Pagan, envoyée spéciale
Min Naing Aung a 27 ans ; son père, U Shinbo, 66 ans. Le premier, oeil vif et bagarreur, est l’un des leaders étudiants de Pagan (aujourd’hui orthographié Bagan), ville aux 2 000 temples, capitale de la laque et du tourisme, à 690 kilomètres au nord de Rangoun. Le second, ridé et fripé, relève sa chemise pour résumer ses sept ans de prison après les manifestations de 1988 : six côtes cassées sur son torse amaigri.
Bon anglais, longyi traditionnel noué à la taille, tous deux ont quitté, le 22 octobre, le poste de police de Palet, près de Mandalay, à huit heures de camion de chez eux. Ils y ont été détenus pendant trois semaines, à huit dans 9 mètres carrés, battus à coups de pied - « les trois premiers jours et deux nuits » - et nourris d’un seul bol de riz quotidien pour les punir d’avoir participé ou soutenu les manifestations qui ont embrasé leur ville.
Depuis le temps - dix-neuf ans ! - qu’ils l’attendaient, cette révolution, ils n’allaient quand même pas rester chez eux !
U Shinbo a le même âge ou presque qu’Aung San Suu Kyi ; le fils a, lui aussi, rejoint la Ligue nationale pour la démocratie (LND) et sort de son portefeuille la photo de son père avec la « dame », au temps où elle pouvait encore aller et venir, et tenir meeting à Pagan. Pourtant, ils le savent sans se l’avouer : ils n’ont pas été à l’origine de ce mouvement, mais ont seulement rejoint le grand cortège des robes safran qui confluaient vers les pagodes. « La nouveauté, ce sont les moines », reconnaît le plus âgé des deux.
« VINGT-CINQ PHOTOS ! »
En bon militant professionnel, le plus jeune a tenu un calendrier précis des « événements » qui ont secoué sa ville et d’autres alentour. Le 19 août, quatre jours après que le régime du généralissime Than Shwe a augmenté le prix de l’essence de 66 %, de petites manifestations éclatent dans tout le pays. L’annonce qu’un moine a été tué le 5 septembre à Pakkoku, à une heure de Pagan en passant le fleuve Irrawaddy, fait basculer le mouvement. « C’est en l’apprenant à la BBC que j’ai su que ça allait prendre, dit Min Naing Aung. On ne tire pas sur un religieux. Chez les bouddhistes, c’est interdit. »
Le premier défilé a lieu le 24 septembre : de l’aube à la nuit, le cortège passe de « 5 à 223 moines, de 25 manifestants à 1 000 ». Le 25, la manifestation gagne un village voisin. « C’est ce jour-là que des miliciens ont pris des photos et des films avec leurs caméras », souligne Min Naing Aung. Le 28, le gouvernement organise une contre-manifestation ; le 29, les cortèges s’étirent sur 18 kilomètres et paralysent la ville. Des policiers tirent. « Pas des Birmans, des kachins », un régiment venu du nord du pays et de religion catholique.
Père et fils sont arrêtés chez eux dans la nuit du 1er octobre, comme six autres habitants de la ville. « Je savais qu’ils allaient m’attraper », raconte le plus jeune. Au poste de police, on étale devant lui les preuves de son délit : vingt-cinq photos attestant de sa présence dans la rue. « Vingt-cinq photos, juste de moi ! », répète-t-il, encore surpris. Leur libération les laisse perplexes. « C’est peut-être parce que ici viennent les touristes », avance le père. « C’est à cause de la pression internationale. Pour moi, ça ne fait pas de doute », ajoute son fils, qui se cache dans son échoppe pour raconter son histoire, mais insiste pour qu’on cite son nom dans la presse française.
Le chef de la mission de l’ONU jugé indésirable en Birmanie
A la veille de l’arrivée en Birmanie, samedi 3 novembre, de l’émissaire de l’ONU, Ibrahim Gambari, pour une nouvelle tentative de médiation entre la junte et l’opposition, le régime militaire a déclaré persona non grata le chef de la mission des Nations unies à Rangoun, Charles Petrie, de nationalité française. La décision serait liée à des propos publics qu’il a tenus le 24 octobre, affirmant que la junte ne satisfaisait pas aux besoins de base de la population birmane en dépit des ressources naturelles disponibles.
La junte a procédé, depuis une semaine, à la libération de quelque 165 opposants arrêtés depuis fin septembre, après les manifestations contre le gouvernement. Selon la Ligue nationale pour la démocratie (LND, opposition), plusieurs dizaines de membres de ce parti demeurent en détention. - (Corresp.)