La fiscalité écologique s’est invitée au Grenelle de l’environnement. Dans le discours de clôture du Grenelle, le Président de la République a proposé, notamment, la création d’une éco-taxe sur le carbone. Un tel projet n’est pas nouveau. La Commission travaille ainsi depuis 1992 à la création d’une écotaxe européenne à assiette mixte, sur le carbone et sur le contenu énergétique. Le projet n’a pu aboutir pour l’heure, car plusieurs pays, dont la France, y sont opposés.
La taxe sur le carbone est présentée comme permettant tout à la fois de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre et d’éviter, selon les termes mêmes du porte-parole de l’Elysée, d’augmenter la « charge fiscale pesant sur les ménages et les entreprises ». Cette approche a cependant de quoi laisser rêveur. En effet, à quoi servirait une taxe qu’aucun agent économique ne paierait ? En théorie, une écotaxe est destinée à modifier le comportement selon le principe du pollueur/payeur. Or, créer une taxe qui ne pèserait ni sur les ménages ni sur les entreprises reviendrait à créer une taxe à taux donc à effet nul ! Bien évidemment, on comprend qu’il s’agit là de préparer de futurs allègements : en déclarant qu’il n’y aurait aucune charge supplémentaire, l’Elysée donne satisfaction au Medef, par nature hostile à tout prélèvement sur l’entreprise, qui veut que la création d’un écotaxe s’accompagne d’une baisse de l’imposition des entreprises.
En réalité, cette conception de la fiscalité écologique est partagée par de nombreux pays, au sein de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et de l’Union européenne. Elle se fonde sur la théorie du double dividende qui se traduit par la création d’écotaxes en contrepartie d’un allègement de la fiscalité sur le travail. Concrètement, cette approche aboutirait à une baisse des cotisations sociales ou à un allègement de l’imposition des entreprises et à la mise en place d’une écotaxe à niveau global de prélèvements obligatoires constant. Seulement voilà, une telle opération pose deux questions. Elle reviendrait tout d’abord à imposer plus lourdement les ménages puisqu’il s’agit de baisser les « coûts » de l’entreprise par la création d’une taxe incorporée dans le prix payé par les ménages à la consommation. Elle aboutirait également à substituer à une source de financement publique pérenne (la taxe professionnelle ou les cotisations sociales par exemple) une source de financement temporaire. En effet, l’écotaxe ayant pour but de modifier le comportement des pollueurs, elle doit donc, si elle atteint son but, ne rien rapporter !
Dès lors, deux lectures de la proposition présidentielle de créer une telle écotaxe s’imposent : soit il s’agit de transférer sur les ménages, au moyen d’une écotaxe qui n’aurait d’écologique que le nom (et qui serait de fait une taxe pérenne assise sur la consommation des ménages) une part supplémentaire de la charge fiscale globale, soit il s’agit de mettre le financement de l’action publique un peu plus sous pression en lui enlevant une source de financement durable. Dans le premier cas, la défense de l’environnement serait ignorée, dans le deuxième, ce sont les services publics et donc les usagers qui en pâtiraient à terme.
Réchauffement climatique, pollution, déchets, énergies fossiles, biodiversité, agriculture, croissance économique… les questions touchant à la préservation de l’environnement se déclinent en de multiples enjeux. Pour répondre à ces défis, immenses, les politiques publiques doivent combiner plusieurs instruments et ne sauraient se cantonner à la seule fiscalité. De son côté, la fiscalité écologique ne se limite pas non plus à la création d’une taxe sur la carbone ou à la mise en place de quelques crédits d’impôts. Elle doit s’inscrire dans une approche qui mobilise les trois grands objectifs de l’impôt : dégager des ressources (qui pourront être utilisées dans le but de préserver l’environnement) par les impôts traditionnels, « verdis » ou non, corriger les inégalités (or, dans le monde, les inégalités environnementales et sociales se doublent très souvent) et inciter à modifier les comportements (au moyen d’écotaxes ciblées par exemple).
On le voit, le débat sur la fiscalité écologique est plus large et plus complexe qu’il n’y parait. C’est pourquoi il faut le mener dans toutes ses dimensions, sans succomber à l’effet de mode ou à la tentation facile de la « recette miracle ». Que la fiscalité écologique vienne ainsi en débat est une bonne chose dans son principe, à condition toutefois d’en préciser l’approche et les effets. Or, en la matière, il y a beaucoup à redire dans le débat actuel.