On commence à en avoir l’habitude, Sarkozy et Fillon, à quelques jours d’une semaine sociale mouvementée, jouent le fiers-à-bras, en annonçant haut et fort qu’ils « tiendront », qu’ils n’ont « pas peur ». S’appuyant sur leur fameuse légitimité, ils attendent même de pied ferme un conflit social dur, en particulier avec les cheminots. Mais, derrière ce discours « guerrier » et six mois après son arrivée au pouvoir, le gouvernement est bel et bien affaibli par une remontée des mécontentements et des luttes, dans toute une série de secteurs, participant à un climat global de « trop c’est trop ».
Très vite, une majorité de salariés a compris ce que représentaient, dans le fond, les réformes du gouvernement. Et pour cause ! Au moment où Sarkozy s’auto-augmente de 172 %, où les grands groupes comme Total engrangent toujours plus de surprofits dus à l’augmentation du pétrole, où les patrons, comme celui de Lafarge, s’octroient des retraites d’un million d’euros par an, on nous demande de nous serrer la ceinture, de faire des efforts, car la France irait mal. Pendant ce temps, les dépenses pour le logement, la santé et l’alimentation augmentent. Ces hausses frappent d’abord les petits revenus des salariés, des retraités et des chômeurs, et elles accroissent encore les inégalités. Les pauvres sont plus pauvres et les riches plus riches. Ces derniers ont profité des cadeaux fiscaux de l’été (plus de 15 milliards d’euros) ! La suppression des régimes spéciaux de retraite prépare l’allongement de la durée de cotisation et la baisse des retraites pour tous. Le non-remplacement, dans la fonction publique, d’un départ sur deux, concerne tous les usagers des services publics. Les franchises médicales taxent les malades. L’autonomie des universités prépare encore plus de privatisations et d’inégalités dans l’accès à l’enseignement supérieur. Les lois et les rafles contre les étrangers attisent le racisme et les divisions. On le voit, les raisons de la colère et de la lutte sont nombreuses et nous concernent tous.
Mais pour gagner, les cheminots, les gaziers et les électriciens, les agents de la RATP, en grève reconductible à partir du 14 novembre, comme les salariés de la fonction publique et les étudiants, le 20 novembre, ont un défi à relever : éviter à tout prix la sectorisation et l’isolement. Pour cela, nous devons tout faire pour la jonction des mobilisations. Car la tactique du gouvernement consiste précisément à miser sur le fractionnement et la division des luttes et des salariés. Le calcul de Sarkozy est simple : s’en prendre d’abord aux régimes spéciaux, chercher à isoler les secteurs concernés en les présentant comme des privilégiés, afin de pouvoir continuer les attaques contre tous les salariés. C’est ce plan que nous pouvons faire échouer !
Les projets du gouvernement et du Medef ne sont pas négociables. Il faut exiger leur retrait et imposer nos propres priorités : pour les salaires, les retraites et les minima sociaux. Le minimum, c’est 1 500 euros net et une augmentation de 300 euros tout de suite. Pour les retraites, la justice et l’égalité, ce n’est pas la suppression des régimes spéciaux, c’est une retraite pleine et entière à 75 % du meilleur salaire avec 37,5 annuités et, dans tous les cas, à 60 ans et 55 ans au maximum pour tous les métiers pénibles. Le droit à la santé exige le remboursement intégral des médicaments et des soins. Pour défendre et étendre les services publics, il faut créer un million d’emplois et revenir sur l’ensemble des privatisations, il faut abroger la loi d’autonomie des universités.
Après sa victoire électorale, Sarkozy veut imposer une victoire sociale, en mettant à terre les deux principaux secteurs qui se sont mobilisés ces dernières années : les cheminots et la jeunesse, afin de démoraliser tous les autres. Pour mettre en échec cette stratégie, nous devons nous mobiliser et militer pour qu’une vraie grève interprofessionnelle voie le jour, le 20 novembre prochain. Certes, ce ne sera pas facile, car cette perspective est loin d’être la stratégie des directions syndicales, qui continuent de quémander des négociations alors que c’est à l’épreuve de force qu’il faut se préparer.
Nous avons quelques jours pour construire cette journée de mobilisation interprofessionnelle en nous appuyant, d’abord et surtout, sur les secteurs en grève reconductible (cheminots, étudiants…). L’urgence, c’est de convaincre partout, dans chaque entreprise, que la seule solution pour faire reculer le gouvernement sur l’ensemble des attaques, c’est la convergence des luttes autour de revendications unifiantes comme les salaires, l’emploi, les retraites. Car la seule crainte de Sarkozy et du Medef, aujourd’hui, c’est bel et bien un conflit généralisé qui les ferait reculer. Nous n’avons donc qu’une seule solution : mettre en œuvre, le plus rapidement possible, un mouvement d’ensemble interprofessionnel.
Premier plan
Joséphine Simplon
Sarko l’Américain
Cette semaine est un test décisif, dans l’épreuve de force sur les régimes spéciau qu’engage le président de la République. « Si nous ne faisons pas cette réforme, autant nous arrêter, car nous n’en ferons aucune », a déclaré Guaino, conseiller et rédacteur des discours de Sarkozy. C’était d’ailleurs l’objectif du voyage aux États-Unis d’un président qui n’a eu de cesse de montrer le nouveau visage d’une France libérale et atlantiste qu’il prétend incarner. Devant le congrès américain, c’est à un véritable étalage de flagorneries que s’est livré Sarkozy. Le message était simple : une diplomatie française alignée sur presque toutes les questions sur les choix américains, en particulier sur l’Iran ; et l’annonce de la détermination du gouvernement français à aller jusqu’au bout des « réformes », c’est-à-dire du programme de démolition sociale qui vise à reformater la société française. Il y a beaucoup d’arrogance et de mépris dans de telles annonces, au sein même de la principale puissance capitaliste.
