Comment en est-on arrivé à croire que le sarkozysme puisse être écolo-compatible ? La gauche et la droite partagent le même bilan environnemental effroyable. Ces deux systèmes ont fait tout au long du 20e siècle – au-delà de ce qui les distingue socialement – de la domination de la nature l’un des grands ressorts permettant d’assouvir leur productivisme. Ces deux systèmes se heurtent aujourd’hui à la même impasse environnementale. La droite et la gauche ne se trouvent cependant pas dans la même situation sociale face à l’impossibilité de faire croître encore le gâteau grâce à la croissance (le PIB mondial).
Les milieux d’affaires, la droite et la gauche néolibérale ont la possibilité de rebondir en faisant payer la crise écologique aux plus pauvres (individus ou peuples). La question des agrocarburants et celle des taxes sur le carbone sont à cet égard symptomatiques : choisira-t-on finalement de nourrir nos voitures (d’abord celle des riches) ou sept milliards d’humains ? Ce « capitalisme vert » est non seulement une mascarade mais une fuite en avant. Il repose sur l’idée folle qu’un peu de croissance pollue mais que beaucoup dépollue. Il nie que le système productiviste même soit en cause et ne parle que de dysfonctionnements provisoires.
La gauche ne peut aller dans cette direction. Elle reste cependant aphone faute de solder son passif en réglant son compte au productivisme et à la foi béate dans le progrès.
Parce qu’il a su réunir les opposants de l’extérieur et les dissidents de l’intérieur qui sont sans aucune illusion sur le caractère sarko-compatible du Grenelle alors que le sarkozysme est lui non écolo-compatible, le contre-Grenelle qui s’est tenu à Lyon ce samedi 6 octobre 2007 constitue un événement important pour travailler ensemble à repolitiser l’écologie. Notre grand dessein est de devenir capable de marier notre souci de justice sociale avec les contraintes environnementales mais nous savons que ce ne sera possible qu’en organisant un retour au politique et en faisant d’abord un effort de théorisation et de passage à l’acte...
Nos adversaires ont su conquérir l’opinion publique grâce à la puissance de leur lobbies. Nous devons donc nous jeter dans cette bataille pour l’emporter de nouveau culturellement. Nous n’avons pas voulu cependant tirer de conclusions au soir du contre-Grenelle car nous savons que le travail à faire ne fait que commencer et qu’il sera nécessairement collectif.
Les propositions que nous jetons au débat sont certes insuffisantes car elles tiennent compte du rapport de force politique et idéologique mais elles sont faites pour donner à penser et à rêver, pour fissurer le « faux consensus » et pour introduire des dynamiques de rupture. Elles doivent être débattues, enrichies, modifiées mais servir aussi à développer des luttes unitaires. Ces propositions débordent le seul champ environnemental car l’écologie constitue un tout.
- Contre la fuite en avant techno-scientiste profitable aux seules grandes firmes, ne cédons pas sur l’exigence de moratoires durables sur les OGM, le nucléaire, les incinérateurs, les constructions d’autoroutes mais aussi les agro-carburants. Ne nous laissons pas piéger par le « compromis bidon » qu’on voudrait nous imposer avec l’idée d’un libre choix entre des régions avec OGM et d’autres sans.
- Contre la soumission de l’école aux impératifs du marché qui aboutit à en faire un lieu de formatage des forçats de la production et de la consommation, inventons une école dont la mission fondamentale serait de transmettre le dur métier d’humain, lançons aussi un grand projet éducatif, à l’instar de ce que furent les MJC, en matière d’éducation à une autre conception et pratique de la nature.
- Contre la pensée unique des grands médias et afin de libérer l’information de la tutelle des multinationales car on ne pourra faire de l’écologie sans transparence et sans choix entre des options différentes (option préférentielle pour les riches à la Sarkozy ou pour les pauvres), revenons à l’application des ordonnances de 1944 sur la presse, édictées par le Conseil national de la Résistance.
- Contre l’agression publicitaire, faisons primer le droit des usagers à être protégé sur celui des marchands à vendre leurs produits, abrogeons la circulaire Lang qui banalise la pénétration de la publicité et des marques commerciales dans les écoles, interdisons sur le modèle de la Suède la publicité télévisuelle à destination des enfants, limitons le nombre et la taille des panneaux publicitaires, allons vers des villes sans pub à l’instar de Sao Paulo, inversons la logique juridique qui veut que la protection des citoyens soit une exception et la « pub-tréfaction » la règle.
