Clarifions d’abord une des nombreuses ambiguïtés sur lesquelles joue la CGT-Inra : certains des anti-OGM indépendants du Collectif des faucheurs expriment un opposition primaire à la science. Il va de soi qu’on ne peut les soutenir. En revanche, aujourd’hui, aucun essai en plein champ en France ne se justifie par des raisons autre qu’économiques. Ces essais servent à étudier la faisabilité des cultures OGM à grande échelle car, ailleurs qu’en serre, un OGM peut se révéler improductif. Les scientifiques s targuent de préoccupations environnementales pour se donner bonne image et, surtout, pour obtenir leurs autorisations (les essais sont très réglementés depuis 1999). On en arrive des cas grotesques : la CGT-Inra justifie ainsi le caféier OGM pour étudier « les impacts sur l’environnement », alors que 98 % des OGM cultivés sur la planète sont du soja, du maïs, du coton ou du colza
Des risques énormes
Non seulement les essais en champ ne profitent qu’aux firmes semencières, mais en plus ils sont très dangereux [Voir le dossier publié dans « Rouge » n° 2080 : Le pillage du vivant ]] : toutes les plantes non OGM sont menacées. En effet, les plantes OGM sont invasives et leurs descendantes se retrouvent à plusieurs kilomètres. Cette pollution des champs et des écosystèmes sauvages est irréversible. Pour les agriculteurs qui refusent l’ultra-productivisme, les conséquences sont énormes car quelques graines OGM dans un champ suffisent à faire perdre le label agriculture biologique. La coexistence entre ces agricultures est impossible, à moins d’un surcoût énorme que les autorités veulent faire peser... sur ceux qui refusent les OGM. C’est la logique pollué-payeur. Avec des plantes OGM castrées, les problèmes de contamination diminuent mais ne disparaissent pas : la contamination est toujours possible par l’intermédiaire de bactéries ou de virus et ce, même entre plantes d’espèces différentes. Une étude anglaise a montré que le simple fait de cultiver des OGM a des conséquences négatives sur la biodiversité.
Quant à l’irresponsabilité de ceux qui autorisent les essais, la CGT-Inra nous fait un aveu coupable quand elle écrit que « dans un des essais détruits, les maïs OGM avaient été préalablement castrés afin d’éviter toute dissémination du pollen ». Sous-entendu : dans la majorité des cas, les plantes ne sont même pas stériles ! Des millions de grains de pollen sont libérés et on ose dire que des précautions sont prises ?
Si des OGM qui ne sortent pas des laboratoires peuvent être très utiles, cultiver des OGM végétaux en plein air n’a d’autre but que de breveter le vivant. Il s’agit pour de grandes firmes de mettre les paysans sous dépendance totale en leur vendant les semences et l’herbicide qui va avec. Malheureusement, des chercheurs de l’Inra et de nombreuses institutions publiques sont des acteurs de cette mise sous dépendance.
La CGT-Inra condamne les fauchages au nom d’une recherche publique idéalisée, face aux semenciers « nord-américains » qui pratiquent la « course aux profits » et traitent mal leur personnel. Passons sur le « modifions génétiquement français ». Passons aussi sur les conditions de travail pas très reluisantes non plus dans la recherche publique. Mais il faut souligner que la recherche française actuelle n’est pas ce que voudrait la CGT. Concernant les OGM, elle est soumise aux marchés : moins de 2 % des fonds de recherche OGM en France servent à étudier les impacts environnementaux. Et ces petits 2 % ont été obtenus grâce aux faucheurs !
Petit retour historique. En 1997-1998, les OGM arrivent en France pour envahir le marché. Les écolos (notamment Greenpeace) organisent une énorme campagne de sensibilisation de l’opinion publique. Le débat sur les OGM sort des cercles d’« experts » et atteint la place publique. S’il avait fallu compter sur la recherche publique et sur la CGT-Inra, à l’heure actuelle tout serait OGM.
En 1998-1999, se déroulent les premières actions de fauchage et même de destruction de serres - plus discutables. L’effet est immédiat. Sur le plan politique d’abord : Dominique Voynet se met à réclamer un moratoire (alors que le gouvernement Jospin avait auparavant accepté les OGM). Sur le plan scientifique ensuite : Allègre lance des appels d’offre pour étudier les conséquences des OGM végétaux (qui existent alors déjà depuis dix ans).
La recherche publique à la traîne
Selon la Fondation sciences citoyennes, depuis 30 ans, il y a eu mise en place d’une recherche pilotée par les marchés avec trois grands acteurs : l’État, les chercheurs et les marchés. Les années quatre-vingt-dix ont vu l’irruption des associations de malades, des écolos... Bref, le mouvement social. Ces nouveaux acteurs remettent en cause l’abandon de la science aux seuls scientifiques et le monopole de l’État pour ce qui est de la représentation de l’intérêt général. C’est compréhensible suite aux dossiers « publics » du nucléaire (Tchernobyl, le secret militaire français), du sida (le sang contaminé) et plus récemment des OGM. Contrairement à ce que prétend la CGT-Inra, heureusement que des « groupes de pression » alertent sur « quelle recherche [est] porteuse de mort ».
Il y a aujourd’hui une appropriation du savoir dans les luttes : les faucheurs volontaires sont scientifiquement aussi (voire plus) calés que la CGT-Inra sur le problème OGM. Surtout, ils sont plus sincères que beaucoup de chercheurs OGM de l’Inra, discrètement investis dans des multinationales ou des start-up (cf. les signataires de l’appel « Défendons la recherche »). [4]
La CGT-Inra réagit comme beaucoup de scientifiques qui vivent mal leur perte d’autonomie. Pour eux, il y a 30 ans, les marchands ont profané le temple du savoir et maintenant, ce sont les profanes qui veulent y entrer ! C’est la posture inverse qu’il faut adopter. La recherche publique doit s’appuyer sur les mouvements sociaux et sur l’espace public pour repousser les tenants du marché : elle a plus d’intérêts communs avec les mouvements sociaux qu’avec les capitalistes. Espérons que la CGT-Inra comprendra que les faucheurs sont un appui contre les dérives marchandes qu’ils dénoncent.