Pendant la campagne présidentielle – et après –, Nicolas Sarkozy s’es progressivement aligné sur les positions patronales. Slogan de campagne attrayant, le contrat unique » a été discrètement remisé au placard à l’occasion de la feuille de rout encadrant la négociation imposée par le gouvernement aux organisations syndicales début septembre 2007, pour la « modernisation du marché du travail ». Une négociation pour le moins particulière : les grands objectifs sont d’ores et déjà fixés par Sarkozy, avec date butoir et menace de projet de loi en cas d’échec. Bref, une régression programmée, que les confédérations sont sommées de cautionner. Jusque dans les détails, la caricature est de mise : réunions au siège du Medef, sur des notes et des avant-projets écrits par le Medef. Aucune plateforme syndicale commune d’exigences minimales. Aucune perspective d’appel à la mobilisation pour changer la donne. Le patronat peut jouer sur du velours, en opposant les organisations syndicales. Un jeu que certaines acceptent ouvertement. Le leader de la CFDT, François Chérèque, a ainsi évoqué « le devoir de réussite des partenaires sociaux ».
À en croire certaines réactions syndicales récentes, le Medef aurait mis de l’eau dans son vin et la négociation serait en bonne voie. Le 30 octobre, le négociateur de Force ouvrière (FO), Stéphane Lardy, soulignait qu’il y avait « un certain nombre d’avancées », tandis que le négociateur de la CFDT, Marcel Grignard, actait « trois ou quatre éléments très importants ». Quant au négociateur de la CGC, Alain Lecanu, il appelait à « enrichir le texte ». Ainsi donc, sans mobilisation aucune, nos très habiles négociateurs auraient fait entendre raison au Medef... À d’autres ! En réalité, le Medef n’a fait que mettre sous le boisseau certaines propositions délibérément provocatrices – comme l’instauration d’une période de validation économique d’un nouveau contrat de travail s’ajoutant à la période d’essai – qu’il avait formulées d’entrée de jeu afin d’asseoir sa position dans la négociation. Tactique vieille comme le monde, dont seuls sont dupes, ou feignent de l’être, ceux qui le veulent bien.
Quant à l’abandon du contrat nouvelles embauches (CNE) et à la reconnaissance de la nécessité de devoir motiver tout licenciement – deux annonces récentes du Medef –, il s’agit d’un vrai-faux recul. Depuis le gigantesque mouvement contre le CPE, le Medef a décidé de mettre en avant la « séparabilité ». Sarkozy s’est ensuite rallié à cette idée. Les déboires judiciaires du CNE, qui permet de licencier sans motif et que l’Organisation internationale du travail (OIT) serait sur le point de déclarer non conforme à la convention internationale n°158 signée par la France, en raison de la longueur excessive de la période d’essai (deux ans), sont venus convaincre les libéraux les plus réticents qu’il fallait changer leur fusil d’épaule, concernant les modalités de libéralisation du droit du travail, notamment du licenciement. Ces déboires ne sont d’ailleurs nullement étrangers à la puissance du mouvement contre le CPE.
Sur le fond, depuis le début des négociations sur le contrat de travail, le Medef n’a pas reculé d’un pouce. L’avant-projet d’accord préparé pour la réunion du 9 novembre en témoigne, si besoin était. Les deux axes décrits plus haut y sont mis en musique. La remise en cause du CDI et du droit du licenciement s’articule en plusieurs propositions : période d’essai de six mois pour les ouvriers et les employés, et d’un an pour les cadres ; maintien des CDD existants (le Medef enterre donc définitivement l’idée d’un « contrat unique ») ; création d’un CDI de mission ; rupture à l’amiable du contrat de travail ; fixation d’un plancher et d’un plafond d’indemnisation en cas de licenciement irrégulier et abusif ; remise en cause de la notion de licenciement pour inaptitude médicale d’origine non professionnelle ; remise en cause de la qualification de licenciement économique en cas de refus d’une modification du contrat de travail. Comme la voie de la suppression de la motivation du licenciement est barrée, il s’agit de contourner l’obstacle.
Fausse égalité
Première voie de contournement : la « séparabilité », devenue l’axe central de l’orientation du Medef sur le terrain du contrat de travail depuis de nombreux mois. Il s’agit de permettre d’échapper au contrôle du juge sur le motif du licenciement, donc à l’obligation de motiver tous les licenciements individuels, pour motif personnel ou économique, par un accord de rupture entre l’employeur et le salarié : « Le but étant de parvenir à une rupture par consentement mutuel qui ménagerait l’intérêt moral et financier des deux parties. Sauf vice du consentement, ce mode de séparation échapperait au contrôle du juge. Le montant de l’indemnité qui accompagnerait une telle rupture pourrait être fixé librement par les deux parties, à moins que, pour éviter tout risque, on ne mette des garde-fous », écrivait la présidente du Medef, Laurence Parisot, dans son manifeste, Besoin d’air. Faisant fi de l’inégalité entre les parties constitutives de la relation salariale, il s’agit ici tout bonnement d’évacuer la nécessité de motiver le licenciement sous prétexte de l’accord du salarié. Comme si le salarié était l’égal de l’employeur. Comme si la négociation ne devait pas être forcément biaisée en faveur de l’employeur. Il s’agit de permettre aux employeurs d’acheter à bon compte le départ de leurs salariés, en contournant en toute impunité les règles actuelles relatives au licenciement économique et au licenciement pour motif personnel.
