La plupart des blocages ont été reconduits, mais dans certaines universités, comme dans les trois principales universités de Bordeaux, le déblocage a été voté en assemblée générale (AG), ou même imposé par la force. Cela ne signifie pas automatiquement la mort du mouvement : à Angers, la semaine dernière, le déblocage était passé à deux voix près et, lundi 3 décembre, la plus grosse AG depuis le début du mouvement a voté, à une nette majorité, la remise en place des piquets de grève. Les professeurs et les personnels commencent à se mobiliser et à se mettre en grève dans un certain nombre d’universités, comme à Paris 3, où ils participent à la tenue des piquets de grève. Malgré les difficultés, encore près d’une trentaine de facs est en situation de blocage. Le mouvement a encore du potentiel.
Du côté des lycéens, les syndicats ont mobilisé pendant quelques jours mais, après avoir rencontré la ministre de l’Enseignement supérieure, Valérie Pécresse, ils n’appellent plus à la mobilisation. Pourtant, le potentiel reste fort : on a compté jusqu’à plus de 150 lycées bloqués en France. La lutte est moins structurée que dans les facs, il est plus difficile d’organiser des AG et des coordinations, mais c’est sûrement dans les lycées que la révolte est la plus forte. Il y existe un important sentiment anti-Sarkozy. Les lycéens se mobilisent contre la loi sur les libertés et responsabilités des universités (LRU), mais également contre les suppressions de postes et les futures attaques prévues dans le rapport Darcos, qui annonce l’application de l’autonomie et d’une plus grande discipline dans les lycées. Dans les lycées professionnels, la mobilisation contre le passage au BEP en trois ans commence. Pour l’instant, les profs semblent prendre l’initiative : la CGT-Éduc’action appelle à la grève, mercredi 12 décembre. Mais les lycéens des « lycées pro » pourraient rejoindre la bataille dans les jours qui viennent.
Le gouvernement redoute que la mobilisation étudiante trouve un second souffle. La répression se durcit : depuis le début du mouvement, dans plusieurs universités, les gendarmes et les gardes mobiles sont intervenus pour mettre fin aux occupations ou casser des piquets de grève. Les fermetures administratives sont de plus en plus courantes. Des lycéens ont même été visés : un lycéen de Nantes a été blessé par une balle de flash-ball tirée à bout portant. Il risque de perdre un œil. Dans toute l’académie de Nantes, les AG ont été interdites par l’inspecteur d’académie. Résultat, les lycéens, qui sont obligés de faire leurs AG à l’extérieur des établissements, sont chargés par la police. Les menaces de sanctions disciplinaires pour fait de grève sont désormais monnaie courante.
La direction de l’Unef qui, depuis le début de la mobilisation, ne défend pas l’abrogation de la loi, appelle désormais à suspendre la grève dans les universités. L’Unef avait déjà négocié, pendant l’été, l’application de la loi, en contrepartie d’une augmentation des bourses et de la rénovation de logements étudiants. Le retrait du principal syndicat étudiant de la mobilisation est évidemment négatif, mais il n’a pas fait cesser le mouvement. L’attitude de la direction de l’Unef favorise la radicalisation du mouvement et risque de renforcer les tendances anti-organisations du milieu étudiant.
De deux choses l’une. Soit, face aux difficultés et à la trahison de la direction de l’Unef, le mouvement se radicalise et se perd dans des actions minoritaires et inutiles, soit il montre sa force et se massifie davantage. La manifestation étudiante et lycéenne du jeudi 6 décembre, aux côtés des enseignants-chercheurs, devait être centrale, pour assurer une visibilité du mouvement et ouvrir une brèche vers le monde du travail. La grève des salariés de l’éducation est l’autre levier essentiel pour renforcer le mouvement.
