Le Brésil est une puissance agricole, en particulier concernant le soja, dont il est le deuxième producteur, derrière les États-Unis et devant l’Argentine. Ces deux pays cultivent depuis longtemps des organismes génétiquement modifiés (OGM). En 1998, Monsanto, leader des biotechnologies (80 % de la vente d’OGM dans le monde) avait implanté de façon illégale 430 hectares de soja génétiquement modifié dans le Rio Grande do Sul. Mais le gouvernement de cet État avait réussi à interdire ces plantations, du fait de l’absence d’études d’impact. Il avait ensuite proposé une loi qui, étendue à l’échelle fédérale, aurait pu permettre une interdiction définitive des OGM.
L’arrivée de Lula au pouvoir n’en a pas permis la concrétisation. Marina Silva, ancienne militante du syndicat de seringueiros (collecteurs de latex), ministre de l’Environnement, a bien tenté de sauvegarder le principe d’étude d’impact avant toute culture. Mais le poids de R. Rodriguez, ministre de l’Agriculture et ex-président de l’Association brésilienne d’agrobusiness (surnommé ministre RR, comme Roundup Ready, produit phare de Monsanto), et celui d’A. Rebelo, défenseur notoire des OGM et rapporteur de la loi sur la biosécurité, ont été déterminants.
Déjà, avant la mise en œuvre de la loi, les mesures provisoires amnistiant les agriculteurs qui avaient illégalement planté et commercialisé du soja modifié indiquaient l’orientation prise. La loi a fait pire, puisqu’elle permet à la commission technique nationale de biosécurité d’autoriser l’implantation d’OGM sans faire d’études d’impact environnemental ou sanitaire, ce qui est contraire à la Constitution brésilienne et aux promesses du candidat Lula. Cette autorisation de fait des OGM ne constitue pas seulement un problème de contamination des écosystèmes. Le développement du soja (augmentation de la production de 13,8 % par an lors des trois dernières années) participe à la déforestation du pays, qui a connu une hausse de 6% en un an, soit 26 130 km2, rythme démentiel et très inquiétant pour l’avenir de l’Amazonie. Cette déforestation se déroule en bonne partie dans l’État du Mato Grosso, de façon illégale. Or, cet État est le premier producteur de soja et il est dirigé par le plus grand producteur individuel de soja, B. Maggi, dont les bénéfices ont augmenté de 28 % en 2004, tandis que ses surfaces cultivées augmentaient de 21 %. Au Brésil, le pouvoir n’a pas changé de mains.
Cependant, les réactions sont vives face à ce nouveau reniement de Lula. Alors que le plan de réforme agraire avance à pas de tortue, le Mouvement des sans-terre (MST) voit dans cette loi sur la biosécurité une « honte nationale » . Selon son porte-parole, J.-P. Stédile, « le président ne sait pas la bêtise qu’il va écrire pour l’histoire ». D’autant que d’autres choix sont faits dans certains États. C’est le cas essentiellement du Parana, deuxième État producteur de soja, qui a fait le choix d’une filière sans OGM, notamment à destination du marché européen. Le Parana se retrouve dès lors en conflit - juridique notamment - avec le gouvernement central.
Confirmant ses orientations libérales, qui concernent aussi le maïs et le coton, le gouvernement Lula enterre toute perspective d’agriculture paysanne, qui serait susceptible de donner des terres et du travail aux millions de paysans qui en manquent. La monoculture intensive donne la primauté aux exportations et s’oppose au développement d’un marché intérieur diversifié. Les multinationales de l’agrobusiness ont encore de beaux jours devant elles.