POUVOIR D’ACHAT : Sarkozy écrase les salaires
Le 12 décembre, le gouvernement devait adopter une deuxième loi censée étouffer le ras-le-bol explosif sur le pouvoir d’achat. Aveu d’échec patent.
Le gouvernement a détaché un émissaire spécial chargé de convaincre les patrons que sa loi sur les heures supplémentaires détaxées était excellente, et que seuls des règles anciennes la rendent compliquée. En un mot, la discipline UMP-Medef doit s’appliquer et il faut arrêter de « râler » (Le Monde du 8 décembre). Sinon, non seulement les salariés ne verront rien sur leur paye, mais l’Élysée perdra la face. Si c’est la question salariale qui fait chuter la cote de confiance de Sarkozy, c’est parce que lui-même en avait fait la question politique nationale numéro un. Aussi, la deuxième salve de mesures, traduite par une loi votée à toute allure, est un aveu d’échec. S’agiter comme si on voulait raccourcir sans arrêt les délais de l’action politique peut avoir deux effets : étouffer le pays, par une guerre de mouvement incessante au sommet, qui empêche le rassemblement des forces, lequel a besoin de temps, de respiration et de projets. Ou alors, se dévoiler comme un bonimenteur de foire, et attiser la colère populaire.
Car le discours sarkozyen, s’il apparaît remplir comme un œuf toute l’actualité politique, peut être démantelé. Parler de pouvoir d’achat sans prononcer une seule fois le mot « salaire », cela a une fonction : écraser les salaires vers le bas, en faisant miroiter des mirages. Fillon l’avait dit avant lui, et Sarkozy a fini par le répéter, le 29 novembre : « Il n’y a pas d’argent. » Toucher un cheveu des profits serait évidemment un sacrilège pour le Medef. Sarko distribue donc autrement ce que les salariés ont déjà gagné : liquider en espèces ce qui leur appartient en temps de travail effectué et salaire gelé (journées RTT revendues, comptes épargne temps vidés, capital de participation liquidé). Pas un centime de plus ! Cela donne un peu plus de possibilité de faire ses courses, mais c’est une illusion. Car les expédients temporaires de pouvoir d’achat faussent la relation que les salariés ont avec le montant de leur vrai salaire de base, rendu invisible sous les primes et mesures complémentaires émiettées. Cela crée une addiction au besoin de consommer, par du travail supplémentaire, harassant et très peu rémunéré. Parce que les familles ont besoin de consommer, quoi qu’il arrive. Et maintenant, les caissières vont travailler le dimanche ! C’est du vol de temps, de la plus-value absolue.
C’est pourquoi le syndicalisme devrait et pourrait démasquer le bonimenteur, point par point, et faire mûrir la contre-offensive. Après la journée réussie du 20 novembre dans la fonction publique, il ne faut pas laisser le pouvoir, qui accuse le coup, reprendre l’initiative, mais préparer une journée nationale de grève et de manifestations pour tous les salaires, pour toutes les retraites. C’est déjà ce que souhaitaient de nombreuses équipes syndicales interprofessionnelles, en soutenant les journées du 18 octobre et du 20 novembre.
Dominique Mezzi
CONTRAT DE TRAVAIL : Toujours plus de précarité
Des négociations sur la « modernisation du marché de travail » ont lieu depuis le 7 septembre. Surveillées de près par le gouvernement, elles portent sur le contrat de travail, l’assurance chômage et la sécurisation des parcours professionnels. L’avant-projet répond aux revendications patronales.
Les discussions de cette négociation portent sur « l’entrée dans l’emploi » (chômage des jeunes), le « retour à l’emploi » (formation et incitation) et, surtout, sur « la sortie de l’emploi », c’est-à-dire les assouplissements à apporter aux règles de licenciement, en contrepartie de garanties supplémentaires pour les salariés. Le Medef doit obtenir au moins trois signatures syndicales sur cinq, s’il ne veut pas s’exposer au risque d’un « droit d’opposition ». Officiellement, il lui reste trois semaines, puisque le gouvernement répète que, sans accord d’ici le 31 décembre, il va légiférer sur le contrat de travail. Officieusement, les partenaires sociaux ont gagné le droit de déborder sur le mois de janvier.
À l’heure actuelle, l’avant-projet donne la part belle aux revendications patronales sur plusieurs points. Le texte propose la création d’un contrat de projet conclu pour « la réalisation d’un objet précis », agrémenté d’une clause précisant que « la réalisation de cet objet constitue un motif valable de rupture du contrat ». Cette disposition répond aux demandes du Medef, puisqu’elle est destinée à priver le salarié du droit de contester le motif de son licenciement devant les prud’hommes. Ce nouveau contrat sera classé parmi les contrats à durée indéterminée (CDI), mais plus précaire que jamais, puisque le salarié ne sait pas à l’avance à quel moment il se terminera. Le texte propose également l’une des revendications centrales du Medef : la rupture du contrat de travail « à l’amiable », permettant ainsi au patronat de contourner l’ensemble de la législation actuelle relative aux licenciements. Les attaques ne s’arrêtent pas là : l’avant-projet donne la possibilité aux employeurs de modifier à leur guise les clauses essentielles du contrat de travail (salaire, poste, lieu), sans qu’il y ait, en cas de refus du salarié, licenciement économique, la possibilité aussi de se débarrasser d’un salarié pour inaptitude d’origine autre que professionnelle, la prolongation de la période d’essai et le désengagement financier du patronat de l’assurance chômage… En contrepartie de la casse du contrat de travail et des facilités de licenciements, le patronat propose des miettes de sécurisation du parcours professionnel et certains syndicats osent parler d’« avancées ».