- Contre l’insécurité sociale et psychologique que généralise la précarité mais aussi le salariat et qui entretient la « fièvre acheteuse », adoptons le principe d’un « revenu universel d’existence » inconditionnel couplé à un « revenu maximal autorisé » permettant à chacun de vivre simplement pour que chacun puisse simplement vivre.
- Contre le tout (auto)routier engageons des mesures décisives comme l’arrêt de la construction du réseau (auto)routier, comme la reconversion d’une partie du réseau existant en chemins de fer, en axes piétons, en pistes cyclables, en jardins potagers ou d’agrément, imposons le bridage des moteurs, interdisons la commercialisation des voitures au-dessus d’une certaine puissance, interdisons les loisirs motorisés et les courses automobiles pour leur valeur antipédagogique.
- Contre l’explosion des inégalités écologiques et sociales représentée par le choix d’une régulation par le marché, inventons d’autres politiques de distribution des richesses et imaginons des systèmes de tarification en fonction des types d’usages ou des quantités : pourquoi payer son eau le même prix pour faire son ménage et remplir sa piscine ? Pourquoi payer les mêmes impôts fonciers pour une résidence principale et secondaire ? Ce mécanisme peut être généralisé à l’ensemble des services publics et des biens communs sur la base de délibérations collectives.
- Contre la généralisation de la bio-industrie, imposons le retour à une véritable norme « bio » respectueuse des produits, des cultures et des hommes, généralisons une restauration sociale (scolaire, entreprise, etc) faite sur place, avec des produits « bio », locaux et de saison, interdisons l’irradiation des aliments qui ne profite qu’aux acteurs de la globalisation, agriculture intensive et grande distribution.
- Contre la délocalisation de l’économie construisons une préférence pour les marchés locaux en versant des subventions ou des aides sociales sous forme de « monnaie locale » comme en Allemagne, démantelons les systèmes de franchise commerciale.
- Contre la délocalisation de toutes nos activités, interdisons les voyages scolaires lointains, recentrons le tourisme social sur le « tourisme vert de proximité ».
- Contre une société globalitaire qui fait fonctionner le système juridique au profit des plus gros, remettons en cause les règles universelles qui sous prétexte d’hygiène ou de sécurité imposent partout les mêmes normes à l’ensemble des acteurs : pourquoi imposer par exemple la même méthode aux géants de la malbouffe et aux petits restaurants ? Adoptons des règles différentes selon la nature réelle des dangers.
- Contre la dictature des temps rapides sur les temps lents et des temps courts sur les temps longs, soutenons les projets de ralentissement des villes, adoptons le programme « slow food » pour les écoles à l’image des régions italiennes, soutenons les villes qui en adhérant au Mouvement international des villes lentes refusent de grandir, généralisons le « droit à la nuit » en interdisant l’éclairage public intempestif, généralisons la priorité aux TER plutôt que de construire des lignes TGV.
- Contre l’emprise de l’économie, maintenons et renforçons l’interdiction du travail le dimanche et interdisons l’ouverture nocturne des grandes surfaces commerciales.
- Contre l’idéologie du « travailler plus pour gagner plus », reprenons le combat pour marcher vers les 32 heures en 4 jours et le droit de « vivre et travailler au pays ».
- Contre les nuisances industrielles, supprimons toute aide aux pollueurs et soutenons les industries qui se reconvertissent sous forme de petites unités à production relocalisée.
- Contre la société industrielle globalitaire, développons l’autonomie dans tous les domaines notamment énergétique, soutenons d’abord les économies d’énergie puis les énergies renouvellables à taille humaine ou coopérative.
- Contre l’occidentalisation du monde, reconnaissons notre dette environnementale mais refusons aussi l’idée que la pauvreté justifierait la destruction de la planète.
- Contre le double échec du capitalisme et du socialisme productivistes, re-hiérarchisons nos systèmes juridiques pour concilier les contraintes environnementales avec notre souci de justice sociale par un nécessaire retour à la primauté du politique.
- Contre l’écologie apolitique, repolitisons l’écologie en rendant la parole au peuple, c’est aux citoyens de décider ce qui doit être (quasi)gratuit, renchérit ou interdit, c’est aux citoyens de choisir de façon autogestionnaire quel avenir ils souhaitent.
- Contre l’illusion de la toute-puissance sarkozyenne, jouons la carte de la démocratie, exigeons la représentation proportionnelle pour toutes les élections, faisant respecter le non cumul des mandats et adoptons le mandat impératif, optons pour un régime « primo-ministériel » contre la présidentialisation et la « peopolisation » du pouvoir.