ISLAMABAD CORRESPONDANTE EN ASIE DU SUD
A moins d’une semaine des scrutins législatifs et provinciaux du 18 février, cruciaux pour l’avenir du Pakistan, le débat électoral est étouffé par les violences, paralysé par les risques d’autres attentats. Depuis l’assassinat, le 27 décembre 2007, de Benazir Bhutto, alors chef de l’opposition et ex-premier ministre, à l’issue d’un meeting électoral, les candidats sont prudents. Le gouvernement leur a d’ailleurs recommandé d’éviter toute grande réunion.
Malgré cela, dix personnes ont été tuées, lundi 11 février, dans un attentat-suicide visant un meeting organisé à Eedak, dans la zone tribale du Nord Waziristan frontalière de l’Afghanistan. Le candidat visé - un « indépendant », puisque la loi interdit les partis politiques dans les zones tribales - est soutenu par l’Awami National Party (ANP), organisation politique nationaliste pachtoune. Le candidat a été blessé dans l’attentat qui ciblait sans doute aussi la force tribale mise sur pied pour contrer la présence des combattants étrangers islamistes dans cette région où, récemment, un haut responsable d’Al-Qaida, Abou Laith Al Libi, a été tué par un missile américain.
L’attentat-suicide d’Eedak intervient deux jours après celui de Charsada, près de Peshawar, capitale de la province frontalière du Nord-Ouest. Vingt-cinq personnes avaient alors trouvé la mort. Là encore, un candidat de l’ANP était visé. Ce parti qui combat l’idéologie extrémiste des islamistes, est une cible privilégiée des talibans pakistanais. Le vice-président de l’ANP à Karachi, ville qui abrite une grosse communauté pachtoune, a été exécuté, le 6 février, par un homme à mobylette qui lui a tiré dans la tête.
Les dirigeants de l’ANP ont rejeté la responsabilité de ces attentats sur le gouvernement qui, au minimum, comme dans le cas de Benazir Bhutto, n’a pas été capable d’assurer la sécurité. L’attentat de Charsada est intervenu dans un lieu clos où n’étaient rassemblées que 200 personnes. La grande majorité des circonscriptions électorales de la province frontalière du Nord-Ouest ont été déclarées « zones sensibles ». On s’attend à un taux de participation très faible dans toute la province.
Exemple de l’insécurité grandissante qui règne dans cette région, le ministère pakistanais des affaires étrangères a annoncé, lundi, « la disparition » sur la route entre Peshawar et Torqam, à la frontière afghane, de son ambassadeur à Kaboul, Tariq Azizuddin. Il regagnait son poste par la route. Deux employés du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ont disparu dans cette zone depuis le 2 février.
SURVIE POLITIQUE DE M. MUSHARRAF
La province du Baloutchistan n’est pas plus stable. Une guerre larvée y oppose les forces de sécurité aux nationalistes baloutches. Plusieurs incidents armés ont aussi eu lieu dans la province du Sind où, selon plusieurs témoignages, des militants appartenant au parti gouvernemental ont tiré sur des membres du Parti du peuple pakistanais (PPP), dirigé de facto par Asif Ali Zardari depuis la mort de son épouse Benazir Bhutto.
Ces violences ajoutées aux rumeurs alarmistes empêchent la population de réellement participer à un débat qui se réduit pour l’essentiel à un référendum virtuel pour ou contre le président Pervez Musharraf. Bien que n’étant pas candidat, celui-ci occupe tous les esprits tant sa survie politique dépend du résultat du vote. Or, tous les sondages donnent le parti présidentiel, la Pakistan Muslim League (PML-Q), très largement battu.
Chronologie
18 octobre 2007 : l’ex-premier ministre Benazir Bhutto revient au Pakistan après huit ans d’exil.
3 novembre : le président Pervez Musharraf déclare l’état d’urgence et suspend la Constitution.
29 novembre : la Cour suprême valide l’élection de M. Musharraf à la présidence du Pakistan le 6 octobre.
27 décembre : Mme Bhutto est tuée dans un attentat-suicide près d’Islamabad.
2 janvier 2008 : la commission électorale annonce le report des élections législatives, fixées au 8 janvier, au 18 février.
