Les Pakistanais vivent des temps incertains. L’état d’urgence vient d’être imposé pour la treizième fois dans le pays en tout juste soixante ans d’histoire. Des milliers d’avocats ont été arrêtés, certains ont été accusés de sédition et de trahison, le président de la Cour suprême a été limogé et une loi draconienne sur les médias – qui ordonne la fermeture de toutes les chaînes d’information privées – a été mise en place.
Mais le plus bizarre dans tout ce cirque est le détournement de la cause démocratique par ma tante, Benazir Bhutto, l’ex-Premier ministre déchu à deux reprises. Le mois dernier, pendant qu’elle négociait un accord sur un partage du pouvoir avec le général Pervez Musharraf, elle a affirmé une nouvelle fois que, sans elle, la démocratie au Pakistan serait une cause perdue. Maintenant que la situation a changé, elle réclame la démission du président Musharraf et manifeste son désir de s’allier aux opposants, tout en continuant à se présenter comme le sauveur de la démocratie. Pourtant, nul n’est mieux placé qu’elle pour tirer profit de l’état d’urgence. D’autant que, comme les dirigeants des grands partis islamistes, elle a été épargnée par la violente répression qui l’a accompagné.
Il est généralement admis que Mme Bhutto a été démise de ses fonctions de chef de gouvernement pour corruption. Elle et son époux, surnommé « monsieur 10 % » au Pakistan [pour la part qu’il s’octroyait sur les contrats nécessitant son accord], ont été accusés d’avoir puisé plus de 1 milliard de dollars dans les caisses de l’Etat. La justice suisse l’a également condamnée pour avoir blanchi 1 million de dollars, verdict contre lequel elle s’est pourvue en appel. D’autres affaires de corruption la concernant sont en cours en Grande-Bretagne et en Espagne.
Il était particulièrement déplacé, de la part de Mme Bhutto, de demander au président Musharraf de court-circuiter l’appareil judiciaire et d’abandonner les nombreuses charges de corruption qui pèsent encore sur elle au Pakistan. Il a toutefois accepté en signant la bien mal nommée « ordonnance de réconciliation nationale ». Sa collaboration avec le général a été si peu discrète que les gens surnomment désormais son parti – le Parti du peuple pakistanais – le « Parti du peuple Pervez ». Même si aujourd’hui elle souhaite prendre ses distances, il est trop tard.
Les promesses répétées de Mme Bhutto de mettre fin au fondamentalisme et au terrorisme au Pakistan sont difficilement crédibles, car, sous son propre gouvernement, le régime taliban qui gouvernait l’Afghanistan a été reconnu par le Pakistan – l’un des trois seuls pays au monde à l’avoir fait.
Je doute également de son engagement à maintenir la paix. Mon père, Mir Murtaza Bhutto, était parlementaire et critiquait vivement la politique de sa sœur. Il a été abattu devant notre maison en 1996 dans une opération soigneusement montée par la police alors que Benazir était Premier ministre. Il y avait entre 70 et 100 policiers sur les lieux, tous les réverbères avaient été éteints et les routes coupées. Six hommes ont été abattus avec mon père. On leur a tiré dessus à bout portant et leurs corps ont été abandonnés dans la rue.
Mon père était le petit frère de Benazir. Le rôle de cette dernière dans son assassinat n’a toujours pas été clairement établi, même si le tribunal réuni après sa mort sous l’autorité de trois juges très respectés a conclu qu’elle ne pouvait avoir eu lieu sans l’approbation des « plus hautes » instances politiques.
Si l’on soutient Mme Bhutto, qui parle de démocratie tout en demandant à un dictateur militaire de la porter au pouvoir, on ne fera que provoquer la mort du mouvement démocratique naissant de notre pays. La démocratisation sera à jamais déligitimée, et nos progrès dans l’adoption de véritables réformes seront réduits à néant. Les Pakistanais peuvent être certains de cela.