Mobilisation
Second axe de contournement : le CDI de mission, c’est-à-dire un contrat à durée indéterminée... à durée déterminée (oui, vous avez bien lu !). Le CDI serait conclu pour la réalisation d’un objet précis et pour au moins dix-huit mois, par exemple la durée du lancement d’une nouvelle voiture dans l’automobile. Cette réalisation entraînerait sa fin, la rupture du contrat n’étant pas alors considérée comme un licenciement économique, avec ce que cela implique. Ceci existe déjà dans le secteur du bâtiment-travaux publics (BTP), avec le contrat de chantier, mais serait étendu à tous les secteurs d’activité. Aux CDD, dont la durée ne peut excéder dix-huit mois, s’ajouterait un contrat d’une durée fixe pouvant aller jusqu’à plusieurs années. Un tel dispositif pourrait concerner un très grand nombre de salariés.
L’autre axe de remise en cause n’est pas oublié dans l’accord : remettre à plat le régime d’assurance chômage, en accentuant la pression sur les salariés. L’offre valable d’emploi que le chômeur ne peut refuser sans perdre le bénéfice de ses allocations ne devrait plus être, comme aujourd’hui, « compatible avec [sa] spécialité et [sa] formation », mais simplement « tenir compte, en fonction de l’ancienneté dans le chômage du demandeur d’emploi, de son expérience, de sa formation et des formations qui lui seraient offertes, de son ancienne rémunération et de son lieu de résidence ». L’accompagnement personnalisé prévu ne peut alors que signifier une pression accrue sur chaque chômeur pour accepter un emploi, même déqualifié.
Quant aux compensations consenties par le Medef, elles se réduisent à une peau de chagrin : avec les quarts de morceaux de droits non transférables dans une autre entreprise, la sécurisation des parcours professionnels tourne à la farce (lire l’encadré). Mais peut-on raisonnablement attendre d’une négociation qui vise à donner plus de pouvoirs aux employeurs qu’elle débouche sur l’octroi de nouveaux droits pour les salariés ?
La mobilisation sociale doit s’inviter dans cette messe ronronnante, dont l’issue n’est que trop claire. Les projecteurs doivent enfin se braquer sur ce conclave de la régression, pour qu’il soit impossible à quiconque de signer un accord qui ramène le droit du travail plusieurs décennies en arrière. Le mouvement contre le CPE a laissé de profondes traces dans la jeunesse et dans le salariat. Des millions de jeunes, de salariés, de chômeurs ont compris ce qui se jouait dans le débat sur la liberté de licencier. Ce formidable potentiel peut et doit être réactivé pour faire voler en éclats les projets du tandem Sarkozy-Parisot.
Encarts
Dernières propositions du Medef : de vraies attaques…
« Article 3. La période d’essai.
« [...] la durée de la période d’essai ne peut être supérieure à trois mois renouvelables une fois pour les ouvriers, les employés, les agents de maîtrise et les techniciens, six mois renouvelables une fois pour les cadres.
« Article 4. Le CDI pour la réalisation d’un objet précis.
« Le CDI conclu pour la réalisation d’un objet précis a pour but de répondre à l’incertitude sur la pérennité de certaines activités [...]. Le recours à ce CDI n’est possible que lorsque la durée envisageable pour la réalisation de l’objet pour lequel il est conclu est supérieure à dix-huit mois. Lors de sa conclusion, ce CDI doit comporter une clause précisant expressément l’objet pour lequel il est conclu et indiquant que la réalisation de cet objet constitue un motif valable de rupture du contrat.
« Article 9. Privilégier les solutions amiables à l’occasion des ruptures du contrat de travail
« [...] un nouveau mode de rupture est mis en place [...], auquel l’employeur et le salarié peuvent convenir en commun de recourir. [...] L’accès aux indemnités de rupture et aux allocations du régime d’assurance chômage est assuré. [...] La sécurité du dispositif pour les deux parties résulte de leur accord, qui n’est pas subordonné à l’existence d’un différend et qui acquiert l’autorité de la chose jugée en dernier ressort, lorsque la réunion des conditions ci-dessus a été homologuée par un office ministériel.
« Article 15. S’inscrire dans un cadre de droits et de devoirs réciproques.
« L’efficacité d’un dispositif cohérent et dynamique de prise en charge financière et d’accompagnement personnalisé des demandeurs d’emploi, requiert de ces derniers une démarche active de recherche d’emploi [...] et conduit nécessairement à ce que soient définies les modalités de contrôle et de l’effectivité de la recherche et la notion d’offre valable d’emploi. »
…et des compensations dérisoires
« Article 11. Ouvrir l’accès à la portabilité de certains droits.
« Pour éviter une rupture provisoire du bénéfice de certains droits entre le moment où il est mis fin au contrat de travail du salarié et celui où il reprend un autre emploi, il est convenu :
« • que les intéressés garderont le bénéfice des garanties des couvertures complémentaires santé et prévoyance appliquées dans leur ancienne entreprise pendant leur période de chômage et pour une durée maximum de quatre mois [...]
« • qu’ils pourront utiliser au maximum, pendant les douze premiers mois de leur prise en charge par le régime d’assurance chômage, [...] 50% du solde du nombre d’heures acquises au titre du DIF [droit individuel à la formation, NDLR]. »