7 février : fin du deuil de quarante jours proclamé par le Parti du peuple pakistanais (PPP) de Mme Bhutto après sa mort.
A Rawalpindi, le petit peuple se plaint de la flambée du prix de la farine et du gaz
ISLAMABAD CORRESPONDANTE EN ASIE DU SUD
Enveloppé dans un épais châle de laine pour lutter contre le froid piquant, Rafic attend l’ouverture d’un magasin gouvernemental de Rawalpindi, banlieue située à une quinzaine de kilomètres de la capitale, Islamabad. Il compte bien y acheter un sac de farine à bas prix. Une cinquantaine de personnes sont massées à ses côtés. Journalier, il multiplie les emplois. Gardien la nuit, jardinier et promeneur de chiens le jour, Rafic a de plus en plus de mal à nourrir sa famille. « Les prix augmentent tous les jours et il y a des manques partout, se plaint-il. Il y a six mois, vingt kilos de farine valaient ici 200 roupies (2,5 euros). Maintenant, le prix est monté à 260 roupies et la qualité est très mauvaise. Le ghee (beurre clarifié) est passé de 400 roupies pour cinq kilos à 560 ! »
Le coût du roti, galette plate de pain qui constitue la nourriture de base de l’immense majorité des Pakistanais, a quasiment doublé en quelques mois. Le prix des produits alimentaires a augmenté de 14,7 % pour le mois de janvier, après une augmentation de 12,7 % en décembre 2007. Une telle inflation pèse lourdement sur une population (160 millions), dont 65 millions vivent sous le seuil de pauvreté absolu.
COUPURES D’ÉLECTRICITÉ
L’augmentation du coût de la vie n’est pas la seule préoccupation de Rafic. Originaire du Cachemire, il est installé avec sa famille dans un deux-pièces, à Rawalpindi. Un froid très intense et inhabituel règne au Pakistan. « La pression de gaz est tellement faible que nous ne pouvons ni chauffer ni cuire convenablement la nourriture », dit-il. Le gaz manque cruellement depuis le début de l’hiver et les plus démunis passent une bonne partie de leur temps à couper du bois, y compris au cœur de la capitale. Le prix de la bouteille de gaz a doublé, passant de 550 à 1 100 roupies, une somme extravagante pour des salaires qui oscillent entre 4 000 et 6 000 roupies.
L’électricité fait aussi défaut. Si dans les quartiers huppés d’Islamabad les coupures n’excèdent pas quatre à cinq heures par jour, à Rawalpindi, où vivent 3 millions d’habitants, elles peuvent dépasser douze heures. « Quelquefois, nous n’avons quasiment pas d’électricité de la journée. D’autres fois, nous avons seulement une dizaine d’heures de coupure », explique Rafic.
Les prouesses économiques des huit ans de règne du président Pervez Musharraf, avec une croissance comprise entre 6 % et 7 %, n’ont visiblement pas bénéficié aux pauvres. Pour eux, les élections législatives du 18 février pourraient marquer un changement, mais très peu avouent s’y intéresser. « Si Benazir Bhutto (ex-premier ministre et chef de l’opposition assassinée le 27 décembre 2007) était là, elle aurait gagné. Maintenant, Nawaz Sharif (autre ex-premier ministre dont la candidature a été rejetée par la commission électorale) devrait être le vainqueur », affirme Indreas, un balayeur municipal. « Personne ne veut de ce gouvernement. Tout augmente, il n’y a pas d’électricité et les affaires ne marchent pas », confirme Abad, un petit commerçant.
L’insécurité grandissante joue aussi contre le gouvernement. « On n’a pas besoin de Musharraf. Trop de gens sont morts à cause de lui », affirme Naeem, un étudiant de Rawalpindi. « Il y a trop de bombes, trop de fusillades, trop de gens meurent », renchérit Ayaz, employé dans un magasin.
En 2007, près de 800 personnes sont mortes dans des violences politiques au Pakistan. « La seule bonne chose qu’a faite Musharraf, concède-t-il toutefois, est de ne pas avoir livré Abdel Qadir Khan (le père de la bombe atomique pakistanaise) aux Américains. »