L’arsenal nucléaire du Pakistan est-il sous « contrôle total », comme l’a affirmé, mardi 13 novembre, le général Pervez Musharraf ? Si le président pakistanais s’est cru obligé d’en apporter l’assurance lors d’un entretien à la radio américaine Fox News, c’est que, au moins aux Etats-Unis, en Inde, et dans une moindre mesure en Europe, la réponse ne va pas de soi. Le risque de voir la crise politique pakistanaise dégénérer en situation chaotique susceptible de compromettre le contrôle des forces stratégiques est sérieusement envisagé à Washington.
« Dès qu’un régime en possession de l’arme nucléaire fait l’expérience d’une situation comme celle que connaît le Pakistan, cela fait bien évidemment l’objet d’une préoccupation majeure », avait indiqué, il y a quelques jours, le général Carter Ham, directeur des opérations de l’état-major interarmées américain. Il se faisait ainsi l’écho des inquiétudes exprimées officieusement par des responsables de l’administration et des experts américains.
Celles-ci sont nourries de l’histoire nucléaire du Pakistan, c’est-à-dire du réseau d’Abdul Qadeer Khan, considéré comme le « père » de la bombe atomique pakistanaise. Avant d’avouer, en février 2004, avoir mis en place un véritable marché noir du nucléaire (au profit notamment de l’Iran, de la Libye et de la Corée du Nord) et d’être placé en résidence surveillée, le Dr Khan avait bénéficié d’une réelle autonomie à la tête du programme nucléaire du Pakistan. Le président Musharraf, qui avait longtemps fermé les yeux sur les activités du directeur du Khan Research Laboratory, le qualifiait de « héros ».
« QUELQUES DIZAINES » DE BOMBES
Aujourd’hui, les craintes exprimées outre-Atlantique sont de trois ordres : un renversement du général Musharraf au profit d’un autre responsable militaire aux convictions incertaines et, par hypothèse, plus extrémistes ; la prise du pouvoir par une faction islamiste fondamentaliste ; le risque que des experts nucléaires pakistanais vendent à une puissance étrangère ou à une organisation terroriste des secrets nucléaires, voire même une arme atomique, une perspective évoquée ces derniers jours par l’ex-premier ministre Benazir Bhutto.
Les experts reconnaissent que la prolongation de la crise introduit un facteur d’incertitude, mais ils rappellent que les mécanismes de contrôle du programme nucléaire pakistanais ont été renforcés ces dernières années.
« Il y a des islamistes dans l’armée et dans la société pakistanaise, mais il n’existe pas de faction islamiste organisée au sein de l’armée », explique Bruno Tertrais, de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). « Le risque d’un coup d’Etat fondamentaliste n’existe donc pas à l’heure actuelle », insiste-t-il. S’il juge « absurde » l’idée d’une prise du pouvoir pakistanais par Al-Qaida, il reconnaît que la possibilité d’une « fuite des cerveaux » ne peut être écartée. L’attention que le général Musharraf et le général Khaled Kidwai, directeur de la Strategic Plans Division (SPD) et homme clé du nucléaire pakistanais, portent à la réputation du Pakistan exclut, selon lui, « une réédition de l’affaire Khan ». D’autres experts, comme Matthew Bunn, qui vient de publier un rapport dans le cadre de l’université Harvard, ne sont pas si optimistes, et rappellent que le Dr Khan a bénéficié, pendant des années, de nombreuses complicités au sein de l’appareil d’Etat.
Le Pakistan est réputé posséder suffisamment d’uranium enrichi et de plutonium pour assembler « quelques dizaines » d’armes nucléaires, estime M. Tertrais, et « entre 50 et 110 », selon l’expert américain Joseph Cirincione. Celles-ci sont stockées non assemblées, ce qui signifie que leurs composants sont disséminés sur différents sites, de même que les vecteurs (missiles) pour les délivrer.
Les agents du SPD, qui contrôlent les forces stratégiques, ne dépendent pas de l’Inter-Services Intelligence (ISI), les services de renseignement pakistanais, qui sont à la fois très impliqués dans la guerre en Afghanistan et fortement influencés par la mouvance islamiste.
Le général Khaled Kidwai avait effectué une visite aux Etats-Unis en novembre 2006 pour tenter de rassurer les Américains sur les mesures de sûreté dont bénéficie le programme nucléaire. Il n’avait apparemment pas complètement convaincu.