Jean-Marie Bockel, secrétaire
d’Etat chargé de la
Coopération et de la
francophonie, a fait sensation lors de
la présentation de ses vœux pour la
nouvelle année. Il a déclaré vouloir
« signer l’acte de décès de la
Françafrique », et de dénoncer « la
prédation de certains dirigeants »,
« une minorité [qui] mène un train de
vie luxueux ». Il ne s’agissait bien sûr
pas de Nicolas Sarkozy, mais des
traditionnels amis de la France
producteurs de pétrole. « Est-il
légitime que notre aide au
développement soit attribuée à des
pays qui gaspillent leurs propres
ressources ? », s’interrogeait encore
Bockel.
Les intéressés, qui se sont
reconnus, notamment Bongo,
Sassou et Biya, ont immédiatement
protesté auprès de l’Elysée, le
dirigeant gabonais menaçant même
de se tourner vers « des partenaires
plus respectueux de la dignité [des]
peuples et de la souveraineté [des]
Etats ». « Il y a encore trop de rentes
de situation, trop d’intermédiaires
sans utilité claire, trop de réseaux
parallèles » déclarait encore Bockel
au journal Le Monde.
Certes, de telles déclarations
sont une nouveauté de la part d’une
personnalité politique en fonction,
surtout en charge de la coopération
et de la francophonie : elles étaient
traditionnellement réservées à la
période électorale. Mais Sarkozy
nous a habitué à la campagne
électorale permanente. Les
déclarations de Rama Yade et de
Kouchner à l’occasion de la venue
de Kadhafi en France avaient aussi
démontré qu’une certaine liberté de
parole était autorisée, voire
encouragée : ça permet toujours de
ratisser large. En outre, Bockel s’est
empressé de rassurer les
offusqués : on l’aura mal compris, il
ne visait
personne, il
n’est pas un
« intégriste
de la
transparence
», il n’est pas
« contre les
émissaires,
disons,
parallèles ; je
sais que le
secret est
parfois
nécessaire ».
Cerise sur le
gâteau : il sait
« qu’on ne
décalquera
pas du jour
au lendemain notre morale en
Afrique. » Rien de nouveau donc du
côté de la bonne conscience
néocoloniale et raciste.
On sera donc plus attentif à la
réalité des actes qu’aux
proclamations de bonnes intentions.
Du côté des travaux pratiques,
Bockel a raté une excellente
occasion de mettre en lumière « la
prédation de certains dirigeants ».
On ne l’a pas beaucoup entendu au
moment de la crise tchadienne,
quand ses collègues et son patron
tentait de nous peindre le régime
tchadien en modèle de vertu. Pensez
donc ! un gouvernement « légitime »,
« sorti des urnes », affirmait Sarkozy.
« Idriss Deby est un président élu,
élu deux fois même » renchérissait
Kouchner. A ce compte là, Biya,
Bongo ou Sassou dont on ne
comptera bientôt plus le nombre de
« réélections » ne sont pas
simplement des démocrates, ils sont
l’incarnation même de la démocratie !
Plaisanterie mise à part et plus
fondamentalement, il y a malgré tout
du nouveau concernant
l’impérialisme français. Depuis
quelques années (en gros depuis le
génocide au Rwanda, qui aurait
« traumatisé » l’armée française
selon certains journalistes, et depuis
la réforme de la coopération militaire
qui a suivi en 1997-1998), on tente
de nous faire prendre un ravalement
de façade pour un changement de
logique.
Certains milieux politiques,
militaires et même économiques ont
conscience que l’image maintenant
assez communément admise – en
France et en Afrique - d’une France
néocoloniale et des pratiques
maffieuses de la Françafrique
nuisent à la préservation des intérêts
français (intérêts économiques et
stratégiques). D’où les efforts répétés
pour changer cette image, mais
l’image seulement : pour nous
expliquer que la coopération militaire
française est désormais au service
du Renforcement des Capacités
Africaines de Maintien de la Paix
(dispositif Recamp), pour nous
convaincre que les interventions
militaires unilatérales sans mandat
international sont révolues, et pour
embarquer les partenaires
européens aux côtés de nos armées.
De ce point de vue, la gestion de la
crise tchadienne par l’Elysée a été
une réussite médiatique : afficher un
soutien politique à Déby, mais une
vertueuse neutralité dans les
combats, le tout sanctifié par une
résolution du conseil de sécurité.
« Ces images tournées par l’armée
française le prouvent,
s’enthousiasmait France 2 sans
crainte du ridicule, quand les forces
tricolores croisent les rebelles, elles
observent une stricte neutralité. »
Heureusement, quelques journalistes
se souviennent que c’est hors champ
des images fournies par le Sirpa que
commence leur travail. Et ici, force
est de constater que les vieilles
pratiques ont la vie dure…