MINGORA ENVOYÉE SPÉCIALE
A quelques kilomètres de l’aéroport de Saidu Charif, dans la vallée de la rivière Swat, au nord-ouest d’Islamabad, des forces paramilitaires pakistanaises venaient de prendre position. Maulana Fazlullah, « notre seigneur » Fazlullah, lui, haranguait ses fidèles annonçant de sanglantes représailles si une opération était lancée contre lui. « Si les forces de sécurité peuvent sacrifier leurs vies pour l’Amérique, Musharraf et les dollars, alors nous sommes prêts à verser notre sang pour l’Islam », disait-il, mercredi 24 octobre, devant une dizaine de milliers de personnes rassemblées à la hâte par un appel sur les ondes de sa radio.
Le lendemain, quasiment au même endroit, un commando-suicide a jeté sa voiture sur un camion militaire tuant 20 personnes dont 17 soldats et blessant 34 dont plusieurs civils dans les échoppes bordant la route. Même s’il est trop tôt pour accuser les hommes du maulana qui nie toute responsabilité, il s’agit du quatrième attentat dirigé contre les forces de sécurité dans la vallée de Swat où [l’influence du] maulana Fazlullah, qui veut l’imposition de la charia (loi islamique), n’a cessé de grandir.
Agé de 32 ans, le fait d’être le gendre d’un autre responsable religieux extrémiste, Sufi Mohammad, chef du mouvement interdit TNSM (Mouvement pour l’application de la loi de Mahomet) lui a donné une certaine célébrité. Mais le maulana est surtout connu pour les sermons enfiévrés qu’il prononce sur sa radio privée. Son principal instrument de communication avec une population en grande majorité illettrée et pauvre. Comme son beau- père, emprisonné pour avoir envoyé en 2001 des milliers de jeunes combattre aux côtés des talibans, contre les troupes américaines en Afghanistan, Fazlullah a fait le coup de feu en Afghanistan.
Il y a même été prisonnier quelques mois avant de revenir dans son village de Mam Dheray, sur les bords de la Swat. En 2004, il fonde sa radio en modulation de fréquence et commence à prêcher. Petit à petit, il passe du religieux au politique, critiquant sans relâche l’alliance du régime avec les Etats-Unis.
A Mingora, l’étroit pont Ayub enjambant la Swat qui coule entre deux chaînes de montagnes boisées, marque l’invisible frontière entre le territoire plus ou moins contrôlé par la police et celui de Fazlullah. « Ici plus de télévision, de cinéma, de femmes à l’extérieur, de police visible », affirme non sans peur un médecin qui préfère rester anonyme. Sur la route qui traverse de nombreux villages, les fidèles du maulana, longs cheveux, longues barbes, gilet camouflet, talkie-walkie en main, sont visibles partout. « Le soir, ils font des barrages même de l’autre côté de la rivière pour contrôler la possession de cassettes ou d’alcool », précise le médecin. En bon imitateur du mollah Omar, le chef taliban, Fazlullah qui n’a pas de diplôme religieux, s’est prononcé contre la télévision, la musique et, bien sûr, l’éducation des filles. Dans le bazar de Mingora, les carcasses calcinées d’une trentaine d’échoppes de vendeurs de CD ou de vidéos témoignent de ce que le maulana ne plaisante pas avec ses édits.
Selon Nish Baba, principale du Collège communautaire de filles de Swat-Saidu Charif, plusieurs jeunes filles ont quitté l’école après les menaces de Fazlullah et la destruction à l’explosif de trois écoles de filles. Loin de résister, l’administration a envoyé une lettre, le 8 septembre, à tous les responsables d’établissements enjoignant aux professeurs et aux élèves à partir du 6e grade (9-10 ans) de porter la burqa, vêtement qui couvre le corps de la tête aux pieds avec un filet devant les yeux. « Pourquoi le gouvernement oblige-t-il des petites filles à porter la burqa, c’est incompréhensible, affirme Nish Baba, Ce type d’injonction décourage l’éducation des filles. »
Pour beaucoup, l’inaction du gouvernement est forcément complice des actions d’un maulana que personne ne connaissait il y a encore trois ans. « Au début, Fazlullah avait le soutien des militaires », affirme Sher Mohammad, avocat et militant des droits de l’homme. « Au moins à trois reprises, la police a arrêté des camionnettes bourrées d’armes pour Fazlullah, mais, après »intervention« , elle a dû relâcher hommes et armes », précise-t-il donnant les lieux et les dates des incidents. Fazlullah n’opère sûrement pas tout seul et des groupes extrémistes islamistes, officiellement interdits comme le Jaish Mohammad, sont présents dans la région. Il y aurait même, disent des villageois, des militants étrangers originaires d’Asie centrale dans les montagnes au-dessus du village de Matta.
Fazlullah a des liens avec les groupes djihadistes qui opèrent le long de la frontière afghane. Son numéro deux, Chah Dauran, indique qu’« aujourd’hui, nous n’avons pas besoin d’aller en Afghanistan, nous avons besoin du djihad ici ». Ce qui confirmerait que le réseau constitué par ces groupes travaille pour l’instauration d’un strict régime islamique dans la région.
Au moins trente personnes ont été tués dans un attentat au Pakistan
LEMONDE.FR avec AFP et Reuters | 25.10.07 | 15h17 • Mis à jour le 25.10.07 | 18h14
Une explosion vraisemblablement due à une mine a tué au moins trente personnes et fait une trentaine de blessés, jeudi 25 octobre, dans le district de Swat, dans le nord-ouest du Pakistan. C’est ce qu’a déclaré un haut responsable des forces de sécurité, sous couvert de l’anonymat. Le porte-parole du ministère de l’intérieur, le général Javed Cheema, a pour sa part dressé un bilan de vingt morts, mais a reconnu que le nombre de victimes pourrait s’alourdir. Un camion contenant des munitions s’est également embrasé à la suite de l’explosion.
La police a déclaré que l’explosion avait été provoquée par une mine mais des responsables des forces de sécurité et du gouvernement ont indiqué qu’une enquête était toujours en cours pour en déterminer l’origine. « Les premières informations laissent penser que l’explosion a été provoquée par un engin explosif artisanal mais nous menons une enquête à ce sujet », a déclaré Arshad Majeed, un responsable gouvernemental. La piste d’une attaque kamikaze est également évoquée.
Selon la télévision nationale, une fusillade a éclaté après l’attentat, qui s’est produit au lendemain de l’envoi de deux mille militaires dans cette région en proie à une insécurité croissante. Il s’agit du vingt-troisième attentat d’une série qui a fait près de quatre cent trente morts en près de trois mois dans le pays.