Le TIRPAA : Biodiversité cultivée et droits des paysans
Du 29 octobre au 2 novembre 2007 s’est tenue à Rome la deuxième réunion de l’organe directeur du Traité International sur les Ressources Phytogénétique pour l’Alimentation et l’Agriculture (TIRPAA). Une petite délégation de la Via Campesina, dont Guy Kastler pour la région Europe, a participé aux débats.
Dans sa communication lors du TIRPAA, Guy Kastler a insisté sur l’enjeu fondamental que représente la biodiversité des plantes - et des animaux. C’est cette diversité, œuvre depuis des millénaires des communautés paysannes - et toujours en mouvement, qui permet aux agricultures de s’adapter aux défis du changement climatique.
Aujourd’hui, cette biodiversité est gravement menacée par les industries de la semence et des biotechnologies : Dans les pays du Nord, les variétés paysannes ont presque totalement disparues des champs au profit de semences standardisées, fournies par l’industrie avec un paquet « engrais et pesticides » indispensables pour les cultiver.
Ces variétés sont incapables de s’adapter à la diversité des terroirs et sont particulièrement vulnérables face aux nouvelles maladies et parasites.
Dans les pays du Sud, où sont encore pratiquées des agricultures vivrières, les populations ne disposent pas des ressources financières nécessaires à l’achat de semences patentées.
Les communautés paysannes, en ressemant chaque année une partie de leur récolte, renouvellent en permanence la biodiversité cultivée.
Mais jusqu’à quand ? Le traité TIRPAA, tout en reconnaissant le droit des paysans de conserver , ressemener, d’échanger et de protéger leurs semences, soumet ces droits aux législations nationales, qui - elles - ne les respectent pas !
C’est pourquoi, au nom des paysans mais surtout pour l’avenir de l’humanité, nous attendons du TIRPAA qu’il fasse respecter par l’ensemble des paysans signataires les droits des paysans de conserver, ressemer, échanger et protéger leurs semences contre le bio-piratage et les contamnitations génétiques, ainsi que leur accès aux ressources des collections publiques.
Le TIRPAA risque de rester un instrument juridique vide dans les mains des industries et des gouvernements, si la participation active des organisations paysannes à ses travaux n’est pas effective.
Lire ci-dessous la communication dans sa version intégrale de Via Campesina au TIRPAA.
Discours de la Via Campesina à la 2e réunion du traite de la FAO sur la biodiversite végétale
(Traité International sur les Ressources génétiques des Plantes pour l’Agriculture et l’Alimentation
ou TIRPAA)
La biodiversité génétique des plantes - mais aussi des animaux - est un enjeu fondamental pour
l’Humanité car elle seule permettra à l’agriculture de s’adapter aux défis du changement
climatique. De toute évidence, cette biodiversité est gravement menacée par les industries de la
semences et des biotechnologies.
Via Campesina , Communication au Tirpaa, 29 0ctobre 2007 Guy Kastler, France
"Les agricultures paysannes ne peuvent pas se développer avec les seules semences fournies par
l’industrie et les engrais et pesticides indispensables pour les cultiver. La grande majorité des paysans de
la planète pratiquent des agricultures vivrières et ne disposent pas des ressources financières
nécessaires à leur achat. Les paysans intégrés dans l’économie marchande des produits
agroécologiques ou biologiques n’utilisent pas les produits chimiques qui vont avec, ni les OGM. Pour
ces paysans, ce que la gouvernance institutionnelle a baptisé « ressource phytogénétique » est d’abord
une semence, leur premier outil de travail après la terre. En ressemant chaque année une partie de leur
récolte précédente, ils renouvellent en permanence la biodiversité cultivée. Les échanges de semences
et les sélections paysannes augmentent cette biodiversité. C’est à dire qu’ils augmentent non seulement
le nombre de variétés, mais aussi la diversité intra variétale des populations cultivées, indispensable à
leur adaptation à la diversité des terroirs, aux évolutions climatiques et aux modifications sanitaires qui
s’en suivent. Très récemment à l’échelle historique, la communauté internationale s’est organisée pour
conserver les ressources phytogénétiques dans des banques « ex-situ » que le TIRPAA appuie dans son
plan d’action mondial, alors que la conservation « on farm » est délaissée. Mais le monde vivant ne s’est
jamais conservé sans se renouveler et se diversifier pour s’adapter au sein de son environnement en
perpétuelle évolution. C’est pourquoi nombre de ressources phytogénétiques stockées dans les banques
sont menacées de disparition faute de crédit pour les remettre régulièrement en terre. Leur intégrité est
aussi menacée par les contaminations d’OGM qui pénètrent aujourd’hui dans les centres d’origine et de
diversification et dans les collections des banques.
