Malaise ou air du temps ? Une vague rumeur circulait, mais le magazine Technikart a définitivement éventé l’affaire, dans un dossier consacré à la « droite chaudasse » : Pierre, l’un des fils de Nicolas Sarkozy, est dans le rap, plus exactement producteur « incognito » sous le pseudonyme de Mosey. Et il ne s’ébroue pas franchement dans la frange consensuelle, version ouverture à la Mc Solar. Non, non, le fiston du président tripe pour le gangsta rap, cette version ultraviolente du hip-hop, venue de Los Angeles et de ses gangs. Dans une scène hexagonale où bouffer du Sarko s’avère une figure obligatoire, voire un fonds de commerce, l’information a laissé un goût amer… Pendant ce temps, Sevan, le fils de feu Henri Verneuil, squattait la Star Ac dans le rôle du jeune rebelle apprenti rappeur de service, et il pleurait à longueur d’émission sur ses états d’âme artistiques.
Galaxie hip-ho
Point de faux débats : depuis ses débuts, le rap n’a jamais été socialement homogène. Cependant, il conservait, niché au fond de lui, cette vocation « populaire mais jamais vendu », pour paraphraser Kery James. Nick Cohn, auteur anglais tombé tardivement en amour pour la bounce (style de la Nouvelle-Orléans porté sur le crime et le sexe) l’avait résumé dans son livre, Triksta : « Le hip-hop a été créé en douce, par et pour les exclus, et son message de base était le défi à travers la fête : nous on est là, fils de putes. On est toujours vivants. Venez voir, on est plus vivants que vous. »
Difficile, aujourd’hui, de sentir cet esprit habiter les acteurs tricolores de cette « culture urbaine ». En 2008, le rap français sent souvent mauvais (sexisme, crises identitaires, idéalisation du voyou, etc.) et, surtout, il ne produit plus grand-chose de bon, y compris avec ses outrages. Si une compilation sort pour commémorer les dix ans de la fin de NTM, la deuxième place forte du hip-hop dans le monde semble patiner, alors que jamais la réalité sociale ne paraît lui donner autant de raisons d’exister. Comme s’en désole Mouloud, journaliste : « Le rap ne sait plus qu’agiter des phantasmes. Soit il fait le jeu de l’UMP en proposant une vision caricaturale de la banlieue, soit c’est la soupe moraliste niaise. On attend qu’un MC nous recrache un morceau comme Le Monde de demain de NTM, un titre dont l’impact et la vérité perdurent. »
De fait, le clivage n’a jamais été aussi grand entre les différents représentants de la galaxie hip-hop, dont l’unité n’est qu’une façade derrière laquelle chacun se réfugie, tout comme la condamnation des dérives du rap ponctue chaque album en guise de gri-gri incantatoire. Que reste-t-il de commun, à part l’étiquette de l’industrie du disque et des médias, entre les tenants d’un rap d’adultes (Rocé, Kohndo, etc.), les vétérans qui tiennent leurs rangs (Joey Starr, Oxmo Puccino, Iam), les militants altermondialistes, sorte de néorock alternatif (Keny Arkana, Kalash…), les atypiques branchouilles (Daabazz, Tekilatex…) et le rap « caillra » pour Skyrock, qui complète le gros des ventes, avec celui de « centre droit », selon l’expression du magazine Unité, de Diam’s ?
Relancer la machine
Asphyxié par le piratage, étouffé par le R’n’B, bouffé par les guéguerres entre bandes et collectifs (Mafia K1’fry versus Mc Jean Gab’1, le tout raconté par les premiers intéressés sur le Web, des fois que quelqu’un ne soit pas au courant…), le rap français tourne en rond pendant que le consumérisme culturel pond des alternatives inodores pour la jeunesse (la tecktonik, etc.). Dans ce contexte, Booba, malgré ses travers et sa virulence, n’a pas trop de mal à survoler son petit monde avec ses fulgurances textuelles (« Quand je traîne en bas de chez toi, je fais chuter le prix de l’immobilier ») au-dessus d’une morne plaine créative, où tous jouent la surenchère d’une authenticité, qui s’invente plus qu’elle ne se vit. Car le rap français est devenu tellement caricatural, que ce sont des humoristes qui le comprennent et l’utilisent le mieux (ses codes, ses signaux, etc.), et Sear, du fanzine historique Get Busy, peut affirmer, sans rire, dans l’émission Web « On refait le rap », que le « coup » de Michael Youn, Fatal Bazooka, se révèle in fine le meilleur album de l’année 2007.
Pour résumer, comme l’explique Mouloud : « À l’instar du rock, le rap a viré beauf, sauf que Joey Starr a quand même plus de classe que Johnny Hallyday. » Naturellement, le rap dérange encore. Les démêlés de La Rumeur avec la justice ou le harcèlement par un groupuscule d’extrême droite de Sniper, tout comme les déboires parlementaires de Monsieur R, le prouvent. L’art et la manière, voilà peut-être ce qui manque pour relancer la machine à faire trembler aussi bien les enceintes de nos chaînes stéréo que celles de l’Assemblée nationale.
Notes
• À écouter : NTM, « Best of », Sony/Jive ; Rocé, Identité en crescendo, Universal jazz ; Oxmo Puccino & The Jazzbatsards, Lipopette Bar, Blue Note ; La Caution, Peine de Maures/Arc-en-ciel pour les daltoniens, Keroze.
• Dans les médias : Fumigène Mag [ www.fumigene.net ], le webzine Booska-P [ www.booska-p.com ] et l’émission « On refait le rap », avec Mouloud, Sear et Olivier Cachin.
• À lire : Nick Cohn, Triksta, Éditions de l’Olivier, 369 pages, 21 euros ; Olivier Cachin, Le Dictionnaire du rap, Scali ; Joey starr et Philippe Manœuvre, Mauvaise Réputation, J’ai lu, 285 pages, 6,70 euros.