial du Jamaat Islami, l’un des principaux partis religieux du pays, qui appelle au boycottage des élections. « Tant que Musharraf est présent, la situation va empirer, car les opérations militaires tuent plus de civils que d’extrémistes », affirme Muhstaq, employé dans une pharmacie.
« LES POLICIERS ONT PEUR »
Les Pachtouns sont mal à l’aise dans ce combat. « Beaucoup (d’entre eux) ont de la sympathie pour les talibans pachtouns, car ils donnent une couleur ethnique à cette lutte, accusant les Pendjabis de pousser des Pachtouns contre d’autres Pachtouns », affirme l’avocat Kamran Arif. L’armée pakistanaise vient majoritairement du Pendjab, la plus grande province du pays qui attire les ressentiments des plus petites provinces.
Ancien ministre de l’intérieur du régime Musharraf, candidat aux élections, Aftab Khan Sherpao concède que le gouvernement n’a pas été capable de freiner l’expansion des talibans. « Nous n’avons pas su contrer leur propagande, affirmant qu’ils menaient une guerre sainte. Le soldat qui combat des musulmans pakistanais ne sait plus qui est son ennemi », dit-il, déplorant qu’aucun leader religieux ne s’élève contre les attentats-suicides.
M. Sherpao estime aussi que la peur explique l’impuissance de la police. « Il n’y a pas de doute que les policiers ont peur, les combattants sont mieux équipés qu’eux, ajoute-t-il. Comment attendre d’un policier qui gagne 100 dollars par mois qu’il donne sa vie ? » La police, soulignent plusieurs interlocuteurs, se plaint aussi du fait que les militants qu’elle arrête soient relâchés par les services de renseignement, qui gardent des liens avec les mouvements djihadistes pakistanais.
Divisée entre ceux qui ont appelé au boycottage des élections et ceux qui se présentent au scrutin, la coalition des partis religieux, qui dirigeait la province du Nord-Ouest, ne peut espérer garder le pouvoir. Il faudra plus qu’un nouveau gouvernement pour ramener le calme dans cette région, théâtre d’une guerre qu’elle ne reconnaît pas comme sienne.
Fr. C.
* Article paru dans le Monde, édition du 17.02.08.
LE MONDE | 16.02.08 | 13h26 • Mis à jour le 16.02.08 | 13h56.