L’industrie semencière utilise certes ces ressources pour proposer de nouvelles semences, mais les
variétés qu’elle commercialise sont toutes constituées des mêmes pools génétiques dépendant des
engrais et des pesticides et elles sont incapables de s’adapter à la diversité des terroirs et aux
changements climatiques. Leur vulnérabilité face aux nouvelles maladies et parasites provoque
régulièrement des catastrophes d’autant plus grandes que, pour répondre aux exigences d’économie
d’échelle de l’industrie, elles sont chacune cultivées sur d’immenses territoires.
Le TIRPPAA a consacré un de ses chapitres aux « droits des paysans » de conserver, de ressemer,
d’échanger et de protéger leurs semences et de participer aux décisions politiques de gestion des
ressources génétiques. Mais il soumet ces droits aux législations nationales qui ne les respectent pas.
Les lois de protection de la propriété intellectuelle (brevet et Certificat d’Obtention Végétale ou COV)
remettent en cause le droit des paysans de ressemer leur récolte. L’obligation d’enregistrement des
variétés sur des catalogues à des coûts et avec des critères inaccessibles aux paysans leur interdit
d’échanger leurs semences et donc d’avoir un « accès facilité » aux ressources phytogénétiques. Le «
consentement » et le « partage des avantages » ne sont pas respectés par le COV qui permet
l’appropriation d’une « variété découverte » sans obligation d’en indiquer l’origine, ni par le brevet qui
peut camoufler l’indication de cette origine dans une seule ligne perdue au milieu de centaines de pages
de description. La contamination génétique par les OGM menace aussi l’intégrité et la survie des variétés
paysannes et des ressources génétiques conservées dans les collections. Sans droits pour ressemer leur
récolte, sans droits pour échanger leurs semences, les paysans ne peuvent plus conserver et renouveler
leurs variétés qui disparaissent peu à peu, ce qui laisse la place vide aux semences de l’industrie et aux
seules grosses exploitations disposant des moyens techniques et financiers nécessaires à leur culture.
Dans les pays du Nord, les variétés paysannes ont presque totalement disparues des champs au point
que les agriculteurs biologiques ne trouvent plus de semences traditionnelles adaptées à leur mode de
culture. Comme ces agriculteurs ne peuvent pas non plus utiliser les semences du commerce trop
stables et homogènes pour démarrer de nouvelles sélection, ils se tournent vers les collections « ex situ
» existant encore. Or nombre d’entre elles leur sont fermées, contrairement au principe de « l’accès
facilité des paysans » énoncé dans le TIRPAA. Soit parce qu’aucune description des variétés n’est
disponible au-delà d’un numéro de code sans autre référence, soit au prétexte qu’ils produisent pour le
marché et que la loi ne veut pas reconnaître qu’ils puissent par la même occasion faire de la conservation
et de la sélection.
Si elle se généralise à l’ensemble de la planète, cette situation pourrait être dramatique pour l’avenir de
l’humanité. En effet, les sélections industrielles font brutalement évoluer les plantes hors de leur milieu
environnant du champ où elles ne peuvent plus s’adapter sans béquilles chimiques toujours plus
importantes. Les biotechnologies modernes remplacent la multiplication à l’infini d’une seule plante
(lignées et hybrides) par la multiplication d’une seule cellule. Cet anéantissement de toute diversité intra
variétale des cultures produit des plantes de plus en plus inadaptées aux changements, au contraire des
variétés populations paysannes qui offre un potentiel de diversité qui se renouvellent dans le champ à
chaque cycle. Le développement durable ne peut plus aujourd’hui prétendre s’appuyer sur les profits des
multinationales semencières, car ceux-ci n’existent que parce que les plantes cultivées qu’elles
commercialisent sont de plus en plus éphémères et incapables de se reproduire au-delà d’une ou deux
générations.
C’est pourquoi nous attendons du TIRPAA, non seulement pour les paysans que nous représentons,
mais surtout pour l’avenir de l’humanité, qu’il fasse respecter par l’ensemble des pays signataires les
droits des paysans de conserver, ressemer, échanger et protéger leurs semences contre le bio-piratage
et les contaminations génétiques, ainsi que leur accès aux ressources des collections publiques. Ce n’est
qu’à cette condition que nous pourrons garantir une conservation et un renouvellement durables des
ressources phytogénétiques appuyées sur les deux jambes de la conservation « ex situ » et la gestion
dynamique « in situ » dans les fermes et les jardins.
Nous remercions l’organe directeur du TIRPAA d’avoir invité Via Campesina à s’exprimer lors de sa
réunion. Nous tenons cependant à souligner que, sans une participation effective des paysans à la
gestion et au contrôle des ressources génétiques dans chaque pays mais aussi au niveau de la
gouvernance mondiale, le TIRPAA restera un instrument juridique vide dans les mains des industries et
des gouvernements incapable d’enrayer l’érosion génétique qui s’étale de plus en plus dans les champs
et menace l’avenir de l’agriculture. C’est pourquoi, nous souhaiterions que vous puissiez déterminer les
modalités qui faciliteraient la participation des organisations paysannes aux travaux et à la vie de l’organe
directeur du TIRPAA."