Romain Degrave
LOI SUR L’AUTONOMIE DES UNIVERSITÉS
Pécresse brouille les cartes
Confrontée aux mouvements étudiant et lycéen, la ministre de l’Enseignement supérieur, Valérie Pécresse, a fait des annonces, mardi 27 novembre, censées calmer le mouvement. Décryptage.
Valérie Pécresse a tout d’abord annoncé une rallonge budgétaire. Le premier problème, est que le montant de ces annonces est flou : s’agit-il d’une augmentation de 10 à 15 milliards pour le budget de l’enseignement supérieur en cinq ans, ou d’une agmentation de de 10 à 11 milliards pendant 5 ans ? S’agit-il réellement de création de postes et d’argent public, ou de crédits d’impôts ? Financer cette augmentation par la vente de 3 % du capital d’EDF montre bien que le gouvernement a l’intention de gérer la pénurie… La loi en elle-même n’est pas modifiée : il est toujours possible, pour les universités, de recourir à des financements privés, ce qui entraînera la création de diplômes locaux, adaptés aux besoins des entreprises locales, en dehors de tout cadre national. La circulaire promise pour harmoniser les intitulés des diplômes n’y changera rien, étant donné qu’une circulaire n’a aucune valeur contraignante…
La loi sur les libertés et responsabilités des universités (LRU, dite loi sur l’autonomie des universités) pousse à la création de fondations, à travers lesquelles les entreprises peuvent apporter leurs capitaux, ce qui leur ouvre droit à des déductions fiscales. Les entreprises donnent de l’argent aux facs pour qu’elles forment leur personnel et, en retour, les entreprises récupèrent leur argent sur le dos des contribuables. Les patrons pourront décider des enseignements. Il sera alors facile de se débarrasser de la majorité des filières non rentables (lettres, sciences humaines, sciences non appliquées, etc.), et d’orienter la plupart des formations vers les besoins immédiats du marché.
La LRU entraîne aussi la formation de cliques de gestionnaires professionnels pour « gouverner » les universités comme des entreprises. Transformation du président d’université en véritable PDG, qui ne sera plus forcément issu de la communauté des enseignants-chercheurs, avec un droit de veto sur le recrutement des enseignants, ou encore la possibilité de rémunérer son petit personnel par des primes au mérite. La création d’un « vrai » conseil d’administration, comme dans les grosses boîtes, implique d’abord de le réduire (en passant de 60 à 20-30 membres) pour remplacer les élus enseignants, Iatoss et surtout étudiants, par des « personnalités extérieures », c’est-à-dire des patrons et des politiciens (30 à 40 %), de lui donner tous les pouvoirs, comme celui de créer ou de supprimer des UFR...
La LRU pousse à rationaliser les dépenses des universités. Pour réduire les frais d’entretien des parcs immobiliers, elle ouvre la possibilité d’en transférer la gestion aux universités, histoire qu’elles aient quelque chose à vendre ou à louer qui puisse rapporter un peu d’argent de poche. C’est valable aussi pour le personnel : la LRU permet aux facs de recruter elles-mêmes des contractuels précaires à hauteur de leurs moyens, qu’il s’agisse de personnels enseignant ou administratif. Une seule contrainte : un plafond de dépenses pour la masse salariale. Libre aux universités de baisser les salaires pour créer un peu plus de postes... Elles pourront même embaucher des étudiants pour faire le travail des Iatoss.
Tout cela reste en place. En ce qui concerne la sélection et l’augmentation des frais d’incription, Valérie Pécresse avait déjà affirmé que ces mesures ne seraient pas mises en place à l’échelle nationale. Cependant, les diplômes créés à l’initiative des entreprises, sélectifs et chers, se multiplieront. Le danger, c’est la privatisation petit à petit, fac par fac. Les annonces du gouvernement sont donc un premier recul sur le plan budgétaire, mais elles ne changent rien à la loi et à la nécessité de l’abroger. Si nous arrêtons de nous mobiliser, les promesses seront très vite oubliées : il faut maintenir et amplifier la pression.
Xavier Guessou