Après la recodification du code du travail, le contrat de travail est, de fait, la question centrale des mois à venir dans l’agenda des contre-réformes libérales. Il est temps que l’ensemble des organisations syndicales, en lien avec les associations de chômeurs, préparent des mobilisations à la hauteur des attaques en préparation.
Joséphine Simplon
CODE DU TRAVAIL : Régression en forme de recodification
Les débats ont actuellement lieu sur la ratification de l’ordonnance de recodification du code du travail. C’est important, car celui-ci permet à plus de 20 millions de salariés d’avoir des moyens de se défendre contre la toute-puissance patronale. La recodification en cours l’attaque dans un silence médiatique total.
Le ministère du Travail affirme que cette recodification se fait « à droit constant ». Or, tous les juristes savent que tout acte sur un texte juridique modifie ce texte, pas seulement dans la forme, mais également dans le fond. C’est encore plus vrai pour le code du travail, construction historique en lien direct avec les luttes sociales : nombre de textes prennent leur sens dans le contexte qui a conduit à leur adoption.
Le travail de recodification a été mené par une commission « technique », avec des consultations éclair pour des sujets complexes. La partie législative comprend presque un millier de pages !
On a du mal aujourd’hui à mesurer toutes les conséquences de ce « tripatouillage ». D’ores et déjà, nous pouvons affirmer notre refus de cette recodification pour plusieurs raisons : l’absence de discussion sérieuse ; l’absence de réelle simplification, car les dérogations qui rendent les textes difficilement lisibles progressent toujours ; le transfert de certains textes vers d’autres codes (transport, rural, affaires sanitaires et sociales), ce qui morcelle les droits par branche d’activité dans un sens défavorable aux salariés ; des centaines d’articles en « L » (partie législative du code composée de textes adoptés par le Parlement) passent en « R » (partie réglementaire : textes décidés par le gouvernement) – c’est tellement plus facile de faire passer en vitesse et en catimini un décret...
Cette recodification est une régression qui aurait dû pousser les organisations syndicales à crier au feu, mais on ne les a pas beaucoup entendues. À nous de rendre visible cette nouvelle attaque.
Charles Paz
Les « réformes » de Sarkozy
Pourquoi les « réformes » de Sarkozy soulèvent-elles de telles résistances ? À l’évidence, cette question préoccupe les éditorialistes du Point. Pour Alain Duhamel, c’est un peu une affaire de morale : « L’idéologie décliniste a fini par cristalliser les peurs françaises et par infester les esprits. » Et de faire la liste d’une série d’ouvrages récents alimentant ces thèses. Mais, pour lui, ces analyses sont en retard sur la réalité : « La France supporte le fardeau d’une société de défiance, mais porte les promesses d’une économie en mouvement. » Il y a des raisons d’espérer, à commencer par « l’importance des métamorphoses françaises depuis une génération » : « désindexation, privatisation par vagues successives, performances internationales des grandes entreprises tricolores, productivité spectaculaire des Français au travail, recul du chômage et maintenant remise en question des archaïsmes sociaux ».
En gros, ce qui rassure Alain Duhamel, c’est une longue énumération… des régressions sociales ! Une voie manifestement insuffisamment défrichée pour l’autre éditorialiste, Claude Imbert, toujours prêt à dénoncer « les vices de l’État-providence », la France « génétiquement rétive à la réforme », paralysée par le « recours obsessif à l’État mamma ». Au cœur de la diatribe : les 35 heures – pourtant moribondes – et, plus généralement, cette « mutilation exceptionnelle de nos temps de travail », qui explique que « le volume de travail effectué tout au long d’une vie y soit plus faible » que dans les autres pays.
Certes, tout n’est pas perdu : la gauche évolue bien (selon Imbert). « Kouchner, Lang, Valls, Bockel – et Ségolène Royal elle-même – fuient peu ou prou le château des brouillards où le vieux parti se claquemure. » Alors, d’où viennent sa hargne et son inquiétude ? De ce que « dans les tréfonds de l’exception française, dans sa bigoterie gauchiste, le deuil de la vieille illusion n’est pas achevé. Quand éclate le rataplan syndical, on écoute moins Chérèque que Besancenot. Et chez chaque jusqu’au-boutiste, il y a du Besancenot qui sommeille ». Un constat sans doute excessif. Mais prometteur…
François Duval