Mais le sens est sans équivoque. Démontrer aux plus puissants, aux gouvernements comme aux détenteurs des capitaux, la volonté d’en finir avec les résistances sociales et démocratiques qui s’expriment régulièrement en France. Dans la même logique, la modalité d’adoption du nouveau traité européen, par le Congrès et non par référendum, montre à quel point Sarkozy piétine le libre choix démocratique et le suffrage populaire. Élu au printemps dernier, avant tout à cause de la faiblesse d’une gauche incapable de répondre aux attentes sociales de la population, il veut imposer au forceps un changement de cap radical. La population est majoritairement hostile au libéralisme, à ses conséquences sociales et économiques ? Il accélère les chantiers des contre-réformes libérales. Une majorité s’est exprimée contre une Europe antisociale et antidémocratique ? Il nous impose l’adoption d’un traité sosie du traité constitutionnel repoussé en 2005. Au rejet massif de la politique internationale américaine, de la guerre en Irak, qui s’exprime dans le pays, il oppose un réalignement atlantiste, une alliance avec l’administration Bush. Cela fait beaucoup. Sans doute trop.
Editorial
Pierre-François Grond
FONCTION PUBLIQUE
Les enjeux du 20 novembre
Les salariés de la fonction publique sont appelés à faire grève, le 20 novembre, pour les salaires et contre les suppressions de postes. Mais se pose aussi le problème de la préparation de la riposte face aux contre-réformes allant vers la privatisation des services publics. Il importe d’œuvrer à la convergence des luttes en cours et à la jonction avec les salariés du privé.
Les directions des fédération de fonctionnaires, qui ont claqué la porte du ministre de la Fonction publique, Éric Woerth le 26 octobre dernier, mettent l’accent sur le refus du gouvernement d’augmenter les salaires et les 23 000 suppressions de postes qui figurent au budget 2008. À juste titre, et tant mieux si l’appel commun des fédérations aboutit à une grève largement suivie le 20 novembre.
Mais alors que les cheminots auront entamé la grève reconductible le 14, jour également de grève à la RATP et à EDF, et que les salariés de La Poste seront, eux aussi, en grève le 20 novembre, nombre de militants et de salariés de la fonction publique se posent le problème d’une suite. Pour tous ceux qui suivent de près les concertations en cours destinées à préparer, dans la suite du discours de Sarkozy, le 19 septembre, à Nantes, la réforme de « modernisation de la fonction publique », sont aussi en jeu le statut de fonctionnaire et le maintien des services publics. Ainsi que dans l’Éducation nationale, le statut des enseignants. La « revalorisation du métier d’enseignant », annoncée par le gouvernement pour le printemps prochain et discutée actuellement par une commission à laquelle participe le socialiste Michel Rocard, prépare un recul considérable des conditions de travail et constitue un nouveau jalon dans la privatisation rampante de l’Éducation.
Cela, malheureusement, les directions syndicales en parlent peu, alors qu’elles devraient alerter l’opinion, à commencer par les salariés qu’elles sont censées représenter. Mais il est difficile de participer, comme elles le font, à toutes les concertations en cours d’un côté, et de combattre clairement et efficacement les projets gouvernementaux de l’autre. Ne serait-ce que parce que la participation à ces prétendues négociations laisse entendre qu’il y aurait quelque chose à en tirer pour les salariés, alors qu’il ne peut en sortir que des reculs.
Le refus, également, de poser la question des retraites, en pleine lutte contre la destruction des régimes spéciaux et alors que le gouvernement prépare pour tous les salariés, pour le début 2008, une aggravation des conditions de départ en retraite pour tous les salariés, tourne le dos aux intérêts du mouvement. S’il y a bien un moment favorable pour défendre l’idée que l’égalité, passe par les 37,5 ans pour tous, c’est bien aujourd’hui ! Mais comment les directions syndicales, qui ont déjà intégré le passage des salariés des régimes spéciaux aux 40 annuités, pourraient-elle oser remettre en cause les décrets Balladur de 1993, qui ont fait passer les salariés du privé de 37,5 ans à 40 ans ?
C’est pourtant bien le seul moyen de faire avancer, concrètement, la convergence d’intérêts entre les salariés du privé et du public. De même que l’exigence d’une augmentation des salaires de 300 euros pour tous. Alors, nous ne pouvons savoir aujourd’hui si le mouvement des salariés de la SNCF, de la RATP, de La Poste et de la fonction publique pourra dépasser le cadre étroit dans lequel voudraient l’enfermer les directions syndicales. Mais l’essentiel, pendant ces quelques journées décisives, pourrait bien être que salariés, militants et équipes militantes discutent et formulent leurs exigences, leurs revendications, en fonction de leurs besoins et des besoins de toute la collectivité. Non seulement en toute indépendance du gouvernement, mais également sans se laisser arrêter par les limites et les craintes qu’expriment les directions syndicales.
Pour entraîner et convaincre, nous devons savoir ce que nous voulons : le rejet des réformes gouvernementales, les embauches nécessaires au bon fonctionnement des services publics, la titularisation des précaires, les 37,5 ans pour tous, l’augmentation des salaires de 300 euros pour tous.
Galia Trépère